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Selon l'ex-chef de gouvernement Ahmed Benbitour: Une transition de 8 à 12 mois pour sortir de la crise

par Yazid Alilat

  L'ex-chef de gouvernement Ahmed Benbitour (décembre 1999 - août 2000) a appelé, hier dimanche, à un changement complet du système de gouvernance en Algérie, dont le fonctionnement des institutions du pays, qui doivent prioriser la compétence et la transparence. Il a expliqué à la radio nationale, par rapport à la situation politique actuelle dans le pays, que la «nature du pouvoir actuel se caractérise par l'autoritarisme, le paternalisme et le patrimonisme, avec un cercle et des courtisans. Et donc un gap énorme entre gouvernants et gouvernés, et une hiérarchie militaire mal informée». En outre, l'économie nationale «est basée sur la rente. On avait une situation financière exceptionnelle, on avait des réserves de change de trois années sans avoir à exporter, un taux d'épargne de 50% du PIB, un budget excédentaire. Par la suite, on a enfoncé l'économie dans la dépendance, la facture d'importation est passée de 12 milliards de dollars en 2001 à 68 mds de dollars en 2014, et plus de 8 mds de dollars de bénéfices des sociétés étrangères, soit 76 mds de dollars qui partent à l'étranger». Il ajoute que le «budget de fonctionnement en 2011 a augmenté de 140%. Depuis 2014, il y a la baisse des recettes pétrolières, on est passé de 63 mds de dollars en 2013 à 27 mds de dollars en 2016». «Nous sommes en pénurie de financement aujourd'hui et nous serons en pénurie de consommation en 2021», a-t-il affirmé, avant de relever qu'«avec cette situation, c'est normal que la population sorte pour réclamer le changement».

Sur les manifestations populaires pour le départ du régime, M. Benbitour estime qu'''avec ce nouveau rapport de force en faveur de la rue, cette dernière doit définir un objectif clairement établi, une feuille de route pour cet objectif, et désigner ses représentants. Il faudrait du côté du pouvoir qu'ils comprennent que c'est la fin de leur existence comme gouvernance, et négocier leur départ». Pour M. Benbitour, «nous sommes dans une impasse où il y a la rue qui comprend qu'il faut une feuille de route et un négociateur, et que le pouvoir doit négocier la façon avec laquelle il doit partir, sinon on passera de la non-violence à la violence». «Voilà les enjeux d'aujourd'hui'» , dit-il. Il explique par ailleurs que l'article 102 passe par «le Conseil constitutionnel, et par l'avènement d'un chef d'Etat provisoire. Je pense que la rue ne veut pas de ça, ensuite le Conseil constitutionnel n'a pas répondu à la demande. Il y a eu ensuite les articles 7 et 8, et donc on peut ne pas appliquer l'article 102 en appliquant d'abord la souveraineté populaire et le pouvoir du peuple à gérer ses institutions», explique M. Benbitour, selon lequel «c'est le message de Gaïd Salah, c'est mon interprétation. Si le Conseil ne répond pas à la demande, on peut le contourner tout en restant dans la Constitution». Pour l'ex-chef de gouvernement, «le recours aux articles 7 et 8 font qu'on peut passer à une période de transition sans avoir à passer la période des 45 jours et 90 jours de transition. Aujourd'hui, on peut imaginer une période transition de 8 à 12 mois, qu'il faut préparer, et s'apprêter à vivre une période d'austérité, et que l'on prépare le programme nécessaire pour une élection présidentielle de sortie de crise». Il explique, par ailleurs, que «la rue doit nécessairement comprendre qu'elle doit désigner son négociateur, la manière de mettre en oeuvre son programme», avant de proposer que «si elle a besoin de consultation, je suis prêt. Si on a besoin de ma consultation, je suis prêt à l'offrir».

Ensuite, il explique, s'adressant aux leaders de l'opposition, qu'il faut qu'«ils choisissent un ou des représentants pour définir leurs objectifs et assurer les moyens d'y arriver», car «ce n'est pas une période de transition pour les élections, mais une transition pour préparer la mise en oeuvre des solutions, et cela demande du temps effectivement, et une fois que ces choses-là sont prêtes, on a plus d'assurance que lorsqu'il va y avoir des élections, elles apporteront les solutions nécessaires».

M. Benbitour affirme d'autre part qu'il faut qu'il y ait «un changement de système: quand on parle de système, il faut changer le comportement des individus, mais également les institutions, la justice, les collectivités, tout cela doit changer avec le choix des fonctionnaires sur la base de la transparence totale et la compétitivité, il faut revoir le fonctionnement de l'école». «Nous avons besoin, dit-il, de réformer complètement l'école pour améliorer l'accès au savoir et le démocratiser. Ce sont des problèmes assez complexes qui nécessitent beaucoup de travail, et donc quand on va aux élections on y va avec des programmes clairement établis, qui permettent des solutions de crise». Pour lui, «il ne faut pas se contenter de changer le système, mais les personnes, elles doivent partir, bien sûr. Il faut la promotion des compétences nationales, dans tous les secteurs, et on peut remplacer les instituts de recherche qui ne fonctionnent pas, comme l'INESG, par des commissariats à la promotion des compétences nationales, un haut commissariat à la prospective, un haut commissariat à l'écriture des réformes, un haut commissariat à l'éducation citoyenne, la présidence aura les instruments nécessaires pour définir ses politiques».

Pour l'économie, il suggère «15 pôles d'investissements, avec des monographies axées sur les priorités d'investissement avec des banques d'affaires... etc., nous avons besoin d'un démarrage rapide». Pour les moyens devant être mis en oeuvre pour dépasser la crise, il explique, partant des cas tunisien et égyptien, que «les gens qui sont en train de manifester dans la rue doivent définir un objectif et des négociateurs pour réaliser cet objectif, deuxièmement les forces de l'ordre sont restées du côté de la population et pas du côté du pouvoir, le 3ème scénario est que les tenants du pouvoir sont soumis à une terrible pression, et ont tout intérêt à partir le plus vite possible pour sauvegarder leurs personnes, et le quatrième scénario est la capacité de mobilisation à travers les réseaux sociaux.

Ce sont quatre scénarios pour trouver la solution et le chemin vers la sauvegarde». Pour autant et sur la position de l'armée, il estime que «je ne pense pas que l'armée est contre le pouvoir : il y a d'un côté la rue et de l'autre côté le pouvoir, qui est en place et l'armée est partie prenante de ce pouvoir, c'est connu». M. Benbitour compare le pouvoir actuel à «un Etat déliquescent». «Le cinquième critère de définition (d'un Etat déliquescent) est l'émiettement des pôles au sommet de la hiérarchie de l'Etat, et comme nous sommes dans un Etat déliquescent, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait cet émiettement au niveau des pôles, et c'est dans la nature du système de pouvoir. C'est pour cela qu'il faut le changer complètement», affirme M. Benbitour.