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Gouvernement: Subventions, la cacophonie

par Yazid Alilat

Le gouvernement est-il en train de revenir sur son programme de réforme des subventions ? Ouyahia est-il en train de reculer sur le plus important chantier de ses réformes économiques ? Toutes les options sont sur la table, après le démenti qu'il a fait, vendredi à Biskra, sur un prochain abandon de l'Etat aux subventions, en particulier des carburants.

La colère, si c'en est une, d'Ahmed Ouyahia, qui, pour une fois n'a pas fait le «distingo» entre ses deux casquettes de Premier ministre et chef du RND, est que jamais il n'a été question d'abandon des subventions publiques, ni de réformes de ce système de soutien aux bas salaires et aux couches sociales vulnérables. «Ces jours-ci, j'entends que l'État va supprimer la subvention. C'est un mensonge. On a fait une interprétation d'une déclaration d'un responsable, dans certains médias», a-t-il déclaré lors d'un meeting de son parti, à Biskra. Selon lui, «des marchands de la politique ont sauté dessus pour vous dire que le régime veut vous affamer», en référence à des déclarations du ministre des Finances Abderahmane Raouya, qui avait affirmé, à Dubaï, la semaine dernière que l'Etat pourrait réduire, en 2019, les subventions, dont celles sur les carburants. «Nous n'allons pas supprimer la subvention, ni pour l'essence, ni pour le pain, ni pour le lait, ni pour l'électricité, ni pour autre chose», a affirmé M. Ouyahia. Cette question de la réduction des subventions aux carburants, annoncée par le ministre des Finances, lors d'un forum régional sur la fiscalité, encadré par le FMI, a fait monter au créneau, avant même le Premier ministre, M. Nouredine Bédoui, ministre de l'Intérieur. Il a, expliqué, mardi dernier, à la Safex d'Alger que «nous vivons sur les plans économiques et financiers des conditions non ordinaires. Il y a des difficultés». Il tempère, cependant, que «nous rappelons que sur instruction du président de la République, nous n'allons jamais abandonner, au niveau du gouvernement, les acquis sociaux des citoyens.» «J'entends, ici et là, que nous allons abandonner le pouvoir d'achat, en tant que pouvoirs publics. De cette tribune, je dis que les instructions du président sont strictes, en matière du maintien des acquis. Nous n'allons jamais abandonner le soutien et l'accompagnement sociaux, la subvention qui va au citoyen algérien qui en a besoin», a t-il détaillé, lors de l'inauguration du 1er Salon international de la Sécurité et de la Prévention routière. Alors, Bédoui a-t-il été mandaté par son chef de gouvernement de calmer le jeu, ou est-ce, directement une intervention du Président Bouteflika lui-même, qui a recadré le gouvernement sur cette question de réforme des subventions ? Jusqu'à présent, le ministre des Finances n'a fait, aucune déclaration, ni aucun démenti de ses propos, à Dubaï. Il y a eu, juste, un communiqué du ministère des Finances, à la fin de la participation de M. Raouya, à ce sommet qui indique que «de nombreux pays de la région sont aux prises avec le dilemme selon lequel leurs modèles sociaux-économiques traditionnels, fondés sur le rôle de l'État en tant qu'employeur principal et fournisseur de subventions et d'avantages énergétiques ou sociaux importants, doivent être modifiés.» Sur un autre registre, le recul du gouvernement sur ce dossier des subventions étonne et laisse perplexe. Car au début du mois de février, le ministre du Commerce, Mohamed Benmeradi, avait détaillé même la démarche du gouvernement pour aller très vite vers une réforme du système des subventions, qui serait une réponse idoine à la hausse des déficits et la baisse des recettes pétrolières. Mardi 6 février dernier, devant la Commission parlementaire chargée des Affaires économiques, du Développement, de l'Industrie, du Commerce et de la Planification, M. Benmeradi avait confirmé que le gouvernement a, déjà, installé un comité chargé de ce dossier des subventions, et dont les travaux sont supervisés directement par le Premier ministre.

