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Bras de fer entre la présidence et l'ANP: La bataille des rumeurs

par Yazid Alilat

Un emballement dans le bras de fer entre le chef d'état-major de l'ANP le général Ahmed Gaid Salah et la présidence au cours de ces dernières 72 heures a fait monter encore plus la tension politique dans le pays.

Une tension également provoquée par des rumeurs sur des réunions d'anciens responsables des services de sécurité, dont le général major à la retraite Mohamed Mediène, ou l'ex-président Zeroual, qui feraient partie d'un groupe de personnalités politiques volontaires pour assurer la transition, mais sans passer par la proposition du chef d'état-major d'appliquer l'article 102. Du côté de la présidence, des rumeurs ont circulé lundi sur une prétendue utilisation du sceau du président par son frère Said pour signer des communiqués d'une extrême importance.

Le tout à travers des médias dont l'objectivité est parfois suspecte. Il en est ainsi de cette rumeur ayant circulé sur Mohamed Mediène, qui aurait rencontré un agent de services de renseignements étrangers. L'ex-patron du DRS est ainsi sorti de sa réserve pour répondre à l'accusation d'Echourouk, qui avait diffusé l'information.

Dans un communiqué adressé à la presse, le général à la retraite explique que ?'dans la soirée du 30 mars 2019, la chaîne de télévision Echourouk s'est prêtée volontairement à une manipulation grossière en donnant une information invraisemblable qui ne correspond ni à mon éthique ni à mes principes ». Il ajoute que « je n'ai jamais rencontré, ne serait-ce qu'une seule fois, le personnage des services de sécurité qui est cité comme ayant assisté à cette pseudo réunion, depuis que j'ai quitté mes fonctions.

M'accuser d'avoir rencontré des agents étrangers pour évoquer des sujets relevant de la souveraineté nationale est une tentative délibérée de me porter préjudice», écrit Mediène, qui précise que «je suis connu à l'intérieur du pays et en dehors pour avoir combattu toutes les ingérences extérieures qu'elles soient politiques, culturelles ou économiques. Quelle que soit la gravité des problèmes politiques qui traversent le pays, je ne peux dévier en aucun cas le principe de la défense de la souveraineté nationale.

C'est une règle immuable que j'ai toujours respectée dans mon comportement et mes actes. » De son côté, l'ancien directeur de la sécurité présidentielle (DSPP) le général-major à la retraite Kehal Djamel dit Majdoub, a également démenti lundi dans un communiqué, avoir participé à une rencontre avec Liamine Zeroual et le général Toufik, une information rapportée cette fois-ci par Ennahar. « Je condamne et je démens toutes les informations infondées sur ma personne, qui ont fait état de ma participation à une réunion avec des personnes citées dans le reportage de la chaîne (Ennahar).  

Ce sont des informations fausses qui visent à porter atteinte à ma personnalité, qui est connue à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

Il ne s'agit que d'une tentative d'atteinte à ma réputation et mon parcours professionnel», a-t-il ajouté. Il a expliqué avoir juste «salué les personnes en question qu'il a rencontré sur le chemin de sa maison à la résidence d'État Moretti». « Je ne fais partie d'aucun clan en conformité avec mes principes et ma doctrine militaire au service de ma patrie », précise t-il. Par ailleurs, il y a cette réunion qu'auraient tenue un représentant du général Mohamed Médiène, dit « Toufik » avec d'anciens responsables dont Ahmed Benbitour, Taleb Ibrahimi, le commandant de l'ALN Lakhdar Bouregaa, des personnalités politiques, un représentant officiel de la présidence de la République, et même l'ex-Premier ministre Abdelmadjid Tebboune, et surtout l'ancien président Liamine Zeroual. L'objectif de cette réunion était de contrer, selon certaines sources, la proposition du chef d'état-major Ahmed Gaid Salah d'appliquer l'article 102 pour destituer le président Bouteflika. La feuille de route qu'auraient imaginée ces personnalités était de désigner Liamine Zeroual pour présider une instance collégiale qui dirigera une période de transition nationale, alors qu'Ahmed Benbitour sera nommé Premier ministre chargé de mettre en placer un gouvernement de transition en attendant l'organisation d'une nouvelle élection présidentielle.

Officiellement, rien de tout cela n'est vrai. Pourtant, dans la soirée de samedi 30 mars, le chef d'état major Gaid Salah a tenu une réunion en urgence avec des commandants de forces et de la 1ère RM, à l'issue de laquelle il a souligné que « certaines parties malintentionnées s'affairent à préparer un plan visant à porter atteinte à la crédibilité de l'ANP et à contourner les revendications légitimes du peuple ». Et Gaid Salah confirme qu' « en date du 30 mars 2019, une réunion a été tenue par des individus connus, dont l'identité sera dévoilée en temps opportun, en vue de mener une campagne médiatique virulente à travers les différents médias et sur les réseaux sociaux contre l'ANP et faire accroire à l'opinion publique que le peuple algérien rejette l'application de l'article 102 de la Constitution ».  

Pour Gaid Salah, « toutes les propositions découlant de ces réunions suspectes, qui vont à l'encontre de la légalité constitutionnelle ou portent atteinte à l'ANP, qui demeure une ligne rouge, sont totalement inacceptables et auxquelles l'ANP fera face, par tous les moyens légaux ». Le message est clair, d'autant que le bras de fer entre la présidence et le chef d'état major de l'ANP ne fait qu'empirer, avec ces informations diffusées dans la journée de lundi selon lesquelles il serait « sur un siège éjectable ». Car après le début d'une enquête judiciaire contre des « hommes d'affaires » proches du clan des Bouteflika, ordonnée par l'armée, selon Echourouk, la présidence a donné un communiqué ambigu.

Il annonce que le chef de l'Etat allait partir avant le 28 avril et qu'il va annoncer d' « importantes mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l'État durant la période de transition». « La nomination du nouveau gouvernement en date du 31 mars 2019 par son Excellence M. Abdelaziz Bouteflika, président de la République, sera suivie par d'importantes décisions qu'il prendra, conformément aux dispositions constitutionnelles, à l'effet de permettre d'assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l'État durant la période de transition qui s'ouvrira à la date à laquelle il décidera sa démission ». Selon des informations qui circulent dans le landerneau politique algérois, le président Bouteflika compte désigner, avant de partir, un nouveau président du Conseil de la Nation pour remplacer le chef de l'État après sa démission.

En décidant de cette mesure, le président sortant, qui devrait désigner un de ses proches, va ainsi répondre aux revendications de la rue pour le changement du système. Il confiera en outre à un proche la mission de mener la transition.

L'autre effet des « mesures » envisagées par Bouteflika avant de partir concerne directement le vice-ministre de la Défense et chef d'état major Gaid Salah.

La rumeur, démentie, a enflé sur le possible départ de Gaid Salah après qu'Ennahar TV ait annoncé lundi en fin de journée, selon une source proche de la présidence, «des décisions importantes après l'ouverture d'enquêtes judiciaires (contre les hommes d'affaires) sans l'accord de la présidence ». Dans la soirée, la riposte est venue à travers les chaînes Echourouk et El Bilad, qui ont affirmé que le communiqué de la présidence de la République a été rédigé par Said Bouteflika et non par le président lui-même. Autrement dit, la guerre des « rumeurs», vraies ou fausses, va encore durer entre la présidence et l'état-major de l'ANP, probablement jusqu'au départ du président.