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L'Algérie perd trop de temps

par Abed Charef

Un nouveau congrès de l'opposition est en vue. Mais l'opposition ne va pas assez vite, et les idées ne mûrissent pas au rythme requis.

Coup de veine pour l'opposition. Alors qu'elle prépare Zéralda 2, le front social s'est embrasé, lui offrant l'opportunité de surfer sur une vague de colère qui a débordé dans la rue. Peut-on rêver, pour organiser son congrès, meilleure conjoncture politique que celle offerte par cette Algérie de fin 2015 ? Les astres semblent en effet alignés de manière exceptionnelle pour offrir une opportunité unique à l'opposition, si elle sait saisir sa chance.

Qu'on en juge : le pouvoir, déjà fragilisé en perdant un de ses piliers, se trouve empêtré dans une série d'affaires dont il sera difficile de se dépêtrer. Le président est absent ; tellement absent que d'anciens proches se demandent s'il est toujours aux commandes du navire. Le gouvernement est tellement insignifiant qu'il n'a pas plus prise sur grand-chose. Malgré le soutien des deux partis supposés les mieux représentés au parlement, il n'arrive pas à prendre des décisions mineures. Le ministre des finances a fait preuve d'un amateurisme tel qu'il a réussi à faire bouger la rue sans rien obtenir de consistant.

De l'autre côté de la barrière, le monde du travail est en ébullition. Les travailleurs sont dans la rue, où les pavés volent. L'opposition de l'ombre, à l'affût, est toujours soupçonnée d'orchestrer toute cette agitation, alors que l'opposition formelle a enfin réussi à utiliser le parlement pour autre chose que pour percevoir les indemnités parlementaires.

FORCE D'APPOINT

Encore faudrait-il que l'opposition soit en mesure de capitaliser tous ces atouts. En l'état actuel des choses, rien ne le laisse entrevoir. Pas seulement à cause de la faiblesse de l'opposition, mais surtout parce que dans un système politique comme celui de l'Algérie, les enjeux fondamentaux se trouvent à l'intérieur même du régime. L'essentiel du pouvoir se trouve au de l'appareil militaire et sécuritaire, que peuvent épauler des forces d'appoint, qu'il s'agisse de syndicats, de patronat, de partis ou de la bureaucratie.

Dans ce schéma, l'opposition peut, au mieux, servir de force d'appoint pour aider à faire basculer le rapport de forces d'un côté ou de l'autre quand il y a affrontement au sein du pouvoir. Mais ce mouvement de bascule n'a, jusqu'à présent, jamais joué en faveur de forces structurées en dehors du système. Beaucoup de velléitaires en ont fait la douloureuse expérience, pour se retrouver expulsés, après avoir perdu leur crédit et une partie de leurs troupes, ralliées au pouvoir.

Le pays a perdu beaucoup de temps et d'énergies dans ce jeu stérile. C'est un véritable gâchis, dont on ne mesure pas encore la portée. Un parti comme le MSP pouvait canaliser tout un courant conservateur aspirant à participer, sans violence, au pouvoir. Le RCD pouvait, lui aussi, constituer un véritable centre de convergences entre des courants modernistes, laïcs et libéraux, en mesure d'entrainer le pays dans le nouveau siècle.

MATURITE

Faut-il encore évoquer le FFS, qui pouvait être au cœur d'une véritable alternative démocratique, mais a été soumis à une telle pression que son existence même relève du miracle ? L'attitude suicidaire du pouvoir, soucieux d'abord de détruire tout ce qui pouvait constituer une alternative, a brisé toutes ces constructions, en les intégrant dans son jeu, pour les premiers, en le contenant dans une sorte de ghetto, pour le FFS.

Ceci ne signifie pas pour autant que l'opposition va organiser son Zéralda 2 sans atouts. Les lignes ont bougé, la situation a évolué, et l'opposition elle-même a gagné en maturité. Et même si elle n'a pas encore fait sa mutation complète, elle a abandonné une grande partie de ses illusions, tout en accédant à une certaine part de lucidité.

Deux points essentiels sont à mettre à l'actif de l'opposition réunie au sein de la CNLTD. Elle se dit convaincue que la solution n'est pas à l'intérieur du système, mais dans le changement. Certaines composantes de l'opposition ont mis de longues années pour y arriver, mais c'est toujours ça de gagné. Second point : les illusions sur le grand soir sont tombées. Le «printemps arabe» a même rendu inquiétante l'idée d'un grand soir. Désormais, tout le monde admet qu'il est nécessaire d'organiser une transition négociée, avec la participation du pouvoir en place.

Il a fallu deux décennies d'agitation et de drames pour que les oppositions en arrivent à ces conclusions. Beaucoup de temps, d'argent, d'énergies et de vies humaines ont été perdus. Il reste à espérer que l'opposition n'aura pas besoin d'un délai aussi long pour trouver les leviers et les mécanismes nécessaires en vue de construire une alternative à ce système.