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La privatisation : ni une religion ni la thériaque !

par Mourad Benachenhou

Ni l'optimisme ni le pessimisme ne sont des prises de position politiques débouchant sur des solutions permettant au pays de sortir de la crise économique qui le frappe.

Ne pas confondre états d'âme et lucidité

Ces deux dispositions psychologiques ne sont même pas des expressions de lucidité face à cette situation. Elles ne sont rien d'autres que des états d'âme qui n'engagent que ceux qui les ressentent, que ce soit des personnes qui détiennent le pouvoir de trancher sur les problèmes du pays, comme celles, anonymes ou non, qui tentent, vainement souvent, de voir un peu plus clair dans la démarche actuelle des autorités publiques. Ces états d'âme expriment à la fois du subjectivisme et une tendance naturelle à la procrastination devant les difficultés, soit la tentation de transformer des problèmes de l'heure en accumulation de ragots plus ou moins bien informés, plus ou moins savamment manipulés, provenant de sources indéfinissables et indéfinies.

En tout état de cause, ces état d'âme reflètent plus une impuissance à saisir la gravité de la situation, et débuchent, donc, sur des manœuvres d'esquives stériles, car ils ne retardent pas les échéances dont les termes sont déjà en mouvement, et ne suggèrent même pas des ébauches de solutions aux problèmes actuels.

Sortir des chemins trop souvent empruntés

La seule option pouvant ouvrir la voie vers l'amélioration de la situation économique est le réalisme pragmatique qui va au fonds des difficultés actuelles, et qui pourrait déboucher sur des solutions qui brisent le statu quo. Mais ces solutions de rupture ont l'inconvénient politique, difficile à accepter par certains, de toucher à des intérêts privés bien ancrés dans le système de pouvoir, et disposant d'appuis puissants au sein des institutions étatiques.

La politique de l'esquive a pourtant montré ses limites. La montée du chômage, de plus en plus élevé en particulier parmi les titulaires de diplômes d'enseignement supérieur, va s'accélérer de manière dramatique dans les quelques dizaines d'années à venir, avec la brusque reprise de la croissance démographique. La politique du « tout-importation » a certes permis la diversification des produits de consommation disponibles sur le marché intérieur, essentiellement en provenance de l'étranger, a amélioré les conditions de vie de la population, mais a abouti, en même temps, non seulement à un modèle de consommation impossible à supporter par les structures de production nationale, et qui ne peut plus être pris en charge par les seules recettes exportations d'hydrocarbures, et, encore plus grave encore, à la désindustrialisation.

Déconnecter la politique économique de la politique étrangère

Il y a des limites à la politique de rationnement des importations, liées à ce nouveau modèle de consommation encouragé par les autorités officielles, qui ont décidé, pour des motifs de politique étrangère, d'intégrer le pays dans la mondialisation, non seulement en signant avec l'Union européenne , un accord d'association dont les termes rappellent fortement les « Capitulations » qui ont conduit à l'effondrement de l'Empire ottoman, mais également en acceptant d'appliquer les règles de l'OMC avant même d'y avoir officiellement adhéré.

Cette politique d'ouverture économique a, certes, tempéré l'agressivité des puissances qui gèrent le monde, et a réduit leur désir de s'immiscer dans les affaires intérieures du pays, les a persuadé de renoncer à le déstabiliser, au nom des principes aussi généreux que cyniques de la « défense des droits de l'hommes, » « d'intervention humanitaire, » de « renforcement de la démocratie pluraliste, » de « promotion de la liberté d'expression, » et de tous ces autres principes utilisés, selon les circonstances, pour créer le désordre dans les pays « secondaires » du monde, et entretenir le bouillon de culture propice à faire du « terrorisme, » objet de tous les « combats, » un phénomène permanent rendant les interventions étrangères « indispensables,» pour la « défense des valeurs civilisationnelles,» portées par les pays dominants. Et s'il n'ya pas de « terroristes à combattre, » on les crée et on les appuie sous différents prétextes, parmi lesquelles la défense des minorités ethniques ou religieuses « opprimés, » qu'on arme et qu'on encourage par médias « libres » interposés.

