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Plateau technique, affectations, départ des médecins à l'étranger: Le constat alarmant du Pr Kamel Bouzid

par Yazid Alilat

  «Beaucoup de choses ne vont pas bien dans le secteur de la santé publique», a estimé hier mercredi le Pr Kamel Bouzid, président de la société algérienne d'oncologie médicale. Il a expliqué à la radio nationale que le débat sur la réforme de la santé «concerne tout le monde, aussi bien les citoyens que les gens de la santé», rappelant que la nouvelle loi sanitaire a été adoptée en juillet 2018. «Maintenant, a-t-il fait remarquer, on attend les textes d'application, et l'implication du ministère du Travail et de la Sécurité sociale pour les remboursements, la nomenclature des médicaments...».

Pour autant, il estime que «beaucoup de choses ne vont pas bien dans le secteur de la santé, dont la formation médicale et paramédicale : les médecins sont formés selon la réforme de l'enseignement supérieur de 1971, donc cela date de 48 ans». «Une réflexion a été conduite par les doyens des facultés de médecine et, en septembre 2018, a été mise en place la première application de ces réformes et destinée à recevoir dans sept ans les nouveaux médecins», a-t-il expliqué, avant de préciser que «la formation des médecins spécialistes doit connaître des modifications, et il doit y avoir un effort particulier pour la formation médicale continue». Selon le Pr Kamel Bouzid, le système national de santé ne va pas bien, relevant que «c'est clair ce qu'on voit depuis déjà un bon moment, car au lieu de valoriser, on dévalorise. Les bureaucrates se complaisent dans des situations aberrantes, c'est un gâchis épouvantable». Pour lui, la réponse aux deux crises des médecins résidents en 2011 et en janvier 2018 «n'a pas été à la hauteur des aspirations de ces médecins». «On a centralisé les décisions d'affectation au niveau du ministère, qui n'ont aucun lien avec ce qu'il se passe sur le terrain, et on arrive à des aberrations comme un médecin spécialiste, qui travaille une fois par mois et qui est payé avec la complicité des bureaucrates, les directeurs de santé de wilaya, pas tous bien sûr, et les directeurs des établissements hospitaliers». Le Pr Kamel Bouzid enfonce le clou en affirmant qu'on «leur dit faites semblant de travailler, on fait semblant de vous payer. Cela dure un, deux, trois, quatre ans, et puis ces médecins soit vont s'installer dans des cabinets, ce qui est dangereux car ils n'ont pas vraiment travaillé, soit la tendance actuelle, et c'est l'hémorragie, partir vers la France, l'Allemagne, les pays du Golfe, les Etats-Unis et le Canada». Il a cité le chiffre de 12.000 demandes de départ pour la France donné par le Dr Bekkat Berkani, puisque «c'est lui qui a signé ces demandes. Et les médecins algériens continueront à partir». «Le système est fait de telle façon qu'on chasse les médecins», estime-t-il, avant de relever que «la réponse à la crise de 2011 et surtout de celle de 2018 a été un silence assourdissant, alors que les médecins demandaient des affectations qui répondaient a un réel besoin de travailler, ainsi que des plateaux techniques». Pour le président de la société algérienne d'oncologie, «il faut une réforme globale, que chacun soit conscient de ses responsabilités, que ce soit les soignants, surtout les gestionnaires et l'autorité centrale». Car «il est anormal qu'en 2019, les décisions d'affectation des médecins spécialistes dans le cadre du service civil soient prises par le ministère avec tout ce que cela sous-entend comme clientélisme». «On impose à ces médecins, a-t-il dit, de faire le service civil et on ne leur donne aucun moyen pour faire leur métier. On doit décentraliser les affectations, et déléguer les affectations aux directeurs de santé de wilaya, qui doivent faire des appels à candidature» pour recruter les médecins spécialistes.

Sur le fonctionnement des services des urgences dans les hôpitaux algériens, il a déploré «une situation dramatique, avec des agressions permanentes du personnel médical notamment», avant de relever que «ce problème est enregistré dans les structures de santé du secteur public, mais pas dans le secteur privé», accusant le comportement violent de certains accompagnateurs de malades. Et puis sur le volet équipements médicaux dans les structures de santé publique, il y a «un grand gaspillage». «La majorité des scanners sont en panne dans le secteur public, pendant au moins un an, et donc tout le monde est envoyé vers le secteur privé. C'est valable pour la biologie, il y a un gâchis en moyens et cela est de la responsabilité des soignants et des gestionnaires», a-t-il dit, avant de s'interroger : «comment un appareil acheté à 5 millions de dollars ne marche pas pendant 10 ans». Pour lui, «c'est l'utilisation des moyens techniques mis en place par l'Etat qui pose problème, alors qu'il faut qu'il y ait un changement des moyens techniques tous les 6 mois».