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MELANGES IMPOSSIBLES !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Émulsion. Roman de Kamel Benyaa. Editions Pixal Communication, Alger 2018, 700 dinars, 288 pages



Emulsion : «Suspension d'un liquide, divisé en globules, au sein d'un autre liquide, avec lequel il ne peut se mélanger» (Larousse).

En fait, en un mot, c'est là toute l'histoire de la colonisation française en Algérie : les deux pays, comme l'huile et le vinaigre, ne se mélangent pas... et à chaque rémission du mouvement (la bouteille de la colonisation secouée) les deux liquides se séparent et reprennent obstinément leur place naturelle. Inéluctablement, la loi de la nature triomphe pour reprendre ses droits.

L'histoire de la colonisation française... un temps bien long et bien tragique, intimement lié à l'Histoire d'une France (et de toute l'Europe chrétienne) d'abord désireuse de s'accaparer les palais, les harems et surtout l'immense trésor de la Régence d'Alger. Un véritable hold-up, le pays changeant de «propriétaire» en moins d'un mois, ensuite accompagné et transformé juste après en colonie de peuplement de tout le pays. Ce ne sont pas les résistances populaires (dont celles menées par Abdelkader et Fadhma N'Soumer)... qui manquèrent.

Suivra la guerre en Europe durant laquelle l'armée française est écrasée et humiliée mi-1871, à Sedan, par les Prussiens : chute de l'Empire, IIIe République, révolte du petit peuple de Paris qui mit en place la «Commune de Paris», son massacre par la coalition politico-militariste versaillaise... et l'abolition de l'autorité militaire et la mise au placard des «bureaux arabes» qui limitaient son influence. Le pouvoir civil colon avait désormais le vent en poupe.

Un plan machiavélique est alors mis en place après l'insurrection d'El Mokrani et de Cheikh Ahaddad (comprenant 250 tribus et 150.000 hommes, représentent le tiers de la population algérienne, en majorité de Kabylie et du Constantinois).

D'abord l'expropriation des propriétaires terriens. En Kabylie, on vit alors arriver des colons d'Alsace-Lorraine (occupée par le Prussiens) et du sud de la France qui se voient offrir, dès 1871, les terres confisquées... toujours les meilleures. 25.150 hectares. Des villages européens furent construits sur les deux rives de l'oued Sahl-Soummam

Ensuite, le rançonnage de la population. Des montants à payer pour chaque famille furent calculés et arrêtés. Un impôt de guerre de 1.363.200 francs pour la seule Kabylie (cent mille personnes touchées). Un véritable racket d'Etat. Enfin, un parodie de justice. Lors d'un «procès» qui eut lieu à Constantine, en mars-avril 1873, des sanctions multiples furent prises par les tribunaux civils et militaires : séquestres des meilleurs terres, impôts de guerre, emprisonnements, condamnations à mort, déplacements de groupes de population surtout vers la Syrie, condamnations aux travaux forcés et exil dans les bagnes de la Nouvelle Calédonie et de Cayenne...

Et, pour couronner le tout, les veuves des combattants et les épouses des déportés étaient arrachées à leur famille pour être exhibées comme des animaux de foire sur la place publique.

Des faits historiques véridiques sur fond d'une rencontre - dans une exploitation agricole de la plaine de Bougie - d'un «colon», un «communard», Joseph, ayant fui la misère parisienne et, surtout, l'oppression d'un pouvoir politique et militaire sanguinaire (avec un armée humiliée par les Allemands) et d'un jeune résistant kabyle, Mouloud, originaire d'Armila, ayant échappé à la répression coloniale. Les ascendants de combattants de la libération du pays !

L'Auteur : Originaire de la vallée de la Soummam (Sidi Aïch) médecin (allergologue) de formation, il a déjà a publié, aux éditions Pixal Communication, deux ouvrages, «Mes souvenirs au passé composé, Sidi Aïch : 1954-1962» en 2015 (présenté in Mediatic, 12 avril 2018) et «Éden en sursis, Alger 1964-1974» en 2017. Ici, il y raconte sa jeunesse, dans ce pan de l'histoire de l'Algérie contemporaine, par le prisme de la liberté, mais aussi de la déroute.

