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L’Afrique est sauvée, elle aura sa zone de libre-échange

par Akram Belkaïd, Paris

Que faire quand on manque d’idées en matière de développement économique et de progrès social ? La réponse, fréquente depuis plusieurs décennies, consiste à agiter la promesse de lendemains meilleurs, grâce à une plus large ouverture commerciale. C’est ce que vient de faire l’Union africaine (UA), engagée dans la mise en place d’une zone de libre-échange (ZLE), comme cela fut décidé en mars 2018 lors du sommet de Kigali. Dans les faits, cinquante-deux pays sur cinquante-cinq ont signé l’accord de création de cette zone de libre-échange continentale. Mais, pour l’heure, seuls dix-neuf l’ont ratifiée sur un minimum nécessaire de vingt-deux pays pour que l’accord devienne effectif et que la ZLE existe vraiment. Lors du dernier sommet de l’UA, le président en exercice, l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi, a promis que cette zone de libre-échange constituerait sa priorité. Une question simple se pose: une zone de libre-échange pour quoi faire ?

Les infrastructures, la vraie priorité

A entendre les experts de l’UA et de la Banque africaine de développement (BAD), l’ouverture commerciale en Afrique généra de multiples bienfaits: hausse de 15% du commerce intracontinental et augmentation des volumes d’échanges intra-régionaux. Dans chaque argumentaire, où sont avancés des chiffres que nul ne peut vérifier (de 100 à 3.000 milliards de dollars de flux commerciaux), la référence, implicite ou explicite, à d’autres zones de libre-échange revient sans cesse. L’Europe, l’Asie ou même l’Amérique latine avec le Mercosur sont citées en exemple à suivre.

Il est évident que le commerce a toujours été un facteur de développement. Depuis l’Antiquité, les échanges qu’il induit façonnent des pays et canalisent à la fois les investissements et les projets d’infrastructure (routes, ports, usines, etc.). Mais dans le cas de l’Afrique, on peut se demander si insister sur la priorité à accorder à une zone de libre-échange ne revient pas à mettre la charrue avant les bœufs. Le continent a un besoin criant d’infrastructures, notamment routières et ferroviaires. Sans elles, pas d’échanges commerciaux faciles, pas de distribution de produits, pas de stratégies logistiques pour telle ou telle entreprise. Or, à cette question des infrastructures, l’UA a tendance à tourner en rond depuis plusieurs années.

L’autre grand problème posé par la ZLE continentale réside dans le respect des règles du jeu et la protection des productions locales contre celles qui viendraient d’ailleurs. Cela passe notamment par la définition des règles d’origine. Une zone de libre-échange signifie qu’un produit fabriqué au Nigeria entrera sans droits de douane au Ghana ou en Côte d’Ivoire et vis-versa. Mais, quelle définition donner au «made in» sur le continent ? Quel niveau d’intégration doit-on fixer ? Que faire du cas de produits importés d’ailleurs, comme par exemple de Chine ou d’Europe, et simplement assemblés sur place ? Les risques de contournement sont nombreux et, avec eux, les dangers de crise commerciale entre pays africains.

Le danger de l’import-import

La question qui se pose donc est de savoir comment faire pour que la ZLE africaine ne soit l’occasion de la généralisation d’un «import-import» africain où des produits non africains seraient écoulés sur le marché continental sans paiement de droits. Des droits dont les Etats ont besoin pour financer leurs besoins sociaux, leurs programmes d’investissement en infrastructures et pour leurs efforts d’industrialisation.