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Rencontre de Abdelmadjid Tebboune avec la presse: «Je ne suis candidat de personne»

par Ghania Oukazi

Abdelmadjid Tebboune paraît serein, calme, confiant et sans tabous. Du commis de l'Etat qu'il a été pendant de longues années au candidat à la candidature aux élections présidentielles du 12 décembre prochain qu'il est devenu, rien n'a semblé changé en lui. Pour cette fois, il a tenu à lever le voile sur certaines étapes qui ont fait de lui l'homme honni d'un pouvoir qu'il a pourtant côtoyé.

C'est en tout cas l'image qu'il a renvoyée, hier, lors de sa première rencontre avec la presse. Rencontre qu'il a voulu restreinte parce que, a-t-il dit, «la campagne électorale n'a pas encore commencée, on aura le temps de parler à tous les journalistes ». Abdelmadjid Tebboune voulait recentrer sa personne par rapport à tout ce qui l'entoure, au «hirak», aux élections, à son passé propre au sein du pouvoir, à la République, aux affaires qui ont éclaboussé un grand nombre de responsables, à l'argent sale jusqu'à son limogeage du poste de 1er ministre qu'il a occupé pendant bien moins que 100 jours. «Vous connaissez la situation qui prévaut dans le pays, il y a beaucoup de choses qui se disent, les fake news(...), les électeurs ont le droit de connaître la personne, je suis transparent, je dis toujours ce que je pense», a-t-il noté en préambule au jeu des questions réponses auquel il s'est consacré pendant plus d'une heure. La rencontre s'est passée au siège de son QG à Ben Aknoun où son staff de campagne bien connu du monde diplomatique, universitaire et médiatique est déjà en place.

Tebboune a fait part le 6 septembre dernier de son intention de se porter candidat aux élections présidentielles à venir. Intention qu'il affirme en réponse à une question qui lui a été posée, «n'avoir jamais nourrie, je n'ai jamais eu l'ambition de l'être en tant que commis de l'Etat mais les gens font de vous, les uns un petit Satan, les autres un énergumène». Il explique que «c'est sur insistance de beaucoup d'amis que je suis aujourd'hui candidat à la candidature, autrement je ne l'aurai jamais été».

«Je m'engage à respecter la liberté d'expression»

Interrogé sur ce qu'il pensait du «hirak», il répond : «Sans hypocrisie, le hirak a permis au peuple et au pays de retrouver sa dignité(...), quand il n'y avait qu'une photo ou un cadre, les télévisions du monde nous filmaient avec ironie, le hirak a cassé cette image et est devenu une référence en matière de contestation pacifique, ses revendications ont attiré l'attention (...)». Aux Algériens qui demandent le changement, Tebboune affirme «je vous promets, dans le cas où j'ai la confiance du peuple, que je m'engage à respecter la liberté d'expression mais je déteste les fake news, la diffamation et l'insulte ne sont donc pas admises ».

Interrogé sur le prochain scrutin, il dira «je suis persuadé que les élections se dérouleront normalement, les problèmes il y en aura, dans quelques bureaux, mais ce n'est pas ça qui va entacher les résultats». Il estime que « les gens veulent aller aux élections parce qu'ils sont angoissés, on ne peut être contre parce que le hirak revendique l'application des articles 7 et 8 de la Constitution qui stipulent que la source du pouvoir c'est le peuple, il ne peut l'exercer que par les élections». Il explique que «ce n'est certes pas l'unique critère de la démocratie mais il est essentiel, pour la première fois, l'administration est exclue de l'ensemble du processus, elles vont être les premières élections propres et transparentes et ce, quels qu'en soient les résultats.

Tebboune précise qu'il n'est candidat à la candidature «de personne». Il rappelle pour cela que «j'ai presque 50 ans de service dans les institutions de l'Etat, je n'ai jamais failli à ma mission de commis de l'Etat, je ne suis lié à aucune personne mais uniquement à l'Etat, je l'ai servi, j'ai servi les citoyens et non les personnes, demandez aux habitants de Batna, ses communes(...)». En se portant candidat, il précise que «je me remets à la disposition de ceux qui ont besoin de moi, des couches moyennes, je me considère candidat du peuple, je ne suis candidat de personne, personne ne peut dire que j'ai eu un geste de qui que ce soit».

A une question sur ce qu'a dit Ali Benflis sur sa candidature, Tebboune répond «Si Ali peut tout dire, il est libre». Il note qu' «il y a 132 candidats, ils sont tous égaux».

Tebboune veut «une nouvelle république»

Il affirme s'engager pour édifier «une nouvelle république où au moins 80% de ce qui existe va changer». L'ancien ministre de l'Habitat refuse de parler d'une «2ème République» parce que, a-t-il dit, «je n'aime pas l'imitation, ceci se dit au-delà des mers». Dans «la nouvelle république» qu'il veut construire, Tebboune s'engage à «tout changer par rapport aux pratiques anciennes» et ce «en comptant en premier sur la compétence, rien que la compétence, que la compétence !». Il estime ainsi qu' «on est arrivé à des contradictions qui nous obligent à changer radicalement, la nouvelle république commence par l'assainissement et la réforme des collectivités locales sur la base d'une révision radicale de la loi électorale, les instances élues doivent l'être légitimement, toutes leurs missions doivent être consacrées dans la Constitution». Il pense qu' «il faut placer des contre-pouvoirs réels, la Constitution comporte des vides en la matière, j'espère qu'on n'ira jamais vers un pouvoir personnel, il faut instaurer un équilibre entre les institutions de l'Etat». Au plan économique, il opte pour la création «d'une nouvelle génération d'entrepreneurs, il faut un esprit qui n'est pas pollué».