Reconnaitre l'ampleur des risques dans une nouvelle démarche économique

En fait, la politique économique qui permettra au pays de sortir de l'impasse mettra à l'épreuve la solidité du système politique et la légitimité de son pouvoir. Il y a des mesures risquées à prendre, et pourtant, elles seules permettront de répondre aux défis causés tant par l'évolution de la société algérienne que par les menaces extérieures de plus en plus proches. Il suffit d'observer ce qui se passe à toutes les frontières terrestres du pays pour constater, sans analyse profonde, que le pays est engagé dans un « jeu d'échec chinois, » dont on sait que le principe de base est l'encerclement des pièces de son adversaire sur l'échiquier.

La situation est d'autant plus délicate que la classe des « prédateurs » générée par une politique d'ouverture -elle-même trouvant ses justifications dans des nécessités dictées par la neutralisation des influences extérieures,- s'est forgée, parmi ceux de l'extérieur qui ne veulent que du mal au pays, des alliances, des complicités, qu'elle n'hésitera pas à mobiliser si ses intérêts, qui correspondent aux leurs, sont touchés.

On ne peut pas souligner assez la convergence de toutes les options, ouvertes au gouvernement pour briser le statuquo, entre les dimensions à la fois de sauvegarde d'un minimum d'indépendance nationale, de préservation de l'unité nationale, de maintien de lutte contre la menace terroriste toujours à l'affut des moindres faiblesses, et plus ou moins entretenue, de manière secrète ou ouverte, par l'étranger, et de relance de l'économie.

Lorsque les autorités publiques prennent des décisions qui ressortissent, en apparence, exclusivement du domaine de l'économie, elles changent, en même temps, l'équation d'équilibre global du pays, dont les inconnues vont au-delà de ce domaine.

Ne pas tomber dans la dérive du débat « Ad Hominem »

C'est pour cela que réduire le débat au sort politique de personnalités, si dominantes soient-elles, et quelle que soient les talents qu'on leur trouve, les erreurs qu'on leur reproche, ou les faiblesses qu'on détecte en elles, ne peut pas, par définition, déboucher sur quelque avancée que ce soit, et ne fait pas progresser le pays vers une voie de salut.

Il ne faut pas, pour cela, passer sous silence des failles dangereuses dans la voie suivie, dont l'appel à la création monétaire ex-nihilo. Mais le débat doit porter sur les risques que présente cette faille, pas sur l'avenir politique de telle ou telle personnalité, ou les échéances électorales, si importantes soient-elles pour l'avenir du pays.

Ces échéance sont datées, et donc connues, mais, en attendant, il faut bien prendre conscience des conséquences graves que comporte une ligne de gestion déjà largement entamée, et qui ne correspond pas du tout à la situation monétaire du pays, caractérisée par une abondance de liquidité, dont une partie est non maitrisée par le circuit bancaire. Dans cette situation, d'autres solutions étaient possibles, bien que probablement jugées politiquement risquées dans le court terme. Introduire la dimension religieuse dans la solution à cette situation monétaire paradoxale n'est pas la solution.

La religion a son domaine, qui est suffisamment connu et maitrisé pour qu'on n'y mêle pas ce qui ressort universellement des activités économiques, qui ont leurs propres lois et leurs propre logique, comme leurs propres récompenses, exclusivement terrestres.

La planche à billets, une solution pleine de périls

Bien sûr, faire appel à la planche à billets comme solution miracle n'est ni efficace, ni productif. Il comporte plus de dangers que le maintien du statuquo passif, où on ne change rien à l'équation économique. On veut, paradoxalement, préserver ce statuquo, en prenant une voie qui retarde les échéances de la prise en charge de la crise, mais tout en en compliquant les données.

L'exemple de l'histoire de la politique monétaire de la République de Weimar et des Etats de l'Europe de l'Est entre les deux guerres mondiales, est là pour prouver que cette solution exacerbe les problèmes économiques et sociaux des pays qui la mènent, et peut déboucher sur des catastrophes cosmiques destructives. Tous les pays dans lesquels les gouvernements out surexploité le monopole étatique de création monétaire ex-nihilo, ont connu les mêmes dérapages, et ont suscité, si ce n'est exacerbé, les extrémismes dont on sait qu'ils ne sont nullement l'apanage des seuls Musulmans, loin de là !

