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Fermées depuis 1975: L'Algérie et la Mauritanie ouvrent leurs frontières

par Notre Envoyée Spéciale Aux Frontières Algéro-Mauritaniennes Ghania Oukazi

  Fermées depuis 1975, les frontières terrestres entre l'Algérie et la Mauritanie ont été ouvertes officiellement hier par les ministres de l'Intérieur des deux pays avec comme objectif prioritaire «apaiser la région» des tensions qui la minent.

C'est hier, tôt le matin, que le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire a procédé à l'ouverture officielle du poste frontalier terrestre «Mustapha Ben Boulaïd» séparant les territoires algériens de ceux mauritaniens. Décidé par les chefs d'Etat des deux pays, prescrit dans l'accord signé le 8 novembre 2017 à Nouakchott et confirmé par un décret signé par Bouteflika le 21 mai 2018, la réalisation du poste frontalier algéro-mauritanien a été accélérée pour répondre à des exigences sécuritaires, humaines, et socio-économiques. L'Algérie a ainsi, fait vite d'exécuter la décision des deux chefs d'Etat en réalisant deux postes frontaliers, un national et le second en territoire mauritanien, 9 mois après l'accord de Nouakchott. Un bureau d'architecture privé a été sollicité par le wali de Tindouf pour réaliser en «deux mois», «un projet jumeau provisoire de mêmes modules en charpente métallique comprenant bureaux pour police, douanes et divers services (commerce, santé, impôts?), tout ce qui est nécessaire au fonctionnement d'un poste frontalier,» nous renseigne Nadir Hammoudi, architecte installé à Tindouf. C'est un «no man's land, un projet en plein désert marquant un point sécuritaire avec en filigrane un autre économique sur une superficie totale de 1 290 m2 et qui a coûté à l'Algérie 115 milliards de centimes. Il a été décidé pour contrecarrer la contrebande, le crime transnational, les risques et les menaces d'insécurité, le terrorisme sous toutes ses formes qui gangrènent les régions d'un côté comme d'un autre. Nouredine Bedoui a coupé le ruban de la porte d'entrée du poste sous le rythme ganga (musique traditionnelle de Tindouf), les coups de fusils, des klaxons et des youyous.

Une ouverture de 800 km sur l'Atlantique

Les populations de Tindouf y croient fermement notamment pour pouvoir aller rendre visite «dans la légalité» à leurs familles respectives. Les notables de la région dont les alliances avec les Mauritaniens sont nombreuses, répètent à ceux qui veulent les entendre qu'ils ont souffert du refus des autorités de les laisser passer vers «l'autre rive» pour rencontrer leurs proches. «Très souvent, ce sont des couples mixtes qui se déchiffrent parce qu'ils n'ont pas d'autorisation de passage,» disent-ils. «Seuls, ceux détenteurs de papiers d'identité sahraouie peuvent passer, imaginez alors le trafic quand on sait qu'on peut avoir une carte d'identité sahraouie à 200 dinars,» se lamentent-ils.

C'est le directeur central de la police des frontières venu du siège de Dar Beida qui précisera à Bedoui que «l'ouverture du poste frontalier permettra la circulation des personnes et des biens, renforcera les relations entre les deux pays, et désenclavera les populations.» Il notera surtout que le poste facilitera la sécurisation des frontières. Bedoui marchera 400m et le ministre mauritanien de l'Intérieur et de la décentralisation parcourra la même distance mais dans le sens inverse pour qu'ils se rencontrent tous les deux au point séparant les deux postes. Là encore, ils procéderont, chacun pour sa part et chacun sur son territoire, à la «tirée de rideau» pour inaugurer les stèles marquant pour le premier, «le poste Mustapha Ben Boulaïd» et pour le second «Hassi 75.» Ils se dirigeront tous les deux pour faire de même en territoire mauritanien où les attendaient des détachements de la gendarmerie et de la police mauritaniennes. Au loin, dans le désert, les Mauritaniens ont placé en faction une vingtaine de véhicules tout terrain avec à leur bord de nombreux militaires bien armés. Bedoui et Ahmed Ould Abdallah se mettront sous une tente pour des entretiens en tête à tête. Ils visionneront ensuite en présence de leurs délégations respectives (ambassadeurs des deux pays, autorités locales, élues et notables) un documentaire sur la réalisation en préfabriqué des deux postes provisoires qui seront remplacés par d'autres en dur, une fois les conditions réunies. Le poste algérien sera construit avec des matériaux locaux et répondra aux spécificités culturelles algériennes néo-mauresques, de style andalou. Une fois réalisé et opérationnel d'une manière effective, le poste frontalier permettra à l'Algérie d'avoir un accès direct de 800 km sur l'océan atlantique.

