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Baccalauréat : réhabiliter l'éducation et l'instruction dans leur interdépendance

par Chaïb Aïssa-Khaled*

Optant pour cette perspective, l'école algérienne initiera un projet de société libéré de tout préjugé inhibiteur et rétrograde, ouvert sur l'universel avec tout ce qu'il véhicule comme omniscience, technologie et modernité et appelé à former des citoyens et non des sujets accablés ou mis sous coupe réglée, des citoyens qui s'accepteront dans leurs différences, qui disperseront leurs divergences pour tisser une vie communautaire sur la base d'une équité bien pensée et non ressentie comme une aspiration confuse.

Cet objectif ne pourra être efficacement cerné et convenablement atteint que si l'éducation et l'instruction ne fassent pas dans l'enseignement «enseignemental*» et qu'elles s'élargissent à un enseignement «formationnel*». Dès lors, la formation dispensée s'appréciera par la rigueur dont sera nanti l'esprit auquel elle s'adressera, par l'efficacité que celui-ci acquerra dans l'épanouissement de ses aptitudes et dans l'accomplissement de ses attitudes. Elle s'appréciera aussi par l'affermissement de la volonté qu'elle aura galvanisé en lui, par l'enrichissement de la personnalité qu'elle aura engagé et par l'orientation qu'elle fera prendre au rapport attention / intérêt modulateur de la perfectibilité intellectuelle.

*L'enseignement enseignemental est un enseignement informel, sans but, sans objectif et sans finalité. Il ne suscite pas la curiosité de réflexion et par conséquent, ne structure pas la mentalité scientifique ?Raisonnement logique et jugement méthodique - .

*L'enseignement formationnel vitalise l'instinct de rechercher pour découvrir. Il incite à la création).

Pour ce faire, l'éducation et l'instruction s'évertueront à féconder le sentiment par la raison. Elles permettront ainsi à l'esprit de dompter les mystères de la nature. La mission de cet enseignement sera donc de permettre à celui qui le recevra, de réunir le maximum de conditions pour pouvoir s'investir dans l'actualisation de ses acquis et de son expertise. Dès lors, il pourra réaliser son intégration sociale non point en tant qu'individu stérile, sans buts, sans statut et sans originalité propre, mais en tant qu'être humain soutenu par son propre génie de vouloir conjuguer ses efforts et ses initiatives, (ses talents particuliers), au profit de l'avenir commun aux hommes. Cela dit, pour atteindre ces objectifs, l'éducation et l'instruction devront être réhabilitées dans leurs définitions originelles.

A ce sujet, Il me sera très certainement reproché de vouloir engager un débat d'idées ou à la limite attirer l'attention sur une évidence établie, en l'occurrence sur l'indépendance de l'éducation et de l'instruction, sur leur interdépendance et sur leur complémentarité. Mais n'est-il pas aussi établi que l'école algérienne fait fi de cette évidence. Elle n'arme pas efficacement l'esprit pour lui permettre de s'opposer, avec perspicacité, aux dynamiques rétrogrades de tout genre, (bannissement des repères civilisationnels universels, dérive de la conscience citoyenne, déliquescence du comportement, émergence de l'insolite ?conflit avec le genre humain), à tout ce qui peut provoquer l'usure de ce qui est en chacun de nous de profondément humain.

En traitant de cette problématique, loin de moi, de me contenter de la mettre naïvement à l'index. Je m'évertuerai plutôt à en grossir le trait pour entraîner des réactions salutaires qui elles, devraient hâter des réorganisations décisives.

En effet, les concepts «éducation», «instruction» et «progrès civilisationnel» ont tellement subi l'injure de la banalité que s'est engagé à leur endroit un consensus ambigu. Cependant, dès que l'on s'attache à préciser leur signification au plan de leurs rôles, de leurs objectifs, de leurs finalités, des démarches intellectuelles qu'elles animent et de leurs philosophies, on constate alors que nous nous sommes laissés assujettir par ce que nous croyons être une polysémie, ce qui nous a empêché de circonscrire leurs missions respectives et de définir une gestion efficace de l'acte pédagogique.

Si pour certains le mot «éducation» traduit une action dont ils ne distinguent que vaguement l'importance, le mot «instruction» n'évoque guère grand-chose. En tous cas, ils ont si souvent tendance à les confondre comme si elles ne désignent qu'une seule et même identité, pis encore comme si elles sont investies d'une seule et même mission. Il y a pourtant autant à dire sur leur indépendance que sur leur interdépendance et sur leur complémentarité.

A propos de leur indépendance

* «L'éducation est une action menée par les générations adultes sur celles qui ne le sont pas pour les rendre aptes à vivre dans un milieu social général ou un milieu social particulier» - Emile Durkheim ?

