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Article 102, Bensalah et les contestations populaires

par Ghania Oukazi

Le chef de l'Etat fait face à une déferlante contestataire haineuse dont l'objectif premier est de le faire partir et d'obliger l'état-major de l'ANP à sortir du cadre constitutionnel.

«En tant que chef de l'Etat, je m'adresse aujourd'hui à l'ensemble des Algériennes et des Algériens (?), pour leur affirmer qu'il s'agit là d'une mission constitutionnelle qui ne peut être que ponctuelle (?),» expliquait mardi soir Abdelkader Bensalah, dans un discours à la Nation. Il a précisé que « le tournant que va traverser notre pays débutera par une phase décisive qui consistera à remettre, constitutionnellement, les pouvoirs au président de la République, démocratiquement élu, dans un délai qui ne saurait dépasser les quatre-vingt-dix jours, à compter de la date de mon entrée en fonction, en tant que Chef de l'Etat. » Et « il est clair que le Chef de l'Etat désigné ne peut être candidat à la présidence de la République,» a-t-il dit encore. Le vice-ministre de la Défense, chef d'état-major de l'ANP, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah a conforté, hier, ces propos à partir de la 2ème Région militaire, en affirmant que « la conduite de la période de transition nécessite un ensemble de mécanismes dont la mise en œuvre doit s'effectuer, conformément, à la Constitution qui stipule que le président du Conseil de la Nation que choisit le Parlement avec ses deux chambres, après le constat de la vacance, assume la charge de Chef de l'Etat pour une durée de trois mois, avec des prérogatives limitées, jusqu'à l'élection du nouveau président de la République.» Les deux responsables tiennent ainsi le même discours. Gaïd Salah veut rassurer davantage la rue en soutenant que : « je voudrais confirmer, dans ce contexte, que la période de transition destinée à la préparation des élections présidentielles, se fera avec l'accompagnement de l'Armée Nationale Populaire, qui veillera au suivi de cette phase, au regard de la confiance réciproque entre le peuple et son armée, dans un climat de sérénité et dans le strict respect des règles de transparence et d'intégrité et des lois de la République.» Il est clair que Bensalah en tant que chef d'Etat depuis mardi dernier a été instruit pour ne pas lâcher prise.

L'armée accuse

Il fera un clin d'œil à Bouteflika en indiquant que « les valeurs de gratitude qui animent les enfants de notre peuple, nous commandent d'exprimer nos vifs remerciements et notre reconnaissance à ceux qui ont eu le mérite d'avoir déployé toutes leurs énergies pour permettre aux Algériens de se réconcilier entre eux, de vivre ensemble en paix et d'avoir contribué à bâtir un pays moderne, fort et respecté dans le concert des nations.» Et rendra un vibrant hommage «aux forces de notre Armée Nationale Populaire qui n'ont jamais failli à l'accomplissement, combien fondamental, de leur mission constitutionnelle et à la sagesse de son Commandement qui a opté pour le respect de la Constitution en tant qu'unique référence afin de permettre à notre peuple de réaliser ses aspirations et surmonter la crise actuelle.» Bensalah a tenté par son discours à la Nation de calmer les esprits en ébullition en mettant en avant le peuple et son « unité, cohésion, patriotisme, horizon démocratique nouveau, valeurs énoncées dans la proclamation de la glorieuse Révolution de Novembre, aspirations au changement, réformes et participation effective dans la prise des décisions afférentes à son avenir.» Mais « la formule » est loin de convaincre un « hirak » qui marche depuis près de deux mois, à contre courant de ce tout se qui se considère quelque peu légal et légaliste. Hier, la Grande Poste grouillait de monde et réclamait toujours son départ, celui de plusieurs B et de « tout le système (trouhou gaa).» Des revendications que l'armée ne pourra satisfaire que si elle sort du cadre constitutionnel. Ceux qui élaborent les slogans veulent certainement qu'elle le fasse. Ils ne baissent pas les bras et pensent faire partir Bensalah même par des moyens moins sereins. Certains d'entre eux veulent le faire au plus tard « dans quatre ou cinq jours. » Ils comptent sur la marche de demain, vendredi, qu'ils qualifient de « référendum » pour agir. L'Algérie s'emballe, les « preuves » du complot font rage, l'argent coule à flots, les compromissions et les alliances internes et externes sont effrayantes, des associations, des personnalités, les habitués des officines d'ici et d'ailleurs travaillent d'arrache-pied pour convaincre de « la bonne cause » du hirak? Et ce, même par l'instauration d'un bras de fer entre lui et l'armée. Gaïd apparente ce tableau à « l'apparition de tentatives de la part de certaines parties étrangères, partant de leurs antécédents historiques avec notre pays, poussant certains individus au devant de la scène actuelle en les imposant comme représentants du peuple en vue de conduire la phase de transition, afin de mettre en exécution leurs desseins, visant à déstabiliser le pays et semer la discorde entre les enfants du peuple, à travers des slogans irréalisables visant à mener le pays vers un vide constitutionnel et détruire les institutions de l'Etat, voire provoquer une déclaration de l'état d'exception(?). » Le chef d'état-major de l'ANP accuse clairement la France même s'il ne la cite pas nommément.

