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Rabat rappelle son ambassadeur, Maroc-Arabie saoudite : c'est la crise

par Mahdi Boukhalfa

Coup de froid entre Ryadh et Rabat, après que le Maroc ait confirmé hier vendredi le rappel de son ambassadeur dans le royaume saoudien. Plusieurs médias marocains, dont le 360.ma, proche du palais, ont indiqué que le Maroc a rappelé à Rabat son ambassadeur, Mustapha Mansouri, pour consultations. Pour le moment, aucune annonce officielle n'a été donnée sur ce rappel, et l'ambassadeur marocain a juste confirmé son rappel pour consultations. Silence également à Rabat à l'ambassade d'Arabie Saoudite, sur cette tension entre les deux pays, décrite par M. Mansouri comme «une crise passagère». Selon un responsable gouvernemental marocain, cité par l'agence Reuters, l'ambassadeur était au Maroc depuis environ une semaine, sans en préciser la raison. Cette crise entre les deux pays est expliquée par des médias proches du palais par la diffusion d'un documentaire de la chaine saoudienne Al Arabya, la rivale d'Al Jazeera dans la région, sur le Sahara Occidental et le peuple sahraoui, affirmant que le Front Polisario est le seul et légitime représentant de ce peuple. Dans ce court documentaire diffusé il y a presque une semaine, Al Arabya a en fait présenté le dernier dossier de décolonisation en Afrique et a expliqué que le Front Polisario est reconnu par l'ONU comme le représentant légitime du peuple sahraoui. Une manière comme une autre de lancer des attaques directes contre le Maroc, après que son chef de la diplomatie Nasser Bourita ait affirmé dans un entretien à la chaîne qatarie Al Jazeera que le Maroc n'était pas disposé à recevoir le prince héritier Mohamed Ben Salmane, lors de sa tournée dans plusieurs pays, dont l'Algérie, début décembre 2018. Le ministre marocain a également confirmé à la chaîne du pays «honni» par l'Arabie saoudite la fin de la participation des forces armées de son pays à la guerre déclarée contre le Yémen depuis 2015 par Ryadh. De telles déclarations ont provoqué une telle colère à Ryadh qu'Al Arabya est entrée dans le bal pour monter un documentaire qui rendrait sa pièce au Maroc. Selon Abdel Bari Atwan, l'ancien directeur d'Al Qods El Arabi, actuellement à Rai Al Youm, «l'Arabie saoudite présente le Front Polisario comme un État et le représentant légitime du peuple du Sahara Occidental, en réponse au refus du Maroc de recevoir le prince héritier Mohamed Ben Salmane et de se retirer de la guerre au Yémen», écrit le journal paraissant à Londres. Quant à Al-Quds Al-Arabi, toujours dominé par les Palestiniens et financé par Ryadh, il estime que «l'Arabie saoudite utilise le Sahara Occidental pour répondre au Maroc.» La presse marocaine en ligne a également fait ses propres commentaires de l'évènement, notamment Ya Biladi qui a écrit que «Mohammed Ben Salmane riposte indirectement aux déclarations de Bourita sur Al Jazeera», et «la courte vidéo présentant le conflit a même mis sur un même pied d'égalité le royaume et le Front Polisario, n'hésitant pas à évoquer la République arabe sahraouie démocratique. Pour autant, le «coup de Jarnac» de Ryadh est mal vécu à Rabat, où le site le 360.ma, officiellement indépendant, mais en réalité dirigé par le conseiller et ami du roi, Fouad Ali El Himma, explique la nature de la brouille entre les deux pays, et, en plus, attaque frontalement l'Arabie Saoudite. «Le rappel par le Maroc de son ambassadeur à Ryadh est la conséquence logique d'une série de provocations menées par l'Arabie saoudite, depuis la prise des commandes de ce pays par le prince héritier Mohammed ben Salmane», écrit ce site, selon lequel «Officiellement, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais il y a pourtant bel et bien crise entre le Maroc et l'Arabie Saoudite.» Le 360.ma explique ainsi que «ce rappel est la conséquence d'une longue période de mésentente, jalonnée par nombre de provocations de la part de Ryadh, depuis que le prince héritier Mohammed ben Salmane est aux commandes au royaume wahhabite», et «le dernier acte en a été la diffusion, au début de ce mois de février, par la chaîne Al Arabia, véritable organe du pouvoir saoudien, d'un reportage sur le Sahara Occidental». Suffisant donc pour provoquer la colère à Rabat, et, sur la lancée, la presse marocaine se déchaîne sur l'ancien allié, rappelant certaines positions saoudiennes, comme le fait de ne pas avoir soutenu la candidature marocaine pour la Coupe du monde 2026. « Alors que le royaume du Maroc comptait ses alliés pour défendre sa candidature à l'organisation de la Coupe du monde 2026, ce pays «frère» qu'est l'Arabie saoudite n'a pas hésité à lui asséner un véritable coup de poignard dans le dos. Il est vrai que le Maroc avait, dès le mois d'avril dernier, annoncé sa décision de se retirer de la coalition arabe contre le Yémen. En face, l'Arabie Saoudite n'a pas encore réagi.

Enfin, ce coup de froid a été également ressenti sur le plan économique par le Maroc, puisque les dons et contributions financières en provenance de Ryad sont officiellement passés de 9,5 milliards de dirhams (plus d'un milliard de dollars) en 2017, à 2,8 milliards de dirhams (300 millions de dollars) en 2018.