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Evocation - Il y a 22 ans, Mgr Pierre Claverie, l'évêque d'Oran, et son chauffeur, Mohamed Bouchikhi, étaient assassinés

par Amine Bouali

  Il y a 22 ans, le 1er août 1996, Mgr Pierre Claverie, évêque d'Oran, et Mohamed Bouchikhi, son jeune chauffeur musulman, décèdent lors d'un attentat terroriste ignoble perpétré au moyen d'une bombe déposée devant l'évêché d'Oran et qui a atteint leur véhicule. Cet attentat a eu lieu quelques heures après la visite du ministre français des Affaires étrangères, Hervé de Charette, en Algérie.

Trois jours plus tôt, sur la radio française RCF, l'évêque d'Oran avait exprimé sa crainte « d'une recherche d'attentat spectaculaire pour pallier les effets positifs de cette visite ». Sept personnes seront condamnées à mort, le 23 mars 1998, par la Justice algérienne pour leur implication dans ce crime. Né le 8 mai 1938, dans le quartier de Bab El-Oued, à Alger, Mgr Claverie avait succédé, en mai 1981, à Mgr Henri Teissier en tant qu'évêque d'Oran. Feu Mohamed Bouchikhi est né en 1975 à Sidi Bel-Abbès.

Dans son livre ?Lettres et messages d'Algérie' publié en 1996, aux Éditions Karthala, à Paris, l'évêque d'Oran martyr avait confié sa foi dans le dialogue, l'amitié et l'entraide. « Je viens d'un pays, écrivait-t-il, où nous avons rêvé qu'après des siècles de conflits et 130 ans de colonisation, une réconciliation serait possible. Avec le temps, nous avions rencontré, chez de nombreux musulmans, la même volonté. Les évolutions propres à l'Algérie font, maintenant, peser sur ce projet une lourde hypothèque. Des groupes armés qui se réclament de l'Islam et se proclament combattants d'une révolution radicale, nous ont pris pour cible. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seules victimes de cette opération: des musulmans tombent aussi sous leurs coups (...) ».

«Nous croyons, sincèrement, que nous sommes animés par un désir de réconciliation et de paix. Mais nous oublions que nous appartenons à un monde qui, tout en se réclamant de l'héritage judéo-chrétien, n'a cessé de manifester, depuis des siècles, une volonté de domination universelle et qui a commis parfois, au nom même de la religion, des crimes analogues à ceux qui ensanglantent, aujourd'hui, la terre musulmane».

«Quoi de plus nécessaire et de plus urgent maintenant que de créer ces lieux humains où l'on apprend à se regarder, à s'accueillir, à collaborer, à mettre en commun les héritages culturels qui font la grandeur de chacun. Nous sommes proches les uns des autres, nous vivons les uns chez les autres: allons-nous perpétuer nos querelles et nos guerres ? Allons-nous reprendre nos conquêtes et relancer nos anathèmes en laissant libre cours à notre volonté de puissance et de domination? ».

«Chacun porte, il est vrai, un message, une vérité, une conviction qu'il cherche à faire partager. Chacun est pétri par une culture qui le constitue, dans son humanité particulière, et c'est à travers elle qu'il entre en communication avec les autres. Nous sommes bien des étrangers les uns pour les autres. Il serait illusoire de penser que nous pourrions atteindre immédiatement, l'humanité commune, dépouillée de ses marques historiques, charnelles, concrètes (...) ».

«Et, cependant, nous pressentons bien que ces marques ne doivent pas nous enfermer dans nos particularismes: les aventures coloniales et missionnaires, du siècle dernier, nous ont appris qu'il y avait une véritable perversion à croire que chacun réalise l'universel et qu'il a, donc, le droit (divin) de s'imposer à tous comme la perfection absolue (...) ». « S'agissant de Dieu, nous savons pourtant bien qu'il est infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons en concevoir et que nous n'avons jamais fini de le découvrir. S'agissant de l'homme, nous savons un peu mieux maintenant que le miroir brisé de nos identités doit être reconstitué pour refléter l'homme parfait dont nous parle, entre autres, Ibn Arabi ». « Que l'autre, que tous les autres soient la passion et la blessure par lesquelles Dieu pourra faire irruption dans les forteresses de notre suffisance, pour y faire naître une humanité nouvelle et fraternelle. Il y va de l'avenir de la foi dans notre monde ».

Quelque temps avant sa mort, avec la candeur de son âge et la pureté de sa foi musulmane, Mohammed Bouchikhi, le jeune belabbésien de 21 ans, tué en même temps que Mgr Pierre Claverie, avait rédigé ces mots qui venaient du plus profond de son cœur : «Bismi-Llahi Rahmani Rahimi. Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Avant de lever mon stylo, je vous dis: «Paix soit avec vous!». Je remercie celui qui va lire mon carnet de souvenir. Et je dis à chacun de ceux que j'ai connus dans ma vie, que je les remercie. Je leur dis qu'ils seront récompensés au dernier jour. Adieu à celui à qui j'aurais fait du mal. Qu'il me pardonne! Pardon à celui qui me pardonnera au jour du Jugement. Pardon à celui qui aurait entendu de moi une parole méchante. Et je demande à tous mes amis de me pardonner, en raison de ma jeunesse. Mais en ce jour où je vous écris, je me souviens de ce que j'ai fais de bien dans ma vie. Que Dieu dans Sa Puissance, fasse que je Lui sois soumis et qu'il m'accorde Sa Tendresse».

Une pièce de théâtre intitulée ?Pierre et Mohamed', inspirée de la mort tragique de Mgr Pierre Claverie et Mohamed Bouchikhi, a été créée, en 2011, dans le cadre du Festival d'Avignon. Un livre, avec ce même titre, est sorti, l'an dernier, à Paris. Ces deux êtres, que rien ne prédestinait à se rencontrer ni à mourir ensemble, sont devenus un modèle du vivre-ensemble en paix, un symbole du dialogue difficile mais combien fructueux entre les religions.