Gaïd Salah avertit

Par de tels propos, il ferme la porte -pour l'instant- aux demandes « irréalisables » des marcheurs et brandit la Constitution comme « unique référence. » La nouvelle feuille de route est expliquée par le chef de l'Etat à travers « un ensemble de mécanismes » à mettre en place. « C'est en concertation avec la classe politique et civile citoyenne que je me propose, en priorité et en urgence, de créer une institution nationale collégiale, souveraine dans ses décisions, à laquelle sera dévolue la mission de réunir les conditions nécessaires de préparation et d'organisation d'élections nationales honnêtes et transparentes. Le gouvernement et les services administratifs concernés seront chargés de la soutenir et de l'accompagner dans l'accomplissement de ses missions en toute liberté,» a dit Bensalah, tout en promettant que « l'accomplissement de cette mission devra prendre en charge la mise en application des dispositions des articles 7 et 8 de la Constitution , ce à quoi nous sommes tenus de concourir, citoyens, classe politique et institutions de l'Etat, afin de réunir les conditions, toutes les conditions, d'un scrutin présidentiel transparent et régulier, dont nous serons tous les garants, un scrutin qui permettra à notre peuple d'exercer son choix libre et souverain.» Autre mécanisme, « je veillerai, certes, à ce que le cadre juridique y afférent soit élaboré et mis en forme dans le meilleur délai, mais je demanderai à notre classe politique et citoyenne de faire preuve d'innovation, de participation et de confiance pour construire ensemble ce nouvel édifice juridique qui ouvrira la voie à la mise en place d'un tout nouveau système politique répondant aux aspirations de notre peuple. » Gaïd Salah dit plus en avertissant que « il appartient à tout un chacun de comprendre et assimiler tous les aspects et les contours de la crise, durant la période à venir, notamment dans son volet socio-économique, qui s'aggravera davantage si les positions obstinées et les revendications irréalisables persistent, ce qui se reflète négativement sur les postes de travail et le pouvoir d'achat du citoyen, notamment au regard d'une situation régionale et internationale tendue et instable. » Il demande à la rue de « faire preuve de patience, de conscience et de lucidité afin de réaliser les revendications populaires, guider le pays vers la paix et jeter les bases d'un Etat de droit et d'institutions.» Sa promesse phare à lui, « (?) la justice entamera des poursuites judiciaires contre toute la bande impliquée dans les affaires de détournement des fonds publics et d'abus de pouvoir pour s'enrichir illégalement. Il rassure « l'opinion publique que la question s'étendra à tous les dossiers précédents, comme l'affaire d'El Khalifa, de Sonatrach et du ?Boucher' et autres dossiers relatifs à la corruption qui ont occasionné des pertes considérables au Trésor public.»