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Une équation à plusieurs inconnues

par Mahdi Boukhalfa

Dans les situations politiques extrêmes, tendues ou critiques, on dit souvent qu'il ne faut pas « tirer sur l'ambulance». Qu'il est inutile de ruer dans les brancards à moins de vouloir achever le malade. C'est en somme ce qui est en train de se passer au lendemain de l'annonce de la « solution» de la grande muette à la crise politique actuelle dans le pays. Que l'armée intervienne dans des prérogatives politiques, qui sont plutôt du ressort des partis ou du Conseil constitutionnel, pour aider à l'amorce d'un début de décantation du blocage politique et institutionnel actuel, c'est dans le fond recevable au regard des implications que pourrait avoir un dérapage de la situation. Par contre, appeler juste après la sortie du chef d'état-major de l'ANP le président Bouteflika, que l'on a soutenu envers et contre l'avis de millions d'Algériens, à démissionner n'est pas et n'a aucune relation avec un quelconque courage ou une lucidité politique. Encore moins participer à un dénouement rapide et consensuel de la crise.

L'opportunisme a toujours étouffé des partis de la majorité. Par contre, le repositionnement du RND derrière l'ANP confirme qu'il n'a, tout autant que beaucoup d'autres partis, à aucun moment milité pour qu'il ait une personnalité ou une crédibilité à défendre. L'incantation de l'article 102, que l'opposition estime aujourd'hui dépassée autant par les événements que par l'état de santé même du président Bouteflika, ne peut servir d'alibi à d'autres fuites en avant qui remettraient à plus tard le passage rapide vers le retour à la légitimité populaire. Car les ralliements opportunistes à l'application de cet article de la Constitution ne vont pas régler le problème de la transition. Ou accélérer, avant le 28 avril, le départ du président pour quelque motif que ce soit. Manœuvre politicienne en provenance du RND et des militaires ou impasse politique non prévue par la Constitution, le passage obligé par l'article 102 est autrement pénalisant pour le pays qui a besoin de cette période de 90 jours pour se remettre bien avant au travail et commencer à rebâtir une autre Algérie.

Si beaucoup ont applaudi cette intrusion, dans laquelle s'est engouffré le RND, de l'institution militaire dans la crise actuelle et que d'autres l'avaient même appelée de leurs vœux, il reste que les revendications d'un changement politique radical doivent être remises au placard, sinon mises en mode « pause». La raison est simple: en plus d'imposer le président du Conseil de la Nation, l'article 104 de la Constitution dispose que le gouvernement en place ne peut être démis ou remanié avant l'entrée en fonction d'un nouveau président qui sera élu. Le chef du RND a compris la faille et avancé ses pions en appelant le président Bouteflika, outre à démissionner, à nommer un gouvernement forcément composé de technocrates proches du pouvoir et chargé de la transition. Ce gouvernement, s'il sera nommé, ne pourra plus être ensuite «dégommé» en vertu de l'article 104.

Aller donc vers l'application de cet article, c'est valider tout ce qu'a fait Bouteflika qui laissera, en partant, maintenant ou dans moins d'un mois, un cadeau constitutionnel empoisonné. Invoquer la Constitution pour trouver des solutions républicaines et démocratiques à l'après-Bouteflika est une chose, éviter les pièges d'une loi fondamentale remaniée et minée par le régime que l'on veut déboulonner en est une autre.