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Discours politique et paix sociale: Cafouillage au sommet

par Ghania Oukazi

La direction de la Sécurité intérieurea été destinataire récemment, d'un document mettant en évidence les effets dangereux que le discours de Ahmed Ouyahia pourrait avoir sur la société, à travers l'ensemble du pays.

Les interventions du Premier ministre devant le Parlement dans ces deux chambres, avant et après, l'adoption du Plan d'action du gouvernement ainsi que ses déclarations, ici et là, depuis qu'il a pris ses fonctions en tant que tel, semblent avoir provoqué le courroux des plus hautes autorités de l'Etat. Il lui est reproché d'envenimer la situation sociale, déjà très fragile, en raison, entre autres, de l'effondrement de la valeur du dinar et la hausse des prix des fruits et légumes qui érodent le pouvoir d'achat des ménages, des mauvaises prestations dans le secteur de la Santé, le manque d'eau?

Dès l'arrivée de Ouyahia à la tête de l'Exécutif, le discours officiel a changé de ton, qui, de conciliant entre crise économique et financière, paix sociale et stabilité du pays au temps de Abdelmalek Sellal, il est devenu tranchant, vif et menaçant, en invoquant une probable descente aux enfers du pays tout entier. Ouyahia a, tout de suite, averti, entre autres, qu'il est probable que les salaires du mois de novembre ne seront pas versés. Il a affirmé que le recours aux finances non conventionnelles ou plus justement l'utilisation de la planche à billets est devenue un impératif. Il a dénigré les actions décidées au temps de son prédécesseur par lesquelles l'Etat pensait attirer dans le circuit bancaire l'argent informel sans trop de problèmes.

En tenant toujours à aller vite en besogne et surpasser tous ses concurrents, l'actuel Premier ministre a même annoncé la décision de l'Etat d'exploiter le gaz de schiste. Il avait, aussi, susurré auprès de son proche entourage qu'il voulait se débarrasser de certains de ses ministres parce qu'ils les jugent «trop lents à la détente».

Le Premier ministre rappelé à l'ordre

Hier, le site du Premier ministère a démenti l'existence d'un quelconque changement ou remaniement du gouvernement. La précision semble s'inscrire dans le rappel à l'ordre fait, selon des sources sûres, il y a quelques jours, au Premier ministre, par la présidence de la République «en tout cas tout de suite après l'adoption par le Parlement du Plan d'action du gouvernement».

C'est surtout, tout de suite après que la direction de la Sécurité intérieure, selon nos sources, demandait à des conseillers économiques à la présidence de la République «de faire une analyse du contenu des discours et déclarations de Ouyahia depuis sa nomination comme Premier ministre».

Les rédacteurs du rapport n'ont pas eu de difficultés à en démontrer «le caractère provocateur et par conséquent dangereux sur la société », en ces temps des plus troubles en Algérie, à ses frontières, chez les pays voisins et même plus loin dans d'autres régions où le désordre est total, qui plus est «une Algérie qui se prépare pour des élections communales censées rétablir des équilibres sociaux pour apaiser des esprits en ébullition,» soutiennent des responsables. «Ouyahia a dû en faire plus que ce qui lui a été demandé, il est fait pour assumer et exécuter les sales besognes mais il est allé trop vite avec une assurance démesurée.» Il est évident qu'il n'est pas homme à décider, tout seul, d'options lourdes.

Les ministres contredisent le Premier ministre

«La présidence de la République a, immédiatement et fermement, rappelé à l'ordre le Premier ministre,» affirment-ils. Des ministres détenant des portefeuilles de souveraineté notamment, ont, nous dit-on, «été instruits directement par El Mouradia, à l'insu de Ouyahia, pour faire de leur mieux pour distiller un discours rassurant et prometteur».

