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Macron ne nous a-t-il pas lui aussi «trumpés» ?

par Mohammed Beghdad

Qui ne se rappelle pas de ces visites de Chirac et de Sarkozy en Algérie et de ces appels des jeunes qui les avaient abordés en scandant : « visas ! visas ! ». La dernière visite éclair du tout nouveau jeune et dynamique président français Macron n'a apparemment rien changé pour les sollicitations de cette jeunesse, ou du moins à qui on a permis de le croiser en cette belle journée ensoleillée dans le centre-ville d'Alger.

Je pense que jamais Macron ne se serait hasardé d'approcher et d'enclencher directement un débat de rue avec ces jeunes. Il avait le champ libre. S'il ne savait pas qu'il était en terrain totalement conquis surtout dans un espace absolument déserté par les nôtres, jamais il ne pouvait se permettre de débattre en toute liberté avec les citoyens et presque en direct on live sur les réseaux sociaux. Peut-être que nos gouvernants se seraient risqués de le faire mais après un montage minutieux de la télévision publique et sa diffusion en différé dans le glacial JT de 20 heures après d'innombrables visions et où la censure aurait battu son plein. Et encore, on aurait laissé des traces de contrefaçons que les spécialistes les auraient d'un furtif coup d'œil dévoilées.

Cette visite, qui n'a duré que quelques maigres heures, n'aura donc laissé personne indifférent et continue de faire couler l'encre et ne cesse de saliver de nombreux observateurs surtout algériens. En une seule journée, Macron avait délivré un concentré de signaux dépassant largement la limite du supportable. Pourtant sa virée algéroise est passée presque inaperçue en France, éclipsée il est vrai, par la disparition de la star française du rock & roll Johnny Halliday et surtout dans le monde par la déclaration offensante de Trump sur sa reconnaissance de la ville d'El-Qods comme capitale de l'état hébreu.

Sinon les nostalgiques de l'Algérie-française se seraient saisis de cette opportunité pour profiter de verser leur fiel notamment lorsqu'une occasion inouïe comme celle-ci se présenterait. Ils auraient eu beaucoup de choses à ressasser et à commenter surtout que l'imprenable et imprévisible président français ait nettement reculé dans son actuel discours par rapport à la mémoire.

Apparemment, le terme fort de « crime contre l'humanité » qu'il avait utilisé le 13 Février précédent, n'est plus d'actualité. Il est scellé dans un tiroir en attendant d'être un jour éventuellement ré-ouvert lorsque toutes les conditions seraient réunies à condition que les Algériens ne s'avouent pas vaincus. Rappelons le message phare qu'il avait annoncé au micro du journaliste Khaled Drareni de la chaîne tv Echourouk News : « La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes?». Un vrai pavé jeté dans la mare et lancé en pleine figure de la vieillotte droite française et de son clone l'extrême droite. Il est vite vilipendé de tous les noms par ses adversaires d'outre-Méditerranée allant jusqu'à l'accuser d'insulter la France à partir de l'étranger. On pensait que le présidentiable Macron, emporté par sa fougue juvénile, voulait peut-être déblayer le terrain et casser les tabous mais il s'avère maintenant que le chantage va encore durer. Notre fin de deuil n'est pas pour demain. Notre souffrance morale va persister.

Presque 11 mois plus tard, il est de retour en ce 6 décembre dans notre capitale, mais dissimulé derrière un scénario à la Docteur Jekyll et Mister Hyde, qui nous a tous douchés. Quoique cette fois-ci, il est dans le costume de président, élu confortablement et fort de ses prérogatives et de ses pleins pouvoirs pour prendre les décisions qu'il faut, d'évacuer les obstacles qui bloquent et enveniment les relations entre les deux pays dont le futur, tous domaines confondus, est lié. En somme, il y a une différence flagrante entre les thèses respectives du candidat et de l'élu, entre le fictif et le réel. Qu'est ce qui a changé depuis pour expliquer ce revirement de 180 degrés ?

Maintenant, qu'il est installé dans son palais de l'Elysée, il est peut être hanté par les âmes de ceux qu'ils l'ont précédé et rattrapé par les vieux démons. Effectivement, trois jours avant sa visite de travail et d'amitié, il annonce déjà la couleur, comme si de rien n'était, en twittant : « ni déni, ni repentance : on ne peut pas rester piégé dans le passé. Ce qui compte, c'est notre avenir commun ». Drôle d'amitié me laisse tenté de dire ! On ne peut pas marcher aussi allègrement sur les cadavres des martyrs et sur les enfumades de Cavaignac et de Pélissier.

Sa déclaration électorale n'était donc qu'une promesse électorale à miroiter d'abord aux binationaux et ensuite aux nationaux mais il s'était vite ressaisi après la gronde qui s'était élevée en France et qui l'avait même plongée dans les sondages alors qu'il menait largement au score des intentions de vote. Cela lui aurait été fatal s'il ne s'était pas rapidement rattrapé par la suite en retournant deux fois sa langue avant d'oser. Ce n'était qu'un avertissement des sombres souvenirs qui veillent. La vieille garde de la France coloniale tient toujours le temple du passé en otage dont elle ne veut pas s'en défaire.