Les réserves d'un ex-ministre des Finances

«Le principe, selon le ministre du Commerce, est que le gouvernement veut passer à un système de subventions ciblé, qui va, directement, aux couches concernées». Il a expliqué aux membres de cette Commission parlementaire que ce groupe de travail, installé auprès du Premier ministère, ne devrait pas achever ses travaux, avant fin de 2018. Le ministre du Commerce a expliqué que ce dossier s'inscrit dans le cadre de la politique économique du gouvernement, que M. Ahmed Ouyahia avait présentée, dans son programme de travail, devant l'APN. Dans une intervention, quelques jours après, à la Radio nationale, M. Benmeradi avait détaillé un peu plus la démarche du gouvernement, dans la réforme des subventions, indiquant qu'une évaluation du système de subventions était en cours, au niveau du gouvernement. «Nous sommes en train de travailler, a-t-il dit, pour voir, concrètement, comment basculer d'un système de subventions généralisé vers un système ciblé qui nous permettra de mettre fin à cette incohérence qui contribue aux dérèglements observés dans le commerce extérieur». Le système des subventions «n'est pas très juste», a-t-il ajouté, précisant que «cela profite beaucoup plus à ceux qui en ont le moins besoin», citant les «entreprises, qui en profitent et pas les ménages, alors que l'objectif est de protéger le pouvoir d'achat des ménages et non des entreprises». La loi de Finances 2018 consacre près de 1.760 milliards de DA, aux transferts sociaux, une enveloppe en hausse de 8% par rapport à celle de 2017. Ce budget est consacré au soutien aux familles, à l'habitat, à la santé, ainsi qu'aux subventions des prix des produits de 1re nécessité (céréales, lait, sucre et huiles alimentaires). Globalement, chaque année, les subventions aux couches sociales défavorisées sont estimées à 30% du PIB. Pour autant, l'ex-ministre des Finances Abderahmane Benkhalfa avait prévenu de la dangerosité d'aller vite et sans transition vers la fin du système actuel des subventions, sans contrepartie. Il a expliqué, la semaine dernière, à la Radio nationale que «c'est un dossier sensible, c'est la solidarité sociale. On ne peut fragiliser des millions d'Algériens, sur un coup. Le passage doit être graduel, et le ciblage qui doit permettre à l'Etat de gagner les deux tiers de ce qu'il dépense, actuellement, doit être concrètement d'augmenter les revenus par l'augmentation de l'investissement économique». «Il y a, nécessairement, des ajustements structurels à porter à l'économie, aux marchés, la valeur du travail, la valeur de la monnaie, de l'investissement. C'est une démarche, excessivement, complexe, mais qui nécessite moins de lois que d'ingénierie et de lieu de gestion de ce système par des centres d'intelligence», souligne t-il. «Last but not least», M. Benkhalfa estime que ce dossier de la réforme des subventions publiques nécessite «un dialogue national, car c'est un dossier à caractère sensible.»

La réforme du système de subventions a été, en réalité, le premier chantier que voulait ouvrir Ahmed Ouyahia, dès son retour au gouvernement. Au mois d'août dernier, dès la présentation de son programme de travail, à l'APN, il avait déclaré que la réforme des subventions est l'un des chantiers les plus urgents de son gouvernement. Avant même de succéder à Tebboune, il avait, en tant que chef du RND, décrié en mai dernier, le système actuel de subventions. «Notre système de subvention est trop généreux. Il profite à tout le monde. Il ne profite pas aux nécessiteux», avait-il expliqué. Alors, question : qu'est ce qui a poussé Ahmed Ouyahia, chef du RND et Premier ministre, à reculer sur la réforme des subventions ? Est-ce, vraiment, un recul ou une réaction à une conjoncture politique ?