Le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire a été le premier à aller sur le terrain. Nouredine Bedoui a choisi de le faire dans une région où la stabilité sociale est fragile, tant le retour au calme a été difficile après les tragiques événements qu'elle a vécus pendant plus de trois ans. Il s'agit de la wilaya de Ghardaïa où les autorités locales et les habitants font dans la prudence totale pour éviter toute provocation susceptible de troubler la paix sociale. Bedoui a pris deux jours pour, le premier se rendre dans la wilaya déléguée d'El Menaa et le second à Ghardaïa et dans quelques-unes de ses communes, pour rassurer par des déclarations qui contredisent jusqu'au fond celles faites, avant, par Ouyahia. «L'Etat n'abandonnera jamais les acquis sociaux, le gouvernement a mis d'importantes ressources financières pour les préserver, les consolider et les renforcer». Il a fait savoir que «le fonds de développement du Sud a été renfloué par l'injection de 150 milliards de dinars pour que les projets de développement du Sud puissent être financés».

Le ministre a affirmé que «même les projets qui ont été gelés (au nom de l'austérité ndlr) seront inscrits et réalisés». En plus du fonds de développement du Sud, il a assuré que les financements du développement local seront puisés dans le fonds des collectivités locales et celui de la solidarité nationale. «Le gouvernement ne se déchargera jamais de ses actions, en faveur de l'amélioration des conditions de vie des citoyens, notamment, en matière de logement, de l'eau, de la santé et de l'Education, tous les projets sociaux seront réalisés,» a-t-il soutenu.

Le ministre de l'Intérieur mettra en avant «les messages forts contenus dans le Plan d'action du gouvernement et dans la loi de Finances 2018, confirmant les orientations du président de la République». Il promettra encore que «le programme quinquennal du président sera exécuté, en entier, d'ici à la fin 2019.»

Quand Ouyahia devient l'enfant du FLN

Le ministre de l'Energie lui a emboîté le pas, lundi, lorsqu'au cours d'un point de presse, animé au CIC (Club des pins) en marge de la journée ?portes ouvertes' sur ALNAFT, il a affirmé que «le gaz de schiste, ce n'est pas pour demain, il faut 5 à 10 ans (?).» Mustapha Guitouni vantera les capacités du domaine minier national en hydrocarbures qui dépasse, a-t-il dit «un million et demi de kilomètres carrés (1.536.442 km²). Il a, ainsi, souligné que «nos réserves en ressources conventionnelles et non conventionnelles sont très importantes et nous placent parmi les premiers au monde». Des propos qui veulent convaincre de «la bonne santé de l'Algérie», non seulement les partenaires étrangers mais aussi et surtout les populations, même si le P-DG du groupe Sonatrach n'était pas là pour les conforter. Les ministres du gouvernement sont, ainsi, instruits pour apporter la contradiction au Premier ministre, «en faisant en sorte d'être rassurants, auprès des citoyens,» indiquent nos sources. L'on avance, même, qu'en haut lieu, l'on regrette le temps où Sellal utilisait le mot pour rire pour parler de la crise financière du pays. «Les citoyens l'apprécient pour son oreille d'écoute, sa sympathie et son humeur, même quand il évoque des dangers, il en sort une blague qui, très souvent, sert la paix sociale,» est-il avancé à propos de celui qui semble s'être placé «en réserve de la République».

Le secrétaire général du FLN a, lui aussi, susurré un rappel à l'ordre de Ouyahia, devant le parterre qu'il a réuni, lundi, au CIC. «Ouyahia a-t-il dit du bien du FLN ou non devant l'APN ?» a-t-il interrogé. «Oui,» lui répondent les présents. «Ouyahia est un enfant du FLN (?),» a lancé Ould Abbas comme s'il voulait insinuer que le Premier ministre ne risquera pas de faire du mal tant il est «encadré».

Alors «Ouyahia sur la sellette ? Dernière ligne droite pour lui ?,» comme le pensent ses détracteurs. L'on sait qu'il est toujours retombé sur ses pieds, même quand il abuse de sa suffisance et son arrogance. L'on avance cependant, que «le terrain doit être déblayé parce que le candidat pour la présidentielle de 2019 sera, en principe, connu entre mai et avril 2018».