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Concours de la fonction publique et déconcentration : commentaires francs et digressions obliques (3ème partie)

par Boudina Rachid*

2.3. Les opérateurs concours

2.3.1. Un paysage contrasté

Trois types d'opérateurs occupent la scène des examens et concours: 1) le type d'opérateur organique à vocation exclusive à l'exemple de l'Office national des examens et concours (ONEC) dépendant du secteur de l'Education nationale, pour le compte duquel il réalise la totalité des examens et concours relevant du statut particulier propre au secteur, 2) le type d'opérateur organique à vocation mixte, tels que les instituts et les centres de formation de l'enseignement et de la formation professionnelle et les instituts relevant d'autres ministères qui réalisent par priorité les examens et concours du secteur et accessoirement les concours et examens destinés aux corps communs et à d'autres corps et grades spécifiques à d'autres ministères qui recoupent les formations assurées par ces structure et 3) le type d'opérateur à vocation libre, à l'exemple des universités, de leurs facultés et d'autres instituts et écoles qui réalisent les concours au profit du tout-venant des administrations dans les filières où ces structures assurent des formations correspondant au profil des corps et grades concernés.

A côté de ce triptyque d'opérateurs, il subsiste un type original, si on veut, d'opérateurs, sans les citer mais ils se reconnaîtront d'eux-mêmes, qui font dans le mélange des genres. C'est une variété bien particulière d'opérateurs où les maîtres d'ouvrage des concours sont un peu juge et partie en se prévalant de ce que leur métier présente une technicité prégnante qui ne serait pas mobilisable chez les universités et autres instituts, qui vont donc se permettre de réaliser, contrôler, superviser et à interférer quasiment dans l'organisation, de bout en bout, des concours du secteur, allant jusqu'à la confection des sujets et la surveillance et à la correction des copies d'examen. On peut concéder que c'est fait peut-être de bonne foi, il n'empêche que le procédé n'est pas formellement régulier et qu'il contrevient a priori au principe qui régit les responsabilités du mandant et du mandataire en matière de concours, qui sont normalement circonscrites par l'article 19 du décret exécutif 12-194 du 25 avril 2012, précité, qui ne fait place à aucun doute sur la responsabilité des uns et des autres.

2.3.2. Un volontarisme à rentabiliser

Il s'agit surtout de reconsidérer l'intervention de l'université et de ses démembrements dans le processus d'organisation des concours et examens en reconnaissant dés l'abord que ces institutions, tout autant que les facultés et autres instituts, ont rendu et rendent encore de fiers services aux administrations.

Cette reconnaissance n'est pas réfutable. Nous attestons pour notre part de ce que nous avons vécu, vu et constaté des capacités et du savoir-faire de l'université de Constantine (université matrice) qui, pendant des années, et jusqu'à nos jours, organise et gère avec aisance et adresse, enseignants et personnels administratifs compris, les concours et les examens de la majorité des administrations relevant des dix-sept wilayas de l'est du pays, et même parfois pour le compte des ministères et établissements publics nationaux. Toutefois, cette gratitude, librement témoignée, n'exonère pas de soutenir que cette activité tous azimuts de l'institution universitaire, dans les conditions où elle se déploie, fait figure et rappelle une activité artisanale, de l'artisanat d'art par moment, mais de l'artisanat tout de même, si même c'est fait à grande échelle. Nous nous excusons platement auprès de ces acteurs occasionnels dont nous n'arrêterons jamais de louer les services, néanmoins il nous faut accepter la rude évidence qu'il est temps d'aller explorer les moyens d'une plus grande optimisation de l'intervention des universités dans l'organisation des examens et concours. Le système massif qui a prévalu, et qui prévaut encore, use les forces et parasite tant et tellement le fonctionnement normal de ces institutions, déjà particulièrement lestées par leurs charges normales de travail, qu'il devient aujourd'hui nécessaire de façonner un autre mécanisme ou une autre forme d'organisation, qui allient professionnalisme et efficience. Plusieurs formules viennent à l'esprit sans préjudice du but visé qui est celui de permettre de séparer l'activité concours et examens, des activités habituelles de l'université, et pour qu'à la fin cette activité soit détachée de l'université jusqu'à devenir autonome et néanmoins permanente.