«Ce poste était un rêve»

Du côté mauritanien, il est prévu une construction de style maure africain. Le tout nécessitera une enveloppe financière globale de 2,3 milliards de dinars. Le wali de Tindouf, Amoumène Marmouri, prendra le premier la parole pour souligner que «l'ouverture de ce poste était un rêve réalisé grâce à la volonté des deux chefs d'Etat (?).» Il estime que «c'est un pont d'entraide dans tous les domaines.» Le ministre mauritanien fera valoir à travers «ce premier poste frontalier terrestre, les échanges commerciaux, le mouvement des personnes, la sécurisation des frontières, la lutte contre l'émigration clandestine, la contrebande notamment la drogue, le crime organisé (?).» Ould Abdallah fera savoir à l'assistance que pour tout cela «la Mauritanie a pris deux mesures importantes, la réforme de l'état civil et le redéploiement de l'armée.»

Bedoui lui succède à la tribune pour affirmer que «l'ouverture des postes frontaliers est une réalisation historique» en précisant que «le président de la République accorde une priorité accrue au développement des zones frontalières, pour assurer le bon voisinage et la coopération entre les deux pays.»

Bedoui annoncera la constitution d'un groupe de travail mixte pour élaborer des plans de développement pour les deux régions frontalières. Des plans «qui agréent les deux pays, pour des réalisations socio-économiques(?), les potentialités humaines et naturelles existent(?).» Il lancera en outre, un appel aux acteurs économiques, les chambres de commerce des deux pays, les hommes d'affaires, les investisseurs pour réaliser les projets retenus et pour encadrer les activités commerciales. «On attend beaucoup de ce poste pour la relance du commerce, le prolongement maghrébin, l'intégration magrébine et parachèvement de notre grand Maghreb,» dira-t-il. Il insistera dans ce cadre sur « la préservation de la sécurité, le bon voisinage, la lutte contre le crime transnational qui est flagrant et répandu», il appellera à «l'unification des positions en raison de l'unité des destins, à varier les moyens de développement, assainir le climat du développement, et à éloigner les menaces.»

Le projet de Ghar Djbilet, «une promesse du président»

Le ministre fera part de la disponibilité algérienne de renforcer l'aide sécuritaire et d'élaborer des programmes spéciaux pour le développement.» Son autre appel, il est pour «les experts des deux pays pour une évaluation objective de la coopération.» Il estime que «tout sera entrepris pour apaiser la région.» Des propos qui cachent mal les profonds problèmes d'insécurité et d'ordre tribal qui secouent la région.

Eloignés de Tindouf de 75 km, les postes frontaliers distancent la première commune mauritanienne de plus 750 km, une route complètement défoncée. «Il faut donner les moyens à ces postes pour qu'ils puissent fonctionner normalement,» réclament des notables. Les deux ministres se séparent aux frontières. Et c'est en fin de matinée que Bedoui rencontrera les représentants de la société civile au siège de la wilaya de Tindouf. Qualifiée de «poste avancé géostratégique,» par le PAPW, Tindouf semble manquer de tout (eau, électricité, logement, infrastructures de base(?). Il est demandé entre autre au ministre de faciliter l'obtention d'acte de naissance aux enfants nés de mariage mixte, la création d'une nouvelle ville au nord de Tindouf, la réalisation du projet de Ghar Djbilet, la baisse du prix du billet d'avion pour se déplacer vers le nord, la levée du gel sur les emplois dans la fonction publique au profit des diplômés des universités et des instituts. Tindouf se substitut au pays, soutiennent ses habitants, pour aider les réfugiés sahraouis. «Elle a une mission stratégique, il faut qu'elle soit équipée pour,» est-il demandé. «La société souffre en silence de la drogue,» se plaignent les notables. «Les luttes partisanes» dans les assemblées élues ont aussi été pointées du doigt. La nomination des cadres de la région aux hautes fonctions de l'Etat est vivement revendiquée. «Il ne faut pas en faire un complexe, il y a beaucoup de responsables des régions du Sud et de toutes les régions du pays qui occupent de hautes fonctions,» leur dit Bedoui. Il leur promettra de prendre en charge leurs doléances. «Nous connaissons le noble rôle que joue Tindouf dans la région, les citoyens ont parfois des ambitions plus importantes que les responsables, on doit en discuter, c'est cela la démocratie participative, il faut lui mettre en place les mécanismes qu'il faut,(?), il faut une carte d'investissements à Tindouf, c'est une priorité pour lancer une dynamique de développement, le projet Ghar Djbilet est une promesse du président,» rassure-t-il.