* «C'est une action volontaire, consciente et systématique qui entraine une modification de l'être physique et de son psychisme» -Edouard Claparède-

A propos de leur interdépendance

* «L'esprit ne peut-être éveillé à vide. La mémoire, le jugement, le raisonnement ne sauraient être exercés pour eux-mêmes. Ils se développeront au fur et à mesure de l'acquisition de la connaissance. L'éducation n'est pas un processus distinct. Elle est le fruit de l'instruction. Pour éduquer il faut instruire» -Johann Friedrich Herber.

- L'éducation devant vitaliser l'instinct de découvrir, de redécouvrir, d'innover, c'est donc son utilité pratique qui justifie l'acte de rechercher.

- L'instruction devant offrir le capital cognitif à cet effet, elle est l'expression instrumentalisée de l'éducation.

- L'éducation créant, reprofilant et améliorant des structures psycho-mentales et psycho-intellectuelles. Elle aide l'esprit, alors prédisposé, à s'alimenter en connaissances.

- L'instruction fécondant sa prédisposition à créer, elle favorise l'accomplissement progressif de son épanouissement, en l'exerçant à la rétention, à la compréhension, à l'assimilation et à l'exploitation des connaissances enseignées. Son objectif est de développer le champ aperceptif de tout un chacun pour dynamiser le pouvoir créatif de son esprit.

- La finalité de l'instruction est de pourvoir l'esprit en un savoir générateur de savoir-faire en structurant son équipement intellectuel de conception, (sa mémoire d'utilisation des informations comptabilisées, son imagination contentive de la réflexion et sa faculté de convertir ce qui est apparemment réel en ce qui authentiquement vrai).

- La finalité de l'éducation est d'apprendre à l'esprit à mépriser l'illusion du savoir, en structurant son équipement intellectuel de spéculation, (de prospection, d'exploration, d'abstraction et de sélection).

- Le rôle de l'éducation est d'initier l'esprit à dompter les mystères de la nature.

- Le rôle de l'instruction est de l'initier à les domestiquer.

- La pensée subjuguée par l'éducation est latérale, « ceci implique cela »-

- La pensée subjuguée par l'instruction est horizontale, « ceci ne convient pas, il faut essayer cela ».

- La démarche intellectuelle animée par l'éducation est spéculative.

- La démarche intellectuelle animée par l'instruction est conceptuelle.

Compte tenu de cette analyse comparative et ne pouvant se confondre l'une dans l'autre, l'éducation et l'instruction, pilotées conformément à une carte de navigation soucieuse de cohérence donc de complémentarité entre-elles et par conséquent de praticité, elles devront se ressourcer l'une dans l'autre. Elles devront se compléter et s'associer, selon un processus combinatoire inspiré par cette approche qui rompt avec le grégarisme, (bouillon de culture de l'anarchie), pour satisfaire à la diversité des besoins d'une société humaine sans cesse en quête de coefficients de confort de mieux en mieux adaptés à ses préoccupations.

S'associant, l'éducation et l'instruction développeront cette connaissance-action, (la formation), qui permet à l'élève de savoir plus pour « plus-être »

Au plan de leurs philosophies et par souci de structurer la pensée concrète pour en faire le foyer de cette rigueur scientifique qui vérifie la capacité de celle-ci à se développer sans se contredire et qui l'empêchera de réagir automatiquement là où il lui faudra inventer une méthode, l'éducation et l'instruction interpelleront la réflexion, la curiosité et l'imagination sous-tendues, bien entendu, par le raisonnement logique et le jugement méthodique.

Abstractif, l'effort de réflexion ou de spéculation ne pouvant être désintéressé, il sera consenti pour établir la vérité. Il se conjuguera, par souci d'accomplissement, (pertinence et faisabilité), dans l'effort de création ou conceptuel pour transformer la vérité établie en application pratique. (Rappelons que la vérité établie, quand bien même scientifique, n'est que relative. La vérité absolue n'est approchée qu'au moyen de vérités relatives successivement établies).

En conséquence, l'alliance entre l'éducation et l'instruction ne peut être assimilée à une fusion simpliste des activités de réflexion et de création. Elle sera cette synthèse où les hypothèses émises par les unes, seront justifiées par les conséquences développées par les autres. L'éducation et l'instruction s'associeront donc pour animer la recherche-développement, cette activité intellectuelle dans laquelle s'opère un échange réciproque et permanent entre les données de l'une et les inférences de l'autre. L'objectif de cette association et de satisfaire à la diversité des préoccupations d'une civilisation humaine en quête de coefficients de confort de mieux en mieux ajustés à ses perspectives.

Maitrisée par l'esprit, cette alliance lui permettra de potentialiser son savoir créatif de savoir-faire, de se livrer à la recherche-fondamentale et de porter ses investigations dans toutes les directions que lui suggèrera sa curiosité scientifique investie au profit de la recherche-appliquée. Il apprendra dès lors à cerner la portée de ses investigations en vue de résoudre les situations-problèmes auxquelles il s'affrontera. Il ne se limitera plus à apprendre pour connaître. Il s'évertuera à comprendre pour découvrir.

