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Mon général, entrez dans l'Histoire !

par Ahmed Farrah

Ce n'est pas une surprise pour ceux qui connaissent le système politique algérien qui s'est toujours régénéré et recyclé dans de nouvelles figures connues ou oubliées. L'intronisation formelle du nouveau chef d'État, Abdelkader Bensalah, rentre dans la logique du scénario prévu par les décideurs, qui font fi des demandes populaires et qui essayent de reprendre le service comme au tennis.

Pris au dépourvu, ils étaient pendant plusieurs semaines dans la réaction, ils veulent aujourd'hui inverser le set et prendre l'action. Mais, il leur sera difficile de contenir et convaincre les millions d'Algériens qui ont consommé la rupture de confiance avec le système qui n'a que trop duré.

Certes, le combat reste long et laborieux, mais le peuple demeure résigné à ne plus donner de chèques en blanc à ceux qui l'ont trahi, méprisé et qui le déprécient encore. La balle de match est dans le camp de l'institution militaire. Saura-t-elle écouter la voix du peuple au lieu de se concentrer sur celle du pouvoir qui s'enlise dans un acharnement dangereux pour la pérennité de l'Etat ?!

En reportant les élections présidentielles, le pouvoir a transgressé la constitution. Respecter son esprit et aller vers une transition strictement constitutionnelle en faisant un passage en force ne fera qu'enfoncer le pays dans une crise sans issue. Le chef des armées pourra entrer dans l'Histoire s'il permet la facilitation de l'édification d'une vraie république dans laquelle les libertés individuelles et collectives seront garanties, les citoyens égaux en droits et assurant la solidarité envers les plus faibles de la société. Pour ce faire, l'armée est la seule institution respectée, en mesure de garantir des élections présidentielles libres et transparentes qui donneront à la République un président légitime pour initier les fondations d'un Etat de droit. Cependant, les assurances qui rétabliraient la confiance du peuple pour remettre sa souveraineté à ses représentants ne se réaliseront qu'avec le départ des symboles de la corruption, de la fraude électorale et du mépris. Comme il faudra aussi cesser la répression et les provocations contre les étudiants, les journalistes, les avocats...

Quand une société est en miettes et quand les institutions sont gangrenées par la corruption et l'arbitraire, l'Etat devient sujet à des questionnements et les urgences indécises. L'hétérogénéité de la société algérienne ne pourra plus continuer à être cimentée par l'histoire récente de la guerre de libération et la religion. Les affirmations identitaires et culturelles sont très visibles et se transformeront sûrement en forces centrifuges et polarisantes si l'établissement d'une vraie république décentralisée garantissant la cohésion de la société algérienne n'est pas prise au sérieux. Ainsi, l'inversion du calendrier demandé par une large partie de l'élite algérienne qui voit la mise en place d'une autorité constituante avant l'organisation des élections présidentielles peut causer au pays un égarement dans des chemins tortueux et ne plus retrouver sa destination. Il est impératif que l'Etat garde le cap tracé dans la constitution mais accompagné de décisions politiques qui donneront le plus tôt possible au futur président de la République les mécanismes d'élaboration d'un nouveau contrat social ? une constitution pérenne ? entre le peuple et ses gouvernants. L'Algérie ne peut plus tergiverser et perdre du temps à se reconstruire, forte de sa tragique expérience des années 1990 et des revers des pays touchés par les Printemps arabes, elle peut faire l'économie d'un énième échec qui la ruinerait une fois pour toutes, morcellerait sa géographie et diviserait son peuple.