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Le rêve et la chaloupe

par El Yazid Dib

Un conclave. Des intervenants. Des ateliers. Point à la ligne. Et pourtant il ne s'agit pas d'un film ni d'un quelconque best-seller. C'est en fait un roman tragique dont la trame de fond n'est qu'une réalité terrible et fatidique.

Un véritable drame. Les acteurs ne jouent pas de rôles. Ils sont le rôle et le font en temps réel par leurs personnes, leurs corps et leurs âmes.           

La scène est un vaste territoire aux côtes généreuses. Le décor est planté de misères, de résignation et de beaucoup de colère. Les gens qui y sont ne sont que des êtres frêles à la silhouette bon enfant, au sourire absent et à la gueule de métèque. Pourtant ils sont bien de chez nous, ils sont notre progéniture, le produit de nos institutions, de nos écoles, de nos nouvelles mœurs. Le rêve qui nourrit les cavités creuses du dénuement qui les encadre, par les 100 locaux, les aides, l'emploi jeune s'avère insuffisant et peu convaincant pour qu'ils se laissent aller au gré d'un discours ou d'une promesse. Tous les pans scénarisés de la tragédie se trouvent scotchés dans le crâne de ces mômes, encore supposés inconscients mais décidés à braver tous les dangers. Rien n'est arrivé à faire disparaître l'angoisse de leurs tripes, ou freiner l'élan aventuriste et meurtrier de prendre le large. Ni l'alcool, trop cher, ni le diluant moins enivrant. La notion du prix du baril de pétrole demeure pour ces crânes une variante inconnue. Le jerrycan de mazout si. Ils le chérissent comme chérirait une maman son bébé. C'est un élément de vie ou de mort, avec d'autres dans la progression du voyage qu'ils comptent entreprendre au bout d'un monde qu'on ignore si l'on y arrive ou pas.

Ce monde qui se transmet par une boite cellulaire accrochée en permanence à l'oreillette vous déracine de votre désœuvrement quotidien, le temps d'un reportage, d'un feuilleton ou d'un journal, pour vous guider vers des rues bien agencées, du travail et de la joie de vivre. A tout ce qu'offre la tentation venue d'ailleurs, de la fenêtre ou du ouï-dire, viennent s'ajouter encore les dures conditions d'ici, d'aujourd'hui et de demain. Ces conditions où le chômage avec le logement et le mariage vont vous permettre de penser à lever les voiles vers un horizon qui vous parait certain et meilleur. Là, la tragédie commence par un air de fête. D'une main l'on prend la décision de partir, de l'autre l'on conserve comme dur le rêve d'y arriver. Ceci est un phénomène qui ne reste pas propre à un pays donné. Partir est devenu presque la première volonté par laquelle l'on tente d'attester une existence. C'est un acte destiné contre son propre sort. Ce sort dont se prévalent certains en charge de le modeler, le concevoir et le mettre en service ne doit pas être un sujet d'une ou deux journées tant qu'il s'agit là d'un destin d'une nation. C'est bien d'abord d'avoir y penser, c'est bien ensuite d'avoir à se plancher pour trouver des solutions, mais c'est malheureux de faire seul et en exclusivité le constat des causes et des motifs génésiaques. L'on ne peut guérir un « malade » si on le prend pour tel en le faisant absenter. L'on ne peut prescrire ou recommander des schémas de résolutions sans prendre en considération la profondeur du désastre. C'est aussi simple ; quand l'égalité sociale, la récompense du mérite, le respect du talent fuient la terre, la sienne, ne faudrait-il pas tenter le tout pour les suivre et goûter un tant soit peu leurs grâces et leurs vertus ? Si le pays est beau, sa terre si généreuse, son histoire si glorieuse ; il est cependant de ces hommes, de ces gouverneurs, de ces chefs qui vous font accroître le malheur et vous font prendre les pires déterminations.

La chaloupe. ils savent qu'ils sont honnis, vomis mais subsistent par la roublardise, l'esbroufe et l'escroquerie fonctionnelle. Il y a cependant certains de ces mêmes hommes affables, travailleurs, silencieux et sans fanfares, rares en soi, qui vous font aimer davantage ce pays et vous font penser que tout avenir est là, entre ses mains, dans ses espoirs, dans ses lendemains, dans son labeur, dans ses rêves et loin de tout rivage ou chaloupe.