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Politique des changes: De nouvelles mesures et des interrogations

par Ghania Oukazi

La Banque d'Algérie a décidé de remettre au goût du jour une note par laquelle ses services doivent désormais obliger les citoyens à présenter préalablement une déclaration d'importation douanière pour la domiciliation bancaire de tout montant en devises excédant les 1.000 euros.

«Ce n'est pas une décision nouvelle, l'article 72 de la loi de finances 2016 l'avait consacrée, le législateur qui l'a prise et le président qui l'a signée peuvent vous dire pourquoi l'utilité de ce texte, » est la réponse absurde donnée par le gouverneur intérimaire de la Banque d'Algérie à des journalistes qui lui avaient posé dimanche dernier une question sur le pourquoi d'une telle décision. La note porte le numéro 149 et la date du 27 octobre 2019. Elle est adressée aux Banques Intermédiaires Agréées (BIA) et signée par le directeur général des Changes. «Dans ce cadre, il convient de rappeler qu'en application de l'article 72 de la loi de finances 2016 et de l'article 3 du règlement du Conseil de la Monnaie et du Crédit N°16-O2 du 21 avril 2016, que toute alimentation d'un compte devises pour un montant égal ou supérieur à l'équivalent de mille (1000) euros doit être appuyée préalablement par une déclaration douanière d'importation de ce montant, » est-il prescrit. Le signataire avertit que «le non-respect de cette procédure est assimilée à une infraction à la législation et à la réglementation des changes. » La note prend effet à la date de sa signature, souligne le DG des changes.

En fait, «Dans ce cadre » par lequel commence cette stupidité bancaire est précédée par un paragraphe qui précise que «la présente note a pour objet d'informer les BIA que les agences de voyage et de tourisme désignées par l'Office National du Hadj et de la Omra pour la prise en charge et l'organisation du voyage de pèlerinage omra, peuvent ordonner des transferts de fonds à partir de leurs comptes devises personnes morales en règlement de leurs dépenses contractuelles au Royaume d'Arabie Saoudite. Les citoyens désirant effectuer un pèlerinage (omra) peuvent régler les prestations qui leur sont fournies par les agences de voyage et de tourisme subventionnées, par des virements bancaires à partir de leurs comptes devises. »

Une note, des précisions et des interrogations

Pour soutenir ce texte global, la Direction de l'Organisation et de la Réglementation a adressé une première décision sous le numéro 182 «en référence à la note N 149 du 27 octobre 2019 » pour affirmer que « la présente note a pour objet de diffuser à l'ensemble des structures de la banque la Note Banque d'Algérie N°149(...) spécifiant les nouvelles mesures prises en matière de règlement des prestations de pèlerinage opéré par des agences de voyage et de tourisme ainsi que les citoyens désirant effectuer une omra. La Division des Affaires Internationales et les Directions de Groupes d'Exploitation doivent veiller à la stricte application de la note susvisée. Pour toute difficulté rencontrée dans l'application de la présente note, il y a lieu de prendre attache avec les services concernés de la Division des Affaires Internationales (DAI). » Détour fourbe que celui des responsables de la BA de s'adresser particulièrement à ceux qui veulent aller au pèlerinage ou faire une omra pour respecter une décision imposée à l'ensemble des citoyens.

L'on constate que c'est pour la première fois de son histoire que la Banque d'Algérie exerce son indépendance et son autonomie comme consacrées par les textes qui la régissent et ce en prenant une décision tout à fait contraire à la politique financière et notamment d'investissement initiée et suivie par le gouvernement. L'on se demande cependant pourquoi s'est-elle soudainement érigée en porte-à-faux à ce que fait le gouvernement Bedoui dans un contexte qui lui est des plus hostile. Qui plus est, la décision d'exiger un préalable à tout versement en devise excédant les 1000 euros a été consacré par la LF 2016 mais n'a jamais été appliquée en l'absence de prise de textes réglementaires à cet effet. L'on rappelle que ces dernières années, les gouvernements qui se sont succédé ont grand ouvert les portes du pays à l'investissement national et international avec la précision qu'il ne sera jamais demandé à l'investisseur d'où ramène-t-il son argent.