Extraits: «La France n'a cessé de secouer la bouteille de la colonisation depuis 1830. Elle n'a obtenu qu'une émulsion» (p 12). «Les convictions religieuses, le courage, la haine de l'opprimé ne suffisent pas pour gagner une guerre» (p 152). «Les Français ont toujours été cruels et implacables avec les Algériens depuis le début de l'occupation. Ils ont devenus encore plus féroces depuis l'avènement de la IIIe République» (p 190).

Avis : Le roman douloureux d'une nation et d'une région face à (et contre) l'occupation coloniale. Faits historiques et vies romancés se mélangent avec la précision et la netteté... du médecin spécialiste.

Citations : «Si l'intelligence de l'homme le différencie de l'animal, il a, en revanche, ses instincts prédateurs en partage. Il n'y a pas pire ennemi de l'homme que son semblable» (p 9). «L'armée et l'Eglise sont un couple indissociable dans la grande aventure des colonies. Elles ont toujours cohabité en bonne intelligence» (p 135)». C'est l'esprit scientifique et sa pratique qui donnent la dimension voulue à la conscience pour triompher. La pratique religieuse ne vaut que par la solidité des épaules de celui qui la porte» (p 154), «La conscience n'a pas droit de cité dans l'armée (coloniale) » (p 169).



La fin d'un monde. Roman de Anissa Boumediène. Editions Houma, Alger 2003, 550 dinars, 300 pages



Une véritable saga arabo-musulmane, partant d'une histoire vraie, celle d'une passion ayant défrayé la chronique dans la péninsule arabique et dont les protagonistes étaient deux poètes célèbres... Tawba Ibn al-Humayyir et Laylâ. Avec la description d'une passion hors du commun, célébrée dans des poèmes, il y a les passions politiques qui, à cette époque (le 7e siècle) de troubles et de grande violence, agitaient les gouvernants et leurs sujets.

Le héros, encore tout jeune homme, s'était trouvé immergé de manière fortuite et par l'intermédiaire d'une famille influente dans les coulisses du pouvoir (le «pouvoir profond», déjà !) qu'il ignorait totalement. Il va assister, triste privilège, à la «fin d'un monde», celui de la concorde entre tous les musulmans, tel qu'il existait du vivant du Prophète.

Bien après la mort de celui-ci, on eut des combats sans fin, chaque partie essayant de justifier le sien... en s'appuyant sur des versets coraniques pour se disputer le pouvoir, non sans tuer d'autres croyants musulmans comme eux. Le temps d'«al-fitna al-kubra» qui posait, en vérité, la question de la légitimité du pouvoir califal ! Tout particulièrement avec les opposants au troisième calife, Othman Ibn Affân (qui fut assassiné par des musulmans, ce qui fut la cause du premier grand schisme entre eux). Ils estimaient qu'au cours de la dernière période de ses douze années de règne, le calife s'était écarté du Coran, qu'il avait mal gouverné en faisant preuve de faiblesse, qu'il avait manqué de discernement en pratiquant le népotisme et le clientélisme... De nombreux griefs les autorisant, pensaient-ils, à réclamer sa destitution, voire son élimination physique pour le cas où il (le calife) ne se soumettait pas à leurs exigences. Pour sa part, le calife évoquait le serment d'allégeance... et invoquait de nombreux versets coraniques. Au fil de ses recherches, l'auteure a croisé beaucoup de femmes de cette époque : belles, cultivées, dotées d'une forte personnalité et d'un grand courage, participant, pour bien d'entre, elles aux batailles.

Certaines étaient poétesses comme Âtika Bint Zayd ou Asmâ Bint Abi Bakr... et surtout Laylâ el-Akhyaliyya... dont on découvre, dans l'ouvrage, l'histoire.

Un homme. Une femme. Ayant vécu leur passion, n'écoutant que leurs cœurs. La gloire avait fondu leurs noms (et leurs œuvres poétiques) dans le creuset de l'immortalité. Un amour de trop dans leur vie... mais un amour qui, «s'il les perdit dans l'esprit de leurs familles, ne fut point perdu pour le salut de la poésie». Sans cet amour, Tawba (une centaine de vers seulement nous sont parvenus) et Laylâ (seuls trois cents vers nous sont parvenus) «auraient existé sans vivre».

L'Auteure : Avocate, épouse et veuve du président Houari Boumediène, auteure d'une étude sur la vie et l'œuvre de la poétesse al-Khansâ («Moi, poète et femme d'Arabie», Edition Sindbad, Paris 1987).