Parmi les solutions envisageables, on peut déjà citer la création d'un établissement qui, sur le modèle de l'ONEC, sous tutelle de l'Education nationale, disposerait d'un siège central au niveau de la capitale et qui s'adosserait à un réseau national de services ou de délégations judicieusement répartis. Cet organisme aurait à prendre en charge toute la demande concours et examens exprimée par les diverses administrations selon un processus et un calendrier centralisé, dont l'annonce se ferait par tous les moyens prévus par la règlementation en vigueur. Outre un effectif permanent, cet organisme devrait s'appuyer pour son fonctionnement sur des personnels qui proviendraient des universités, soit au titre d'un détachement en respect du protocole, soit à titre de simple collaboration contre versement d'indemnités. Une autre conception prévoirait des instituts régis par les mêmes statuts que les instituts existants, qui auraient vocation à organiser les concours et examens, mais qui se verraient assigner d'autres missions proches, comme celle d'assurer la formation et la préparation générale ou spécialisée aux concours de la fonction publique, notamment pour ceux qui relèvent du groupe A de la grille de classification.

Dans un contexte d'effondrement effarant de la formation administrative, il serait même tentant d'investir ces instituts de la mission d'assurer des formations initiales s'inscrivant dans l'aire de la fonction publique, sanctionnées par des diplômes ouvrant droit à l'accès à un grade de la fonction publique, ou celle encore d'accomplir des actions de formation, de perfectionnement et de recyclage éligibles aux promotions et facilitations prévues par la règlementation.

Concernant les corps et grades relevant des trois groupes B, C et D restants de la grille de classification, on peut envisager d'instituer des opérateurs mutualisés regroupant des instituts, centres ou autres établissements, sous une forme ou sous une autre, qui participeraient à la mise en place d'un groupement d'intérêt public (GIP) doté d'une structure légère et régi par des règles souples. Il reste que le GIP n'a pas encore reçu une règlementation spécifique dans notre pays, cette solution ne peut donc que rester en réserve en attendant que l'autorité habilitée pense à combler ce vide. En tout cas, cette forme d'organisation, sans préjudice de l'écueil règlementaire, se conçoit bien comme un moyen privilégié pour la mise en commun de moyens issus de partenaires multiples en vue d'atteindre des objectifs d'intérêt commun. Sous d'autres cieux, les GIP sont usuellement instaurés pour développer des coopérations entre partenaires se concrétisant par la création d'une personne morale autonome, dont le personnel est essentiellement constitué de fonctionnaires, ou agents publics que les membres mettent à disposition du groupement.

2.4. Les jurys d'examen et concours

Dire que le jury existe dans le système national de fonction publique est une pure outrance de langage. Rappelons ce qu'en dit le décret exécutif n°12-194 du 25 avril 2012, en son article 26, dernier texte en date à régir les concours, examens et tests professionnels au sein des institutions et administrations publiques: «la liste des candidats admis définitivement aux concours sur épreuves, examens et tests professionnels est arrêtée par ordre de mérite dans la limite des postes budgétaires ouverts, parmi les candidats ayant obtenu une moyenne générale égale au moins à 10 sur 20 et n'ayant pas obtenu de note éliminatoire par un jury composé de l'autorité ayant pouvoir de nomination ou de l'autorité de tutelle ou de son représentant président, du responsable du centre d'examen membre et de deux correcteurs des épreuves membres». Vu de près, c'est presque tentant de dire que ça ressemble à un jury mais il n'en est strictement rien. En fait, il s'agit d'un simple glissement sémantique ou d'un artifice commode qui permet d'attribuer la dénomination de jury à une commission hétéroclite qui se voit investie du pouvoir de valider des résultats des concours et des examens qui lui sont servis sur un plateau (c'est bien le cas de le dire) apprêtés et conditionnés selon les us et coutumes de chaque centre d'examen, sans que cette commission puisse prétendre exercer la moindre appréciation sur les prestations des candidats. Au mieux, on peut parler d'une commission d'homologation des résultats qui intervient au bout du bout des opérations de concours pour les gratifier d'un agrément formel qui se suffit de collationner, à rebours, les différentes phases qui jalonnent la vie des concours ou des examens en jouant un peu de la calculette pour que l'illusion soit complète et qu'elle puisse dire qu'elle s'est bien assurée de l'exactitude des résultats qui lui ont été soumis.

