Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Ségrégation ordinaire

par Mahdi Boukhalfa

Après les visas, les études. Difficile de ne pas voir dans la récente décision du gouvernement français d'augmenter les frais de scolarité pour les étudiants étrangers une autre manière, subtile mais sournoise, de restreindre encore plus l'accès de l'espace français, et au-delà européen, aux étrangers, en particulier maghrébins et africains. Cette hausse soudaine des frais de scolarité pour les étrangers dans les universités françaises, annoncée lundi dernier par le Premier ministre Edouard Philippe, n'est pas la meilleure manière de dire aux étudiants africains, dont ceux maghrébins au peu de ressources financières, de ne pas se rendre en France, même si c'est pour parfaire leur formation.

Quand les frais de scolarité passent de 170 euros à 2.770 pour la licence et de 380 euros à 3.770 euros pour le doctorat, la posture est claire. Cela s'appelle fermeture des frontières, et la France, le pays européen le plus engagé avec les pays africains dans le domaine de l'enseignement supérieur, serait-elle en train de renier froidement ses engagements ? Pire, elle est en train de dresser des barrières énormes pour tous ceux qui veulent aller étudier en France, avoir un diplôme d'études supérieures dans la seule langue qu'ils maîtrisent, celle de l'ancienne puissance coloniale. La vraie raison de ce bouclage de l'espace français est en fait que Paris, à l'instar des autres pays de l'espace Schengen, est en train de refermer de nouveau l'accès à ses frontières, à son territoire.

Le durcissement de la procédure d'octroi des visas, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle des demandeurs à l'exception des diplomates, est un signe qui ne trompe pas sur cette nouvelle politique de l'UE de refermer ses frontières. Ce n'est pas un secret, l'Europe a eu peur et a vraiment paniqué en 2015 avec l'arrivée de milliers de migrants d'Irak, de Syrie, d'Afghanistan, d'Asie. Ce soudain sentiment d'insécurité face à des vagues de migrants chassés par des franchises terroristes et soutenues par des pays européens comme la France ou l'Allemagne a été inoculé par l'extrême droite européenne à des gouvernements aux abois. Après les pays de l'Est, nouvellement admis au sein de l'UE, ce seront l'Allemagne, l'Italie, puis la France et l'Espagne qui vont d'abord imposer un contrôle drastique aux frontières, ensuite durcir les conditions d'octroi de visas. Comme pour fermer progressivement l'accès à l'Europe des ressortissants étrangers originaires d'Afrique, du Maghreb notamment, coupables d'avoir inventé les «pateras».

Il est clair d'abord que des gouvernements dits «ouverts» comme la France ou l'Allemagne ont cédé aux pressions de l'extrême droite, alors qu'en Italie et en Autriche ce sont les dirigeants de l'extrême droite qui sont aux commandes de leur gouvernement. Pour autant, les portes de l'Europe resteront ouvertes aux riches touristes asiatiques, aux Chinois et aux Japonais, qui ne seront pas également perturbés par la soudaine hausse des frais de scolarité dans les universités françaises. «La République en Marche» veut ainsi faire coup double en durcissant l'accès de son territoire aux Maghrébins, aux Arabes et aux Africains, le gros des étrangers en situation irrégulière sur le sol européen, et de l'autre côté développer une politique universitaire et touristique élitiste. Dans les deux cas, la France version «LREM» a failli à ses engagements et obéit aux injonctions de l'extrême droite de fermer l'espace Schengen. Difficile de ne pas voir une autre forme de ségrégation ordinaire de l'UE envers les ressortissants maghrébins et africains.