Retour au «Min aïna laka hadha ?»

Ce brusque revirement de la Banque d'Algérie à un moment où les investisseurs les plus téméraires fuient le pays pour cause de déstabilisation politique, économique et sociale, ramène les esprits à la fameuse question «d'où détenez-vous cela (min aïna laka hadha) ? » imposée par les pouvoirs publics dans les années post 2000.

Ces deux derniers jours, les citoyens qui se sont déplacés auprès des banques pour verser des montants de devises de plus de 1000 euros ont eu la désagréable surprise de se voir refuser le dépôt bancaire sans une déclaration douanière de son importation. En clair, il est désormais demandé aux Algériens de prouver l'origine des devises alors qu'une masse monétaire inimaginable circule en plein air à la place Port Saïd d'Alger et dans d'autres de toutes les villes du pays sans compter les espaces de change dont les adresses sont susurrées de bouche à oreille. L'aberration semble avoir atterri à pieds joints au sein de la Banque d'Algérie qui a dû oublier qu'elle a été incapable à ce jour de persuader tous ceux qui se sont improvisés en cambistes d'ouvrir des bureaux de change conformément à la loi sur la monnaie et le crédit. Pour toute réponse à une telle situation, le Gouverneur par intérim de la Banque d'Algérie, Amar Hiouani, a eu cette réponse rudimentaire «personne ne s'est présenté pour ouvrir un bureau de change. »

D'une soumission inintelligente à une indépendance obtuse

Hier, l'on a constaté que même les banquiers n'avaient pas compris les raisons qui ont incité la BA à prendre une telle décision «et dans ces moments précis.» Certains pensent même que la note est incomplète et qu'«elle doit préciser dans quelles conditions plus de 1000 euros doivent être justifiés, si c'est à chaque versement, mensuel, annuel ou autres pour toutes les catégories sociales ou certaines(...) », se demandait hier un banquier hébété par une telle ineptie.

Le Gouverneur par intérim n'est pas à sa première bourde. Il faut lui compter aussi celle à laquelle il a fait référence le jeudi dernier lorsqu'il a fait savoir qu'il y a 5 000 milliards de dinars d'argent informel soit plus de 50 milliards de dollars, soit plus de 30% de la masse monétaire totale du pays, soit 50% des encours des crédits injectés dans l'économie nationale. « Cela veut dire que la politique de l'épargne est déficiente, » a-t-il dit. Il demande alors qu'une étude soit menée pour en saisir les raisons d'une telle déficience. Amar Hiouani n'a pas pensé que la cause première serait ce genre de stupidités législatives décidées selon toute vraisemblance sur de simples sautes d'humeur et sans études sérieuses préalables. Le Gouverneur n'a pas rappelé que le gouvernement avait demandé aux Algériens de placer leur argent dans les banques sans qu'il ne leur soit demandé une quelconque traçabilité. Mais en vain.

La Banque d'Algérie ne s'est pas interrogée si elle mettait le gouvernement Bedoui mal à l'aise en contredisant ses approches en matière d'investissement ou de facilitations en faveur des citoyens. Des observateurs pensent qu'il se pourrait que les responsables de la BA ont décidé de prendre part à leur manière à « la lutte contre la corruption engagée par le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, et aussi pour plaire au hirak». De Gouverneur en Gouverneur, la BA passe d'une soumission inintelligente à la présidence de la République et au gouvernement à une indépendance obtuse qui s'apparente plutôt à un acte contradicteur au milieu d'une multitude d'autres qui se déclarent ici et là à travers le pays. Sinon, question inévitable «pourquoi la BA n'a pas empêché en son temps, avec force et publiquement, le gouvernement d'aller vers la planche à billets, d'autant que son gouverneur devenu ministre des Finances, Mohamed Loukal, a déclaré il y a quelques mois, -après la démission forcée de Bouteflika-, que la BA était foncièrement contre ? »