Extraits: «Mes recherches se sont avérées très fructueuses puisqu'elles m'ont révélé à quel point les alliances matrimoniales pouvaient jouer un rôle non négligeable dans les alliances politiques de cette époque» (p 7). «A présent, les musulmans s'assassinent au nom du respect de la Loi divine. Ils se tuent les uns les autres au nom de Dieu. Chacun s'approprie la Parole d'Allah pour les besoins de sa cause, et les gens se battent avec férocité à coups de versets du Coran» (p 115).

Avis : L'histoire politique riche mais tourmentée et tragique de l'Islam... racontée à travers l'histoire d'un homme et d'une femme qui n'avaient pas eu peur d'aller jusqu'au bout de l'amour et du malheur. Au centre, la foi, la poésie... mais surtout et avant tout, les luttes continuelles pour le pouvoir.

Citations : «La vie appartient à celui qui ose : ceci est vrai en politique comme en amour. Quand on se laisse écraser par les contraintes, le conformisme et les conventions sociales, autrement dit qu'on refuse de devenir maître de son destin, il ne faut pas ensuite gémir et pleurer sur le fait qu'on meurt étouffé... Si, au début de sa prédication, il (le Prophète) avait cédé à la pression sociale, il n'y aurait jamais eu l'Islam» (p 25). «Il y a deux sortes de gens dont la vertu est un bien, et la corruption un mal pour les hommes : les savants et les gouvernants» (p 69). «Les gens avisés ont coutume de dire que l'amour est à l'âme ce qu'un bon repas est pour le ventre : si l'on n'en jouit pas, c'est à son détriment, mais si l'on en goûte à profusion, cela vous tue» (p 165). «La haine n'est qu'une autre face de l'amour. La haine, c'est l'amour qui ne se résigne pas à avoir été rejeté» (p 198). «La bonheur s'arrache, il n'est jamais donné. Le plus souvent, il doit s'édifier sur les ruines d'autres bonheurs, mais nous ne sommes pas responsables de la peine que nous causons malgré nous» (p 253).



AU FIL DES JOURS :

1. Le «dégagisme» radical est une passion, belle et utile. Mais, s'il est accentué jusqu'à l'anarchie, il servira surtout aux futurs ayatollahs du pays et autres charlatans que les médias populistes mettent déjà en scène» (Kamel Daoud, Banc public / Le Quotidien d'Oran, mardi 23 avril 2019)

2. 350.000 euros ! Vrai ou faux ? Info ou Infox ? Selon le journal électronique «Cap Algérie.dz» (dimanche 19 avril 2019), voilà ce qu'aurait coûté le nouveau site web de Sonatrach. Une somme modique par rapport à l'enveloppe de 1,980 million d'euros consacrée à la nouvelle identité visuelle et à la charte graphique de la Compagnie nationale des hydrocarbures.

Sonatrach : un monolithe pétrolier, à la gestion archaïque et à l'image vieillotte. Il fallait donc, selon le nouveau Pdg revenu (ramené ?) aux «affaires», rajeunir, sinon changer l'image de la Sonatrach. Pour ce faire, il a décidé de faire appel à « l'expertise étrangère ». Un appel d'offres international restreint (à la limite du gré à gré) permet à la filiale française de l'agence de communication TBWA de décrocher un marché de 10 millions d'euros (environ 210 milliards de cts de Da au change parallèle) . Pour cette somme l'agence devait auditer et renouveler la communication interne, institutionnelle, digitale, la relation presse et la communication de crise, ainsi que permettre de disposer d'un réseau d'«influenceurs» pour faire du lobbying en faveur de la Sonatrach.

3. Bouguerra Soltani, un homme politique, poursuivi par la foule en plein Paris (mais que diable allait-il y faire ?) et se réfugiant dans une bouche de métro, Hamraoui Habib Chawki, un ancien ministre, chahuté et traité de «chiyat» dans une avion de ligne (Alger - Lyon...(Mais que diable allait-il y faire ?), par les autres passagers, le wali d'Alger, Zoukh, renvoyé par les habitants de la Casbah après l'effondrement d'une habitation faisant cinq victimes, des (nouveaux) ministres et des walis se voyant refuser l'accès de lieux prévus pour des visites officielles, des personnalités «renvoyées» (et huées) des marches populaires du vendredi... Du jamais vu. Voilà donc qui démontre que la «foule» s'est bel et bien (ré-) appropriée les lieux publics (dont certains sont devenus emblématiques) pour, généralement, exprimer, pacifiquement et/ou avec colère, surtout ses indignations face aux échecs de leurs gouvernants d'aujourd'hui ou d'hier. Je ne crois pas que, quelles que soient les évolutions politiques à venir, la «rue du vendredi» (celle du mardi pouvant l'être car malgré tout réservée aux étudiants et enseignants dont on connaît les envolées, mais aussi les «atterrissages») sera totalement récupérée par les autorités. Et, c'est tant mieux pour la liberté d'expression. Mais, attention, se contenter de la seule colère... verbale et non physique... et respecter la liberté de circulation des biens et des personnes.

