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Washington et Ryad se concertent pour faire passer les vessies pour des lanternes

par Kharroubi Habib

Plus ennuyé qu'indigné par l'assassinat désormais certain du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, le président américain ne pouvait faire moins qu'inciter Ryad à reconnaître sa responsabilité dans ce crime devenue manifeste aux yeux du monde entier. Ce qu'il va probablement obtenir des autorités saoudiennes avec lesquelles il a préalablement convenu de la version qu'elles donneront à ce qui se serait passé ayant conduit à l'élimination du journaliste qui soit la moins incriminante pour le pouvoir monarchique wahhabite. Cette version, l'inénarrable et cynique occupant de la Maison Blanche en a suggéré le contour en avançant pince-sans-rire que l'assassinat peut avoir été commis par des «éléments incontrôlables». Il a de la sorte tendu la perche aux autorités de Ryad qui après avoir nié toute implication saoudienne dans la disparition et l'assassinat maintenant certain de Khashoggi ne savent plus comment se dépêtrer à moindre coût du scandale international suscité par l'affaire.

Le secrétaire d'Etat Mike Pompeo s'est rendu à Ryad pour peaufiner avec le roi Salman, son fils et leurs conseillers les termes d'une déclaration saoudienne reconnaissant enfin qu'il y a eu effectivement mort provoquée du journaliste Jamal Khashoggi mais les en dédouanant de la responsabilité. Selon CNN, il va être déclaré par Ryad que ce qui est advenu au consulat général d'Arabie Saoudite à Istanbul aurait été «un interrogatoire qui a mal tourné» mené sans «autorisation ni transparence». Par leur connivence éhontée, Washington et Ryad espèrent persuader l'opinion mondiale que l'élimination de Khashoggi n'a pas eu pour commanditaire le Palais royal saoudien mais l'a été à l'initiative d'électrons libres.

Il faut être un débile gogo pour accorder le moindre crédit à une aussi insane version. Aucun responsable saoudien ne se serait avisé de concocter le scénario de l'assassinat du journaliste Khashoggi, qui plus est a été perpétré dans l'enceinte du consulat général du pays en Turquie, sans en avoir été instruit par le plus haut du pouvoir monarchique despotique. A quelque niveau que ce soit, il n'y a pas «d'éléments incontrôlables» dans ce pouvoir despotique, surtout «incontrôlables» au point de prendre une décision dans la conséquence prévisible est l'ébranlement auquel est soumise la monarchie.

Les menaces proférées par Donald Trump à l'encontre de Ryad n'ont été qu'un leurre destiné à cacher qu'en réalité il se fout comme de l'an quarante de l'assassinat du journaliste saoudien. Il met au contraire toute sa perverse imagination au service des potentats de Ryad pour leur sauver la face et les dépêtrer de l'infâme situation dans laquelle ils se sont mis. En leur tendant ostensiblement l'ignoble bouée de sauvetage du crime commis à «l'insu de leur plein gré», Donald Trump s'attend en salivant à un retour d'ascenseur de leur part sous la forme d'un monceau de dollars et une soumission sans réserve à ses projets pour le monde arabe. Continuer à croire en la fiction d'une Amérique morale et intraitable sur la question des droits de l'homme, c'est être plus trumpiste que Trump lui-même.