De plus, dans un autre tweet posté à 11h35 exactement, juste après son arrivée à l'aéroport d'Alger, il enfonce le clou : « La jeunesse franco-algérienne est une chance. Nous ferions une erreur colossale à penser qu'elle ne fait que regarder un passé qui n'est pas le sien. ». Il veut que cette jeunesse soit amnésique. À la différence de la victime, le bourreau préfère bien tout se débarrasser de sa mémoire mais les remords ne le laisseront jamais fuir ses cauchemars. C'est pour cette raison que le mot « torture », un mot banni durant la colonisation, aura trouvé tout son sens quelques années plus tard par les tortionnaires eux-mêmes, soulageant quelque peu leurs consciences. Les deux jeunesses des deux bords de la Méditerranée doivent regarder le passé mais tout en libérant leurs aïeux du supplice moral, autrement l'histoire risquera sans cesse de les poursuivre. Un jeune doit d'abord être prompt à être ouvert sur l'avenir tout en révoquant les antécédents esclavagistes de l'être humain.

Il faut prendre exemple sur la jeunesse allemande qui dans sa majorité n'a jamais hésité à renier sa jeunesses hitlérienne. Elle a éradiqué de ses pensées toutes références au nazisme. La jeunesse italienne n'est pas non plus en marge de l'histoire pour avoir rejeté le modèle mussolinien. C'est comme cela qu'un grand pays devrait assumer avec culpabilité ses actes, particulièrement envers l'humanité. Le jeune que le président Macron avait accosté au centre d'Alger n'avait fait que de le rappeler à ses responsabilités.

Heureusement que la mémoire collective est vive. Elle se transmet de génération en génération malgré les trahisons et les incertitudes des uns et des autres. Macron était surpris qu'un jeune l'interpelle sur la colonisation. C'était comme une fausse note de son voyage croyant marcher que sur du velours. Ce jeune de 26 ans a sauvé la face d'une partie de cette jeunesse quémandant un misérable visa et c'est ce qu'on peut retenir le plus de cette balade macronienne.

Néanmoins, Macron a manqué d'avouer qu'aux Français, on a créé deux chaînes de télévision thématiques sur l'histoire, en l'occurrence « Histoire » et « La Chaîne Histoire », où l'on diffuse à longueur d'années des documentaires sur le nazisme et la shoah, pour ne pas dire, on use de l'endoctrinement à outrance, si j'ose le qualifier ainsi, afin de ne pas pardonner le passé nazi sans omettre le matraquage médiatique quasi-quotidien et les rappels à l'ordre des élèves aux cours d'histoire-géo.

Macron recommandait au jeune algérien de gommer tout cela de sa tête en regardant sans se retourner vers l'avenir et de ne point venir l'« 'embrouiller », selon ses propres propos, avec de telles « anciennes » histoires. Macron aurait dû le prôner aux français avant de nous le prescrire. Pourtant la durée de la seconde guerre mondiale ne représente que 4,55 % par rapport à la longue nuit coloniale sans manquer de souligner que les vainqueurs d'autrefois avaient eu tout ce qu'ils voulaient de l'Allemagne comme réparations surtout morales ayant trait à la mémoire.

Et comme pour bien achever la mémoire de ce peuple, il rajoute dans un ultime tweet à 11h42 précisément, pendant qu'il est sans doute en route vers Alger, en dissertant que : « Réconcilier les mémoires, c'est trouver le chemin qui permet aux femmes et aux hommes nés en Algérie de pouvoir y revenir, quelles que soient leurs histoires. ». Un autre coup de massue qui a visé en plein dans le mille. Et vlan ! Cette phrase, non innocente, n'est pas écrite de la main du premier venu. Elle est minutieusement préméditée et prépare une autre feuille de route qui ne plaide pas en faveur d'un rapprochement sincère et durable entre les deux pays.

Est-ce qu'on peut demander aujourd'hui à un résistant français de l'époque de la seconde guerre de se réconcilier avec un allemand de sa génération qui assume toujours son nazisme ? Au contraire, les anciens nazis ont été pourchassés à la loupe à travers toute la planète, puis arrêtés et ensuite condamnés. Il suffit de zapper sur les chaînes de télévision françaises pour se rendre compte que même les sentences prononcées à l'encontre des criminels leur paraissaient insuffisantes comparées aux douleurs qu'ils ont provoquées, et c'est tout à fait légitime. Quant à nous, on nous exhorte de faire maintenant table rase sur notre histoire coloniale et passer à autre chose de plus « intéressante ». Circulez, il n'y a rien à voir. Le moins que l'on puisse dire est ce qui est licite pour l'un, semble être inaccessible pour l'autre.

Seule consolation de cette journée est la promesse de la restitution des crânes des résistants algériens décapités lors des expéditions coloniales françaises. Et ce n'est pas encore gagné. Rien que le fait de penser que ces têtes de nos aïeux sont séquestrées contre notre volonté dans des boîtes à chaussures pour rependre les termes employés Brahim Senouci, prouve toute la cruauté et la barbarie de ce que fût la colonisation. Je ne pense pas que la jeunesse française soit honorée aujourd'hui par de tels actes du moyen âge.

Espérant que durant la prochaine visite d'état que compte effectuer ultérieurement le président français en Algérie, il ne viendrait pas en conquérant croyant que les fils des indigènes d'hier, des enfumés de la Dahra, des révoltés des Zâatchas et du second collège ont la mémoire courte pour leur faire avaler facilement la pilule. Ce ne sont pas les enfants des bachagha bengana et boualem. Ils sont sains d'esprit et vaccinés. Souhaitant qu'en cette journée mondiale « trumperienne », Macron ne nous a-t-il pas lui aussi « trumpés » ?