La question de la séparation de la politique de l'argent (sale) lui rappelle son limogeage en août 2017 de son poste de 1er ministre. «Je ne ferai pas dans la victimisation, mais il y a eu des problèmes pour ma personne, ma famille, il y a eu une surveillance étroite de mes enfants, mes proches(...) ils sont allés jusqu'à enlever ma photo du 1er ministère (...).» La séparation de la politique permet, selon lui, «l'émergence de l'élite, d'ailleurs le fait qu'il soit exigé un diplôme universitaire aux candidats est une nouveauté importante».

Mais à la question pourquoi avoir exigé que seul Ali Haddad alors président du FCE quitte la salle où le 1er ministre devait présider une cérémonie de remise de diplôme alors qu'elle était pleine d'hommes d'affaires ? Tebboune affirme que «je n'ai jamais prononcé ce nom(...), le problème n'est pas personnel, il est économique, des biens immobiliers partout, des jets privés, l'argent sale(...), il y avait à cette époque une liste de 130 entrepreneurs qui avaient reçu des mises en demeure à propos de concessions mal acquises, au commerce j'ai fait la même chose pour les importateurs membres du FCE.»

«Qui vous a dit que je me suis tu ?»

Le candidat fera savoir que «lorsque j'étais ministre, je n'ai jamais visité ces chantiers, je refusai de voir...». Mais « se taire n'est-ce pas de la complicité ?» lui est-il demandé. «Qui vous a dit que je me suis tu ? J'ai parlé de la surfacturation(...), je n'ai rencontré personne de la kleptocratie, j'étais la seule voix discordante, j'ai été contre la construction d'un hôtel de 50 étages, à moins d'un système parasismique ultramoderne ! La construction devait se faire avec 70% de crédits bancaires. On ne m'a pas consulté pour le permis de construire, mais j'ai dit non ! C'est dans le PV. J'ai réagi de la même manière quand quelqu'un a importé des bus sans TVA», a-t-il répondu.

Ce qu'il pense d'une «Algérie secouée par les nombreuses incarcérations» ? «C'est un miracle ! 99% des citoyens applaudissent», dit-il. Interrogé sur l'affaire El Khalifa, il répond simplement «c'est un épouvantail». Mais, ajoute-t-il, «je suis le premier à demander l'ouverture du dossier !» L'affaire El Bouchi, l'implication de son fils, Tebboune préfère renvoyer ceux qui veulent savoir ce qu'il en est vers «les avocats, ils vous diront tout, je respecte la justice et ses décisions».

A propos de sa proximité avec le président Bouteflika, Tebboune n'en fait pas un tabou «j'ai aussi été très très proche du président Chadli, la proximité s'impose par le travail, la concertation, mais je n'ai pas été fabriqué par un président ou un autre».

Son voyage en France en tant que 1er ministre et sa rencontre avec son homologue français, Edouard Philipe ? Il en donne les détails. «J'avais pris 18 jours de congé avec un titre de congé portant la griffe du président, j'ai été contacté par l'ambassadeur de France qui m'avait proposé une rencontre avec mon homologue français, j'ai consulté le chef de cabinet de la présidence pour qu'il en parle au président de la République, je l'avais appelé à 19h, il m'a répondu à 19h25 que je pouvais y aller mais que je ne devais prendre aucun engagement. On a l'habitude de tenir 5 réunions annuelles avec les Français, celle-là était hors programme. Dès mon arrivée à Paris, j'ai pris contact avec notre ambassadeur, le chauffeur de l'ambassade m'a accompagné un lundi au 1er ministère pour rencontrer mon homologue.

«48h après mon installation, on préparait mon limogeage»

La rencontre s'est passée en présence de nos deux équipes. J'en ai tout de suite fait le compte rendu au président de la République.» Il dément avoir voyagé tout de suite après à bord d'un bateau de plaisance d'un richissime homme d'affaires algérien, en direction de la Moldavie. «Jamais je n'ai utilisé les moyens d'un kleptomane, je suis parti en Moldavie mais en avion, j'étais en congé, je voulais aller dans un endroit isolé où on ne me connaissait pas pour être tranquille et pouvoir marcher librement.» Tebboune revient à sa nomination en tant que 1er ministre pour souligner que «48h après mon installation, on préparait mon limogeage, une grosse ponte disait que j'en avais pour 2 mois ! J'en ai parlé à qui de droit, on m'a répondu fais ton travail.» Il note au passage que «20 jours après mon départ du 1er ministère, il y a eu une réunion à Marseille d'hommes d'affaires et autres rejoints par celui qui disait défendre les travailleurs, ils avaient mis 3 milliards de dollars pour, disaient-ils, détruire Tebboune».

A propos des relations algéro-françaises, il dira que «chacun des deux pays a besoin de l'autre, nous avons 5 millions d'Algériens en France, nous nous devons de préserver leurs intérêts, nous avons 32 vols quotidiens entre les deux pays, il est vrai qu'on ne s'est pas entendu sur des dossiers internationaux, mais dans tout, la ligne rouge c'est la souveraineté». Aussi, affirme-t-il par ailleurs, «je ne construis pas des relations internationales avec les extrémistes».

Ce qu'il pense de l'accord d'association avec l'Union européenne ? «J'ai beaucoup de respect pour l'Union européenne, et encore plus de respect pour les engagements de la République algérienne», dit-il. Il affirme encore que «les accords resteront ! L'UE sait que les choses iront autrement, tout ce qui se fera, le sera au nom de l'intérêt mutuel ».

«Une Algérie partenaire de l'Afrique» lui fait dire que «c'est en premier au nom de la fraternité(...), on ne doit pas oublier que l'Algérie a fortement soutenu les mouvements de libération africains dans les années 70...»