Si cette interdépendance et cette complémentarité qui les particularisent, seront judicieusement exploitées, l'éducation et la formation :

- galvaniseront la cohérence intra et interdisciplinaire des enseignements et des apprentissages dispensés ;

- féconderont le complexe psycho-intellectuel de l'individu ;

- fertiliseront son capital cognitif.

Elles l'inciteront de la sorte à canaliser ses approches d'analyse et de synthèse. La vérité recherchée est alors appréhendée dans des dimensions de moins en moins relatives et ses conséquences seront gérées à des fins utiles.

Nanti, désormais, d'un équipement intellectuel, (spéculatif et conceptuel), performant, l'esprit ne s'astreindra plus à empiler le savoir nouveau sur le savoir ancien. Il l'organisera plutôt et l'agencera méthodiquement dans son champ aperceptif en quête de compétences générales et de qualifications spécialisées de mieux en mieux adaptées aux exigences du siècle et à la gestion desquelles il devra participer.

De cette indépendance, de cette interdépendance et de cette complémentarité de l'éducation et de l'instruction, il devra être tenu compte dans la conception et dans l'élaboration des programmes d'étude et tout autant, dans celles des méthodes et procédés destinées à les véhiculer. Désormais :

- leur perspicacité se précisera et augmentera ;

- ils ne se limiteront plus à assurer l'apprentissage du révolu et effectueront des percées dans l'actualité ;

- ils encourageront l'esprit à conjuguer son effort de réflexion dans son effort de création.

Formé dans ces limites:

- l'esprit ne se contentera pas d'apprendre pour connaître. Il s'évertuera à comprendre pour créer ;

- il découvrira progressivement sa signification existentielle ;

- il régulera, peu à peu, ses contingences émotionnelles ce qui lui évitera de sombrer dans l'irrationnel.

Dès lors, s'affirmera en lui l'identité du citoyen socialement utile et s'affermira son souci de contribuer à l'épanouissement de la cité.

Ayant pour mission de fertiliser la prédisposition de l'esprit à apprendre pour connaître, à connaître pour découvrir, à découvrir pour évoluer et à évoluer pour pouvoir vivre au rythme de l'international sans gêne et sans complexe, sans erreurs et sans illusions, sans inquiétude et sans trouble, ceux qui sont en charge de concevoir les programmes d'étude, de les élaborer et de les évaluer, devront être en mesure de déterminer à quel niveau du programme des enseignements dispensés, celui de leur application pourrait-il être le plus utile.

Réhabilitant l'éducation et l'instruction dans leur indépendance, dans leur interdépendance et dans leur complémentarité, l'école oeuvrera pour la promotion de la formation au profit du développement durable

Les concepts « Education », «instruction» et « Formation » sont inévitablement associés au concept «Développement » qui lui supplante les concepts « Progrès » et « Civilisation», parce qu'il est la finalité qui inspire toutes les activités de la société humaine.

Etant la combinaison de deux processus irréductibles, «la croissance économique» et «l'évolution culturelle», étant la représentation concrète du processus évolutif des mutations sociales dues aux avancées scientifiques, techniques, économiques et culturelles et l'aboutissement de chaque étape de ce processus, le développement durable est cet ordre naturel des évènements civilisationnels qui s'impose tel un destin. Il s'inscrit alors comme la finalité qui anime toutes les activités de la société humaine postindustrielle. Son accomplissement nécessite donc la mobilisation de toutes les potentialités dont elle dispose autour d'un projet éducatif et culturel apte à donner un sens positif au processus de la croissance civilisationnelle.

Le mot d'ordre «La formation, ce rapport éducation / instruction, au service du développement durable» ne peut que souligner l'importance et la légitimité de la « Révolution civilisationnelle mondiale», cette explosion du savoir pour agir, pour triompher dans la compétition et pour se maintenir sur la voies du progrès et qui devra inspirer les hommes à entretenir entre eux des rapports fondés sur la coopération et non sur la rivalité.

L'interdépendance et la complémentarité de l'éducation, de l'instruction et du développement durable étant affichées en ce troisième millénaire plus qu'hier, comme un inéluctable pour le mieux être de la société humaine postindustrielle, l'Ecole algérienne préparera le citoyen algérien à se ressourcer de mieux en mieux, dans une recherche-développement qu'il érigera en amorce d'innovations innovantes.

La triade Education-Instruction-Développement durable, fondant de plus en plus le fonctionnement d'une société humaine soucieuse de l'amélioration continue de son relief civilisationnel, elle doit en être son pôle d'excellence si celle-ci veut ajuster le dispositif autour duquel s'articule son complexe civilisationnel aux impératifs nouveaux qui s'annoncent de jour en jour.

En conclusion, la réforme des examens et par conséquent celle du système éducation dans sa globalité, (la réforme des examens n'étant qu'un segment de celle-ci), ne peut être que subordonnée à la mise en place de cet ordre, faute de quoi, ce ne sera que rajouter le désordre au désordre.

*Directeur de l'Education - Professeur-Chercheur INRE