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LES BIENS SE BRADENT

par Abdou BENABBOU

Le ramadan tire à sa fin avec son lot de soupirs amers et la résistance tenace des couffins. Il draine encore les appréhensions lourdes des examens scolaires passés et à venir et les attentes des familles qui tentent de s'adapter à la nécessité de croire à un avenir serein pour leurs enfants. Le fatalisme arabe a du bon et on fait comme si la vie est un long fleuve tranquille. Pourtant dans toutes les chaumières on sait que la pesante chape d'inquiétude plane sur toutes les têtes. On sait que la société tout entière est définitivement prise à la glu.

Sans doute faudrait-il s'accrocher à la naïveté d'admettre que celui qui a actionné la planche à billets a eu le génie contesté d'éviter le coup de massue à des pans entiers de la population. Les fonctionnaires et les retraités ont la faveur débridée d'une justification matérielle pour lui allumer un cierge pour une provision momentanée. A écouter des banquiers et à tendre l'oreille à moult acteurs économiques, la situation est dramatique. Pour échapper au passage inévitable à la trappe, la majorité des entreprises tentent vainement une hibernation estivale avant terme. Le commerce et l'immobilier tanguent et les marchés populaires et les souks n'affichent plus depuis un temps leur entrain coutumier. Les biens se bradent et les comptes bancaires se sont vidés à la mesure d'une confiance désintégrée. Bien qu'anodin mais signe des temps, les vendeurs de sucreries ont presque chômé ce ramadan. Ils annoncent avec une désolation naïve que les ères du sucrage sont bel et bien finies.

On a encore marché hier comme tous les vendredis. Partout avec la même hargne et les mêmes mots d'ordre. Les marcheurs ne sont pas des marcheurs du dimanche comme ils l'ont été pendant des décennies. Mieux que ceux qui sont payés pour s'en préoccuper dans des salons capitonnés, ils sont au fait de la situation dramatique du pays et ils ont conscience qu'à un moment ou à un autre ils ont accepté d'être bernés. Pouvait-il en être autrement quand on se réveille pieds nus et en haillons d'un cauchemar qui a duré plus d'un demi-siècle ? Pendant près de 60 ans. Ils n'avaient que la docilité corrompue comme monnaie d'échange face à de piètres illuminés, faux apôtres de bravades empiffrés et forts d'une légitimité usurpée, jusqu'à s'identifier à la souris ivre qui réclamait qu'on lui ramène le tigre pour le corriger. Cette fanfaronnade-là a été la pire des ennemies.