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Un livre blanc sur le «coup de force constitutionnel» : Le nouveau pamphlet de Benflis

par Zahir Mehdaoui

L'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2014, Ali Benflis, a rendu public hier son nouveau «livre blanc» consacré cette fois-ci à la révision de la Constitution.

Au cours d'une conférence de presse au siège de son parti (Talai El Houriat) à Alger, Benflis a présenté le livre de 140 pages qui explique en gros les «raisons inavouées de la révision constitutionnelle».

Pour Benflis, le pouvoir a encore une fois raté l'occasion de se réconcilier, en quelque sorte, avec le peuple par une opération de marketing qui a raté ses objectifs.

«Le processus de révision constitutionnelle dont il s'agit a été d'une durée exceptionnelle et je suis persuadé qu'il a battu tous les records de longévité comparativement à des processus similaires conduits par d'autres pays du monde», lance d'emblée l'ancien chef du gouvernement qui souligne qu'en moins de cinq ans, d'autres pays ont convoqué des constituantes et ont adopté des Constitutions entières et n'ont pas seulement procédé à des révisions constitutionnelles limitées.

«Dans le cas de notre pays, il me semble que le résultat n'a pas été à la hauteur des attentes que ce record de durée pouvait laisser espérer», lance Benflis qui note dans le même cadre que «cette révision constitutionnelle n'a été ni consensuelle ni rassembleuse comme le souhaitaient ses auteurs».

Ali Benflis, qui rappelle que le peuple a été exclu délibérément de cette révision constitutionnelle, note en ce sens que le livre blanc vient apporter les preuves confirmant que la révision constitutionnelle n'est qu'un autre jeu du sérail ; qu'elle est foncièrement inopportune et inutile et qu'elle est destinée seulement à différer le règlement de la crise de régime et non à la résoudre.

«Ce livre blanc démontre, dans le même sens, comment la révision constitutionnelle a accentué la personnalisation du pouvoir et comment elle a conforté la concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme», ajoute le président de Talai El Houriat, qui souligne que l'opinion publique nationale doit savoir que le mal profond dont souffre notre pays n'est pas dans la Constitution mais dans le système politique lui-même c'est-à-dire dans la mentalité, dans la culture, dans les pratiques et dans les comportements de ce système qui croit fermement que sa place est au-dessus de la Constitution et des lois de la République.

La révision constitutionnelle est passée par deux étapes distinctes et marquantes, de l'avis de Ali Benflis. Il y a eu, selon lui, l'étape du déclenchement des «révolutions arabes» qui a été à l'origine de l'initiative de cette révision constitutionnelle le 15 avril 2011. Saisi de panique et d'effroi, le régime politique en place a perçu l'extrême urgence de prendre cette initiative pour se prémunir contre la contagion de ces révolutions arabes. Il était alors prêt à se remettre en cause et à se résoudre à des concessions politiques douloureuses pour lui mais qui lui épargneraient le sort des autres régimes similaires dans le monde arabe.

Mais dès lors, affirme le conférencier, que le régime politique en place a constaté que beaucoup de «révolutions arabes» dérapaient, se dévoyaient et dégénéraient en guerres civiles, il en a conclu que l'orage était passé sans l'atteindre ; qu'il était sorti sain et sauf des bouleversements qu'il craignait et qu'il pouvait reprendre tout ce qu'il était prêt à concéder.

«L'initiative de révision constitutionnelle a connu un tournant et une nouvelle étape qui ont vu le régime politique en place opérer un virage à 180° en retrouvant sa véritable nature et en renouant avec ses pratiques et ses comportements anciens», dira Benflis qui ajoute que c'est ainsi qu'est né le mythe de l'homme fort dont le pays aurait besoin sur lequel est bâti tout le discours politique actuel du régime politique en place et de ses représentants, en allusion à Bouteflika, «un homme fort pour dissuader les immixtions étrangères dans nos affaires intérieures», «un homme fort pour assurer la stabilité et la sécurité du pays», «un homme fort pour mener les grandes réformes politiques, économiques et sociales qu'il n'a pu accomplir en dix-sept longues années» et «un homme fort pour instaurer un prétendu Etat civil alors que dix-sept années durant tout a été fait pour démanteler les rares acquis démocratiques antérieurs, pour bâtir un pouvoir personnel et pour ôter toute perspective à l'Etat de droit», ironise le responsable de Talai El Houriat. Ce dernier a tenu par ailleurs à soulever plusieurs défis auxquels doit faire face le régime. Il s'agit, selon lui, de la «vacance du pouvoir», «l'illégitimité des institutions de la base au sommet», «l'accaparement du centre de la décision nationale par des forces extra-constitutionnelles», «la dislocation du centre de la décision nationale sous l'effet des divergences et des contradictions entre ces forces extra-constitutionnelles» et enfin «des institutions et de l'administration publique en quasi-cessation d'activité du fait de la vacance du pouvoir alors même que le pays fait face à une impasse politique globale, à une situation économique d'une exceptionnelle gravité et à des perspectives sociales particulièrement menaçantes.

«Voilà les vrais défis. Mais ces défis ne trouveront pas même un début de réponse dans la révision constitutionnelle», conclut Ali Benflis qui affirme que «la page de la Constitution du régime a été tournée mais le livre de la crise du régime demeure, quant à lui, grand ouvert».