Le nazisme et le fascisme, tout comme le militarisme, ont été les enfants monstrueux nés des l'excessif exploitation de ce monopole. Loin de faciliter la tâche des gouvernants, affrontant des situations sociales et politiques sérieuses, cette ligne d'action a rendu encore plus complexes, plus longues, et plus sanglantes même, les sorties de crise.

Il ne faut pas que, de nouveau, les autorités publiques retombent dans l'erreur de croire, comme au cours des deux dernières décennies du XXème siècle, que l'Algérie peut échapper, par miracle, aux conséquences sérieuses d'une politique de financement de ses équilibres budgétaires par l'appel à la planche à billets. Les lois de l'économie sont universelles et trop ancrées dans la nature humaine pour qu'on puisse en échapper.

L'austérité : un terme impropre

La rhétorique utilisée pour la défense de cette dérive ne change pas les données de base du problème, qui sont simples : ou on a les ressources nécessaires pour financer les interventions multiformes de l'état, reflétées dans le budget, ou on ne les a pas.

Le terme « austérité » pour désigner une politique d'équilibre entre les recettes et les dépenses publiques, est inapproprié, car il laisse entendre qu'on a volontairement décidé de réduire ses dépenses pour obéir à une sorte de règle morale universelle selon laquelle l'excès dans tout est un pêché, et que l'on doit mettre un frein à sa consommation, même si on a les moyens de la satisfaire sans limite.

Lorsqu'on est limité dans ses revenus, et qu'on est obligé de retreindre ses dépenses, on n'est pas en situation d'austérité, car on ne peut pas faire autrement. L'austérité est un terme aux références trop morales pour qu'on puisse l'utiliser pour exprimer une politique dictée par la faiblesse des moyens face aux besoins illimités qu'on a. Le mendiant n'est pas austère ; il n'a simplement pas d'argent pour se payer son casse croute quotidien !

Le partenariat public-privé, la fausse solution !

Mais, faire tourner le problème autour du mécanisme exclusif de privatisation des actifs publics comme solution-miracle, sans toucher aux mécanismes de base de l'économie, est également une impasse.

Ces derniers temps, on a vu le débat s'intensifier autour de la reprise des actifs publics par le secteur privé. On a même été jusqu'à invoquer la nécessité d'un « partenariat public-privé, » qu'on a paré de toutes les qualités, et qu'on a présenté comme la solution miracle, qui réglerait toutes les difficultés économiques, politiques et sociales du pays.

Ce serait, selon ses défenseurs, la « thériaque » qui guérirait tous les maux dont souffre le pays, depuis la corruption, en passant par la création d'emplois, sans oublier les équilibres budgétaires, et sans omettre le serpent de mer qu'on appelle « la diversification de l'économie. » Suivant les défenseurs de cette « politique-miracle, » même l'unité nationale serait renforcée grâce à cette opération.

Bref, le remède miracle que les Anciens recherchaient pour guérir toutes les maladies et servir d'antidote à tous les poisons, voici qu'on le réinvente pour sortir toute une nation de sa situation actuelle.

Il n'y a rien de caricatural dans cette description. Il ne faut que prendre le temps de lire le document, définissant une démarche exclusivement bureaucratique, adoptée en grande pompe, et qui, en quelque cinquante pages décrit tous la mécanique et les bienfaits de cette politique, et présentée comme la nouvelle « Charte d'Alger, » cet amalgame de bons sentiments et de mauvaises politiques dont l'application, au nom de la « Révolution » , a conduit à l'impasse des années « noires. »

L'hypothèse du « toutes choses étant égales par ailleurs » ne donne jamais de bons résultats

Le problème avec cette démarche, c'est qu'elle est basée sur l'hypothèse qu'en dehors de la relance de la privatisation, rien ne doit changer, ou peu de choses, dans le reste de la démarche de gestion tant des finances publiques que de la monnaie. On se base sur l'idée, fausse dans tous les cas, qu'en changeant un seul aspect dans la politique économique, on va apporter des bouleversements positifs dans l'économie et la société algérienne.