4. Le Hirak a du bon. Ainsi, on a une véritable «guerre des chaînes». Ainsi, Ennahar TV est montée au créneau pour répliquer à ce qu'elle qualifie de «campagne de dénigrement qui lui est menée par Echourouk TV» en publiant des documents compromettants... Tout a commencé avec une histoire d'achat des droits de diffusion du feuilleton «Rais Corso», en prévision du lancement de la grille Spécial Ramadhan. Toute une «guerre» des chiffres va suivre :

Mercredi 24, Ennahar a décidé d'enfoncer Echourouk en publiant des documents prouvant comment le groupe d'Ali Fodhil a bénéficié d'une manne financière de pas moins de 100 milliards de centimes durant le règne de la «Issaba»( la bande) et Ennahar promet même de nouvelles révélations sur les causes réelles de la «faillite» du groupe médiatique Echourouk. Pourvu que ça dure et que la scène s'élargisse ! Car, on aimerait bien savoir combien les journaux, tous les journaux, doivent réellement aux imprimeries de l'Etat : 300 ? 700 milliards de centimes ? Dont uniquement 100 pour Echourouk auprès de la Sia et Simpral et ce depuis 2012. Et, surtout, pourquoi une telle situation et pourquoi effacer ou même ré-échelonner les dettes ? Jusqu'à quand continuera-t-on à ne pas faire affronter les réalités économiques à nos entreprises et à nos «entrepreneurs» et fuir les «faillites» ? Politique politicienne quand tu nous tiens !

5. Le directeur général de l'Office national des droits d'auteurs et droits voisins (ONDA), Samy Bencheikh El-Hocine, a accordé récemment à un site électronique d'informations un entretien dans lequel il a réagi à la diffusion, par certaines chaînes de télévision privées algériennes, de séries et films sans en détenir les droits. Il dit avoir sollicité les autorités compétentes et engagé toutes les mesures légales possibles pour endiguer le phénomène du piratage de contenus protégés par des chaînes TV algériennes (sic !), notamment Echourouk TV, ciblée par plusieurs mises en demeure et poursuites judiciaires à l'étranger. Il annonce d'emblée que l'Office avait saisi la justice dans le passé, mais sans qu'il y ait la moindre suite, sous prétexte qu'il s'agit de chaînes de droit étranger.

Pour lui, les mesures engagées par les sociétés turques pourraient avoir des conséquences négatives sur les intérêts algériens à l'étranger (re-sic !), si toutefois les autorités algériennes ne réagissaient pas aux mises en demeure pour mettre fin aux piratages dont Echourouk s'est rendue coupable. Commentaire : On ne voit pas comment cela pourrait se faire puisque touts les chaînes de télé ont leur siège social à l'étranger ? D'ailleurs, c'est une cour de justice française qui a tranché dernièrement à propos d'un conflit entre Echourouk et Annahar.

6. Après un peu plus de 800 jours au pouvoir, le président américain Donald Trump vient de franchir un cap : celui des 10.000 déclarations «fausses ou trompeuses», selon le décompte du Washington Post. Et, depuis qu'il arrivé à la Maison-Blanche, en janvier 2017, il a ainsi récolté 21 «Pinocchios sans fin» (Bottomless Pinocchio), décernés par le quotidien suivant des critères stricts : la fausse affirmation doit avoir reçu 3 ou 4 Pinocchios et avoir été répétée au moins 20 fois.

7. Citation : «Le lieu des contradictions entre l'ordre et le mouvement, la maintenance et la dialectique se situe bien au cœur de l'Etat, c'est-à-dire dans l'armée» (Anouar Abdelmalek, ouvrage collectif, «L'armée dans la nation. Asie, Afrique, Amérique latine». Essai © Sned, Alger 1975).