Voyons plutôt ce que doit être un jury de la fonction publique, qui ressemble à s'y méprendre aux jurys universitaires en tant qu'ils partagent la même préoccupation et qui militent tous deux pour que le jury soit une institution souveraine pensée et conçue pour assumer un rôle éminent et décisif dans l'organisation des concours et dans l'établissement des mérites des candidats. Les résultats des concours sont déclarés dans le strict respect du principe d'équité, d'impartialité et de neutralité. Son rôle n'est pas que pur protocole, le jury est maître de la conduite de toutes les opérations de concours jusqu'aux délibérations finales qui marquent leur clôture définitive. C'est à lui de fixer les seuils d'admissibilité et d'admission, au point même qu'il a loisir de refuser en bloc l'ensemble des candidats s'il estime que ceux-ci ne justifient pas des qualités nécessaires pour leur admission. On est à mille lieues du jury à la mode de chez nous: regardons plutôt ce qui se passe le plus souvent lors des concours de recrutement des maîtres assistants et des chercheurs permanents, pour ne citer que ceux-là, où les jurys se voient obligés d'admettre bien souvent des candidats, répondant certes formellement aux conditions statutaires requises, mais dont le niveau de compétence réel est très en deçà des standards, ce qui en fait des lauréats par défaut. Il faut faire œuvre de salubrité publique pour réformer ce type de jury, qui n'est ni légitime ni efficace, pour lui substituer un type de jury, maître de ses décisions et qui n'aura rien à se reprocher au regard des règles universelles établies qui sont rappelées ci-dessous (et pas de procès en sorcellerie ! nous n'avons aucun droit d'auteur à revendiquer, nous ne pouvons prêcher une chose et faire son contraire, c'est juste une recension de dispositions provenant de la jurisprudence la mieux partagée des pays s'inspirant des exemples avancés):

- Composition du jury

Le jury est indépendant de l'autorité qui organise le concours.

Les membres des jurys des concours sont nommés par le ministre de tutelle ou l'autorité ayant reçu pouvoir de nomination. Ils accomplissent leurs fonctions (choix des sujets, surveillance des salles, correction des copies, interrogations orales, délibérations) en toute indépendance et dans le strict respect de la réglementation. Le jury ne peut soumettre son appréciation à l'arbitrage d'un tiers.

- Unicité du jury

Les épreuves des concours doivent être évaluées par un jury unique afin de respecter le principe d'égalité de traitement des candidats. Lorsque les circonstances l'exigent (nombre élevé des candidats, éparpillement des sites d'examen en particulier) le jury peut constituer en son sein des groupes d'examinateurs. Toutefois, il doit veiller à mettre en place des modalités d'harmonisation (échelle de notation appliquée dans les différents groupes) pour assurer l'égalité entre les candidats.

- Compétence du jury

Le jury est lié par les textes qui organisent le concours à la date du début des épreuves. C'est un organe collégial. Seuls les membres dont les noms figurent sur les décisions d'ouverture des concours peuvent participer à ces travaux et à ses délibérations, à l'exclusion de toute personne non désignée. Seul un jury légalement constitué a qualité pour délibérer.

- Correction des épreuves

Le jury ne doit pas tenir compte d'éléments autres que ceux qui ont trait à la valeur et au mérite des candidats. Il doit s'en tenir aux épreuves exclusivement. Il élabore un corrigé-type et un barème. Après la correction, le jury peut, après concertation et des constats faits en cours de correction, moduler le barème. Cette harmonisation doit permettre de procéder aux ajustements destinés à évaluer avec précision et équité la prestation des candidats.

- Organisation des travaux et délibérations

Les travaux du jury doivent requérir l'assistance appuyée des services organisateurs. Cet appui est assuré dans le strict respect de l'indépendance du jury qui prohibe toute immixtion dans le choix des sujets qui relèvent exclusivement du jury.

- Choix des sujets

L'administration doit juste se limiter à fournir des indications quant à ses attentes au regard des compétences recherchées. Les administrations ayant opté pour la mutualisation des concours doivent s'entendre préalablement sur les objectifs pédagogiques correspondant le mieux aux profils des grades mis en concours.

Le président du jury doit disposer du temps nécessaire pour réunir les membres du jury afin d'expliciter les attentes de l'administration commanditaire en vue de l'élaboration des sujets.

A suivre...

*Enarque à la retraite