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Les mises en garde du FMI

par Ghania Oukazi

  «Les nouvelles mesures risquent d'aggraver les déséquilibres, accentuer les tensions inflationnistes et accélérer la perte de réserves de change», affirme la mission des services du Fonds monétaire international.

Mission qui a séjourné à Alger du 27 février au 12 mars pour mener des entretiens «au titre de l'article IV de ses statuts» avec plusieurs autorités et responsables «principalement sur le dosage de mesures et de réformes qui permettrait de rétablir l'équilibre macroéconomique et de favoriser une croissance durable et inclusive». Son constat: «l'Algérie reste confrontée à des défis importants posés par la baisse des prix du pétrole il y a quatre ans. En dépit d'un ajustement budgétaire important en 2017, les déficits budgétaires et compte courant extérieur demeurent élevés. Si les réserves restent abondantes, elles ont diminué de 17 milliards de dollars pour atteindre 96 milliards de dollars (hors DTS). L'activité économique globale a ralenti, bien que la croissance hors du secteur des hydrocarbures soit restée stable. L'inflation a ralenti de 6,4% en 2016 à 5,6% en 2017». Dirigée par Jean-François Dauphin, la mission du FMI rappelle que «depuis la fin 2017, les autorités ont modifié leur stratégie macroéconomique à court terme. Pour stimuler la croissance et la création d'emplois, elles ont adopté un budget expansionniste pour 2018, dont le déficit sera financé principalement par la Banque centrale, et ont renforcé les barrières à l'importation. Elles entendent reprendre la consolidation budgétaire à compter de 2019, en vue de rétablir l'équilibre budgétaire en 2022». Elle affirme alors «partager le double objectif des autorités de stabiliser l'économie et promouvoir une croissance plus durable et plus inclusive, mais elle considère que le nouveau dosage de politique économique à court terme est risqué et pourrait entraver la réalisation de ces objectifs». En mettant en exergue les nombreux risques, le FMI prévient qu'«il se peut que l'environnement économique ne devienne propice ni aux réformes ni au développement du secteur privé» Lors d'une conférence de presse qu'il a animée hier à l'hôtel El Djazaïr, Jean-François Dauphin a affirmé qu'«on partage le même diagnostic avec les autorités algériennes, un diagnostic commun et relativement simple (?), l'Etat dépense plus qu'il ne gagne (?), il est nécessaire d'ajuster le niveau des dépenses aux revenus».

Les recommandations de la mission

La mission affirme ainsi être d'avis que «l'Algérie a toujours une fenêtre d'opportunité pour concilier ajustement économique et croissance». Elle explique qu'«avec une dette publique relativement basse et une dette extérieure faible, il est possible de renforcer les finances publiques graduellement. La consolidation budgétaire est nécessaire pour ajuster le niveau des dépenses au niveau réduit des recettes mais elle peut se faire à un rythme régulier sans recourir au financement monétaire de la Banque centrale. Il s'agit de recourir à un large éventail d'instruments de financement, notamment l'émission de titres de dette publique au taux du marché, des partenariats public-privé, des ventes d'actifs et, idéalement d'emprunts extérieurs pour financer des projets d'investissement bien choisis». La consolidation devrait, selon la mission, être menée «d'une part, en augmentant les recettes non pétrolières à travers l'élargissement de l'assiette fiscale (réduction des exonérations et renforcement du recouvrement) et d'autre part, en réduisant graduellement le poids des dépenses courantes dans le PIB et en réduisant les investissements tout en améliorant leur efficacité». Selon elle, une dépréciation progressive du taux de change combinée à des efforts visant à éliminer le marché parallèle des changes favoriserait aussi l'ajustement. «La Banque centrale doit être prête à resserrer la politique monétaire si les tensions inflationnistes ne s'atténuent pas», souligne-t-elle. «Si le choix est fait de continuer de monétiser le déficit, il conviendrait de mettre en place des sauvegardes robustes, notamment en plafonnant strictement le financement monétaire en volume et en durée, tout en appliquant un taux de marché», recommande-t-elle.

