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Crise politique: Les «messages» du vendredi

par Ghania Oukazi

  Le chef d'état-major a réussi à ajuster la contestation populaire à sa vision sur la crise politique, aux solutions qu'il lui préconise et aux objectifs qu'il lui fixe.

Le 19ème vendredi du mouvement populaire a démontré que le dernier discours du vice-ministre de la Défense, du chef d'état-major de l'ANP, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, a réussi à unifier les positions des contestataires autour de cinq points essentiels, « l'unité du peuple algérien et de l'Algérie, le soutien indéfectible à l'armée et à son état-major, le départ précisément d'un B (Nouredine Bedoui), le jugement de tous les membres des clans Bouteflika et Toufik et enfin le refus d'une période de transition.» En insistant sur l'unité du peuple algérien et en menaçant ceux qui portent l'emblème kabyle de sanctions, Gaïd Salah a visé ainsi d'une pierre plusieurs coups. Si le départ de Bedoui ne l'arrange pas pour autant, les autres points agréent largement ses ambitions. Le gigantesque drapeau national étendu de bout en bout de la longue file des marcheurs du vendredi dernier et représentant les 48 wilayas du pays a étouffé toute velléité cherchant la discorde, la désunion ou la division des territoires. Le chef d'état-major a eu même plus. Toutes les voix des marcheurs scandaient son soutien et celui « indéfectible » à l'armée. Les marcheurs ont, en outre, déclaré considérer que « les vendredis » représentent « la période de transition.» Une réponse claire aux figures opposantes au régime qui en font un des préalables à leur participation au dialogue. Si la seule revendication brandie, le vendredi dernier, était certes « le départ des B», des voix ont précisé « surtout le Premier ministre, Nouredine Bedoui.» C'est en principe ce qui doit convenir à Gaïd Salah qui ne veut pas d'une période de transition et refuse de se séparer particulièrement du chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah. Il est alors attendu qu'il procède au changement du Premier ministre dans peu de temps. Ceci, si l'on s'en tient à ses discours où il tient à des élections présidentielles « dans les plus brefs délais.»

Des choix d'hommes «sur mesure»

Les choses ont été simplifiées et la contestation de «tous les symboles du système» qui s'apaise de plus en plus, a été changée en un plébiscite en faveur du chef d'état-major de l'ANP. Depuis quelques jours, les médias publics ne s'expriment que pour lui. Du fameux «fakhamatouh » qui précédait toutes les interventions de tous les responsables de quelque niveau qu'ils soient, les chaînes de télévision publique passent, aujourd'hui, en boucle «Essayed el farik (le général de corps d'armée)» sur un ton de propagande soutenue. Les performances des « troupes » dans tous les domaines sont sur tous les écrans et à toutes les heures de la journée et de la nuit. « Cette chaîne appartient à l'armée ? » s'est interrogée une émigrée algérienne de France, venue passer quelques jours en Algérie, tant les militaires défilent à l'écran en continu. Si comme avancé, déjà, dans ces colonnes, le temps importe peu pour Gaïd Salah et que l'essentiel pour lui est de « désamorcer les mines enfouies par l'Etat profond,» et reprendre le pays en main, il n'en perd pas pour autant en plaçant des personnes en qui il met sa confiance pour garantir la réussite des événements à venir. Le 13ème congrès de l'UGTA entre autres, tenu les 21 et 22 juin derniers, au CIC de Club des Pins, confirme cette résolution. La désignation de Salim Labatcha au poste de secrétaire général de la Centrale syndicale, en remplacement de Abdelmadjid Sidi Saïd, n'est pas un fait du hasard, encore moins le résultat d'une urne « propre et honnête.» Jeune qu'il est, Labatcha n'a pas dérogé aux règles usitées, jusque-là, par le pouvoir ancien et actuel pour fermer le jeu d'une compétition qui n'en a pas été une. Choisi par Sidi Saïd lui-même, le bureau du congrès a exigé le renvoi des journalistes de tout le CIC avant de décider d'« élire » le nouveau SG, le 1er et non le 2ème jour du congrès comme prévu et mentionné, dans l'ordre du jour. Si dans la matinée du 1er jour, les syndicalistes se sont fortement bousculés pour se porter candidat au poste de SG, dans l'après-midi, aucun d'entre eux n'a eu le courage de se présenter en tant que tel. Labatcha n'avait même plus besoin de passer par l'urne. Les dés étaient jetés. Il fallait faire vite et bien pour mettre tout le monde devant le fait accompli. « Le choix de Labatcha a été fait depuis longtemps, en concertation avec Sidi Saïd et le pouvoir actuel, » nous renseignent des sources sûres. Le pouvoir place ses «relais»

« Le changement, c'est toujours bénéfique pour tout le monde, l'Organisation devra être dirigée par une nouvelle génération et aussi par une nouvelle dynamique syndicale, » nous avait dit Sidi Saïd, dans un article paru dans ?Le Quotidien d'Oran' le 12 juin dernier. Il avait souligné, notamment que « la remise du flambeau est assurée, je préfère parler de relais- et il devra être pris d'une manière sereine qui puisse faire avancer l'action syndicale, dans de bonnes conditions, le syndicalisme a besoin de convictions et d'humilité.» A la Maison du Peuple, l'on avançait à cette date que «celui qui succédera à Sidi Saïd n'est pas très connu du grand public, c'est un syndicaliste convaincu, s'il ne s'avance pas encore, c'est parce qu'il craint d'être neutralisé avant même que le congrès n'ait lieu.» Des propos qui prouvent qu'à aucun moment il n'était question de se fier aux résultats d'un quelconque vote mais que « le relais » était bien choisi. Il a peut-être suffi que l'un des critères les plus saillants chez ce nouveau responsable soit qu'il est depuis longtemps «l'ennemi acharné de la président du PT, Louisa Hanoune.» Il est en parallèle « très proche de Sidi Saïd» et a cautionné toutes ses démarches. L'ex SG de l'Organisation a bien déclaré, à l'ouverture du congrès, qu'« il est de mon devoir en ma qualité de premier syndicaliste de l'UGTA, d'initier le processus de changement qui confortera l'UGTA dans sa mutation.» Dont acte... Autre responsable répondant aux critères requis aux yeux du pouvoir actuel «Abderrachid Tobi nommé, il y a plusieurs semaines, 1er président de la Cour Suprême,» rappellent nos sources. Pour avoir été chef de cabinet de l'APN, Tobi connaît très bien les arcanes du pouvoir passé et présent. Tout autant d'ailleurs que Belkacem Zeghmati, nommé avant lui procureur général près la Cour d'Alger. Des cautions parmi d'autres qui font que Gaïd Salah n'en démord pas. « La lutte contre la corruption n'attend pas (...). » avait-il répondu récemment à ceux qui pensent que les nombreuses séquences d'une justice expresse et de spectacle pouvaient être ajournées après la résolution de la crise politique dans laquelle s'enlise le pays. Il n'existe aucun fait fortuit depuis la démission forcée du Président Bouteflika. La planification des marches -qu'elles soient encadrées par les réseaux de Toufik ou « reconverties » en soutien à l'armée- ponctuent des batailles de pouvoir pour la récupération desquels la guerre n'est pas encore terminée.