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Ces cris du cœur

par Mahdi Boukhalfa

La colère de la rue ne faiblit pas contre la volonté du président Bouteflika d'aller jusqu'au bout de sa logique de briguer, coûte que coûte, un 5ème mandat qui est en train de tourner à la révolte populaire. Hier encore, les étudiants sont sortis dans la rue pour la troisième journée consécutive en cette semaine finissante avant la troisième grande épreuve populaire de vendredi 8 mars. Cela est en train de prendre la forme d'un bras de fer extraordinaire entre la volonté populaire, dans un parfait mouvement pacifique synchronisé de faire barrage à un 5ème mandat, qui se présente plus comme une obligation morale, et celle de parties au pouvoir de faire passer au forceps une mandature que la rue refuse.

Le cri de protestation des étudiants, un peu partout dans le pays, pour le moment politiquement correct, et un certain professionnalisme des forces de police, il faut bien le souligner également, ne peut rester indéfiniment sur les bords de la protestation angélique, mais doit être écouté et compris, avant que les choses n'aillent là où personne ne le souhaite. Faire machine arrière, revenir sur cette élection et la lester d'une très bonne dose de patriotisme, de clairvoyance politique et, plus que tout, de concessions citoyennes devant la volonté populaire, n'est pas une défaite ni un échec quand l'avenir de la nation en dépend. Avant qu'il ne soit trop tard, il est extrêmement recommandé, en ces moments où l'expression populaire s'est libérée, où les lignes rouges ont été fracturées, de bien décrypter cet élan d'une jeunesse qui veut reprendre son destin en main. Ne pas comprendre, maintenant, ce désir de délivrance exprimé par toute une jeunesse qui, il n'y a pas longtemps, avait abdiqué à améliorer son sort et ses futurs possibles, serait une faute grave. Et qui sera dommageable pour le pays.

La question est posée et il appartient au gouvernement, aux plus hautes autorités du pays d'écouter « ce cri du cœur » des Algériens qui ont trop souffert, fait trop de concessions, qui ont patienté longtemps pour que leur désir de changement soit jeté dans la poubelle de l'histoire. Il faut le répéter et le confirmer : les forces de sécurité sont restées jusque-là très professionnelles, sans doute encadrées par des instructions fermes d'éviter les provocations d'intrus à ces manifestations. En face, les cris de « silmya, silmya » doivent être interprétés par le gouvernement comme un autre raccourci politique citoyen vers la libération de la volonté populaire, maintenant que l'échec des partis est patent, d'imposer le changement, maintenant et de la manière la plus civilisée qui soit. En fait, ce besoin pressant de changement social, politique et économique dans la gouvernance du pays, longtemps légué par les Algériens aux partis, qui n'ont pu réaliser la transition politique, a été repris par ceux auxquels il est destiné. C'est en tous les cas l'image et le sentiment qui se dégagent de « ce ras-le-bol » général des Algériens qui ne semblent plus enclins à des concessions, à ne plus être ni floués dans leurs espérances à une vie meilleure, encore moins trompés quant à leur avenir. Il reste que cette élection présidentielle du 18 avril, dans le cas où elle est maintenue en dépit de la volonté populaire de rejet du 5ème mandat, ne doit pas être le terrain à des antagonismes qui mettront le pays en danger.