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Un cadeau empoissonné

par Mahdi Boukhalfa

C'est devenu pratiquement une réunion hebdomadaire du peuple pour dire chaque vendredi un peu plus fort au pouvoir de partir. C'est une révolution qui s'est mise en place et ne veut plus de demi-mesures pour sortir autant de l'impasse constitutionnelle dans laquelle le président sortant a mis le pays que refuser des solutions de circonstance qui sont autant de pièges pour la toute nouvelle démocratie. Les Algériens ont donc massivement répondu, à leur manière et de façon catégorique, à une première solution de sortie de crise, proposée par les militaires.

Certes, l'intervention de l'ANP a permis de rassurer les Algériens sur la justesse de leurs revendications autant que sur leur volonté de changer le système, mais le bras protecteur de l'armée ne peut aller au-delà des limites constitutionnelles et ses missions républicaines. Ce rôle, c'est bien évidemment les «civils», les forces politiques nouvelles, les institutions régaliennes de la République qui doivent le mettre en œuvre, l'appliquer, pas l'ANP qui a d'autres missions. Ce jeu malsain de laisser la situation aller vers le pourrissement, de provoquer des interstices pour favoriser l'intervention de l'armée est contre-productif et dangereux. Sinon comment expliquer, même si le peuple a déjà donné son verdict sur le 102, que le Conseil constitutionnel reste de marbre et se mure dans le silence, alors que les dispositions de l'article 102 sont claires ?

A l'évidence, on peut reprocher autant à la troisième institution du pays de ne pas s'autosaisir face à l'urgence de la situation que de lui reconnaître une certaine prudence, l'application du 102 dans le contexte actuel étant devenue, à défaut d'être empoisonnée, dépassée. Le peuple a dit « non » à cette solution pleine de champs de mines, car elle n'est plus porteuse de délivrance politique, mais de retour vers le «néant» politique, la situation « ante ». Et donc il faut dès lors tout revoir et proposer des solutions de sortie de crise plus réalistes, notamment la mise en place d'un gouvernement de transition comme le réclament les Algériens, et préparer ensuite des élections présidentielles. Dans le calme et la bonne humeur, car le peuple qui sort chaque vendredi depuis le 22 février dernier est déjà dans une nouvelle configuration politique, celle de l'après-régime Bouteflika.

Il n'y a plus de retour en arrière possible et toute manœuvre pour imposer le statu quo ne sera qu'une perte de temps politique et économique dommageable pour le pays. Or, le temps, les Algériens ne peuvent le dépenser comme si on entre dans le supermarché des combinaisons politiques et des alternatives socio-économiques : on ne peut ni l'acheter, ni le négocier, encore moins le consommer sans garde-fou, sans précaution. C'est en somme la solution du 102 qui a volé en éclats et qui, présentement, a provoqué un autre blocage politique pour une rapide et douce décantation. Pour autant, il faut également éviter les fausses manœuvres politiciennes, populistes, qui voudraient calmer la situation mais à portée temporelle limitée, comme les politiques aventureuses qui ne feraient que faire durer la crise. Le comble, c'est ce cadeau empoisonné que laisse aux Algériens une Constitution triturée à l'envi, mais au profit d'une caste qui ne prend pas en compte, pour rester dans la légalité républicaine, la situation actuelle. Rageant !