On s'épargnerait la peine de réformer en profondeur la structure des impôts, de mettre en œuvre l'indispensable rattrapage fiscal, connu sous le faux nom « d'impôts sur les fortune, » qui doit frapper, non les fortunes, c'est-à-dire les actifs de la nouvelles classe des « prédateurs, » mais l'excès de bénéfices gagnés du fait des distorsions tant dans les taux de change du dinar, que dans la politique monétaire, et essentiellement la politique des taux d'intérêt, que dans les facilités fiscales excessives qui leur ont été consenties, sans compter la politique des soutien des prix et de l'accès au logement social, le tout entièrement pris en charge par l'état, épargnant ainsi les nécessaires réajustements des revenus des travailleurs en fonction des bénéfices de cette classe.

Aides aux plus démunis ou subventions aux milliardaires ?

On présente cette politique sociale comme un cadeau aux plus démunis, alors que ceux qui en bénéficient le plus sont les nouveaux riches, débarrasses du fardeau des revendications sociales légitimes des travailleurs, revendications entièrement assumées par l'état et prises en charge dans le budget national.

On constate, avec consternation, en ,sans entrer dans le complexe problème de la justification ou non de leurs revendications, que les seuls à revendiquer sont les travailleurs du secteur public, qui bénéficient de la permanence de l'emploi et de la pérennité et la clarté du statut, alors que ceux du privé, autrement plus exploités, se taisent, pendant que les prédateurs qui les emploient déploient avec ostentation leurs richesses et leur train de vie, qui peut se comparer à celui des industriels innovateurs et productifs des pays les plus avancés, et qui, eux, ont au moins comme justification de leur richesse leur participation aux avances technologiques de leurs pays.

En conclusion, On parle de partenariat public-privé comme si c'était une chose nouvelle. Mais d'où ces prédateurs ont-ils tiré leurs richesses, si ce n'est de la distribution généreuse de la rente pétrolière par l'Etat.

Le partenariat public-privé a existé avant qu'il soit officiellement découvert en grande pompe, comme si c'était l'innovation du siècle, et comme s'il inaugurait une ère nouvelle dans l'économie et la politique du pays.

Sans les largesses de l'état, sans l'accès des prédateurs aux ressources publiques, que ce soit les réserves de change, les terres domaniales publiques ou privées, les exonérations fiscales, les subventions aux produits de grande consommation, les aides au logement, les crédits gracieux des banques publiques, le secteur privé, avec le genre d'entrepreneurs que ce pays a, serait réduit à la portion que mérite sa contribution à la création de richesses, qui reste nulle, même si les accumulations de richesses entre les mains de cette nouvelles classe, dépassent l'entendement et toute explication rationnelle acceptable.

L'adoration du Dieu « Privatisation » ne va pas du tout faire sortir le pays de la mélasse actuelle. Et le bilan de la privatisation est déjà fait, visible dans le paysage économique du pays, et même dans les chaines de magasins de grande distribution, qui continuent à fleurir et à se développer, malgré la « politique d'austérité, « et encore plus paradoxalement, malgré les mesures de limitations des importations de certains produits de seconde nécessité.

Y-a-t-il quelque part un personnage important qui veut faire croire que les choses bougent, simplement parce qu'on vient d'annoncer que le pillage du public par le privé est devenu la politique officiellement et délibérément assumée, alors qu'il se fait depuis longtemps de manière plus moins clandestine, au nom de la liberté du commerce, de la liberté d'entreprise et du droit à l'enrichissement sans cause.

Qui veut-on mystifier, en tenant à restreindre le débat sur la politique économique à des dispositions de caractère bureaucratique et limitées exclusivement à la relance du dépouillement des richesses nationales au profit d'une classe de prédateurs, dans l'appui de laquelle certains voient leur salut politique, même si cela doit aboutir à la liquidation des intérêts du pays au profit d'une minorité ouverte à tous les compromis et à toutes les compromissions, même avec l'étranger, pour préserver ses richesses mal acquises ?

Le temps est peut-être venu d'aller au plus profond de la mécanique de la crise économique actuelle et de s'attaquer aux causes, et non aux conséquences de cette situation, en dehors de tous calculs politiques circonstanciels.

Les vrais hommes d'états savent dépasser le brouhaha assourdissant et les solutions momentanées faciles pour s'attaquer, en dehors de toutes considérations personnelles, et quels que soient les risques courus, au fonds de la situation.