Jean-François Dauphin estime ainsi qu'«on essaie d'accompagner une transformation de l'économie algérienne qui est difficile au moment où on n'a pas les moyens de le faire, c'est une équation très difficile». Interrogé sur le choix du financement conventionnel et le PPP (partenariat public-privé), pour plus de clarifications, le missionnaire du FMI indique que «le PPP est une solution possible, ce n'est pas forcément une privatisation, ça peut être un contrat de gestion, une délégation de gestion, une cession d'actifs partielle ou totale, nous ne préconisons pas une formule ou une autre». Mais «le financement non conventionnel est souvent source d'inflation», affirme-t-il. Il pense que «ce sera important d'en limiter les quantités et la durée et que la Banque centrale puisse jouer son rôle de garant de la stabilité et puisse absorber les liquidités engendrées par le financement budgétaire».

«On a plus d'IDE sans la règle 49/51»

La mission a consigné dans son rapport que «quel que soit le dosage de politique économique des autorités, une masse critique de réformes structurelles est nécessaire pour promouvoir l'émergence d'une économie tirée par le secteur privé et diversifié, et réduire ainsi la dépendance au pétrole et au gaz». Elle estime qu'«il convient d'agir sans tarder sur plusieurs fronts pour simplifier la bureaucratie, améliorer l'accès au crédit, renforcer la gouvernance, la transparence et la concurrence, ouvrir davantage l'économie à l'investissement étranger, améliorer le fonctionnement du marché du travail et l'adéquation entre les emplois et les compétences, favoriser l'emploi des femmes parce que c'est un gisement important de croissance». Pour accroître l'efficacité de la politique économique, les autorités doivent en renforcer le cadre, selon les missionnaires du FMI. Ils préconisent alors de «continuer à renforcer la gestion des finances publiques, d'améliorer l'efficience des dépenses publiques, ainsi que de renforcer le cadre prudentiel et le dispositif de préparation aux crises. La politique commerciale doit avoir pour objectif principal d'encourager les exportations plutôt que d'imposer des barrières non tarifaires aux importations, barrières qui créent des distorsions». A propos des subventions, Dauphin pense qu'«elles sont profondément injustes parce que plus on est riche, plus on en bénéficie». Il fait part d'un sondage qui précise que «20% des ménages les plus riches consomment 6 fois plus de subventions que ceux qui en ont besoin, les subventions vont à l'encontre de l'objectif visé». Il propose de «rééquilibrer progressivement le soutien aux défavorisés, retirer les subventions et les remplacer par des transferts ciblés». Par ailleurs, il pense que les restrictions des importations sont inefficaces et sources de tensions inflationnistes, elles sont contournées d'une manière ou d'une autre puisqu'elles arriveront par d'autres canaux (c'est une expérience internationale)». L'imposition de la règle 49/51 depuis 2009, lui fait dire que «les IDE sont nettement supérieurs dans la région et chez les pays voisins, sans cette règle, on en aura plus, c'est plus une contrainte parce qu'on se prive d'une source d'investissement et de transfert technologique». L'équipe du FMI a fait savoir qu'elle a rencontré durant son séjour le 1er ministre, les ministres des Finances, de la Formation professionnelle, de l'Industrie et des Mines, du Commerce, des Travaux publics, du Travail, le gouverneur de la Banque d'Algérie ainsi que de hauts fonctionnaires et représentants des secteurs économiques et financiers et des partenaires sociaux.

Elle précise que «les avis exprimés dans la présente déclaration sont ceux des services du FMI et ne correspondent pas nécessairement à ceux du conseil d'administration du FMI». A partir des conclusions préliminaires de cette mission, est-il encore noté, les services du FMI prépareront un rapport qui, sous réserve de l'approbation de la direction, sera présenté (juin prochain ndlr) au conseil d'administration pour examen et décision.