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Quand les surfacturations de la mafia sauvent les surenchères des dix-neuf !

par Abdellatif Bousenane

La pertinence manquante à la lettre du groupe des dix-neuf a été reconquise et renforcée par l'ampleur de l'affaire des surfacturations de nos importations.

La lettre du groupe des dix-neuf qui a été largement commentée et qui a fait le buzz dans les médias nationaux porte en elle beaucoup de contradictions et même une espèce de légèreté. Elle aurait était ainsi banalisée par l'effet du temps, mais par chance ou par mauvais calcul de la part du ministre du Commerce, la bombe des surfacturations à l'importation a ravivé l'esprit de cette initiative. Puisque son message a mis en doute explicitement la capacité des gouvernants à protéger les intérêts suprêmes de la nation des convoitises étrangères.

Cette lettre qui se veut une troisième voie d'une force politique qui souffle le chaud et le froid et qui se démarque donc par une posture qui ne rejette pas en bloc le fameux « système » mais qui dénonce une « dérive des institutions de l'État », n'a pas beaucoup convaincu. D'abord par les femmes et les hommes initiateurs, notamment les plus influents parmi eux, Louisa Hanoune en premier plan puis Khalida Toumi l'ancienne ministre très fidèle de Bouteflika. La première a soutenu bec et ongle le quatrième mandat et elle n'arrêtait pas de vanter les mérites du président depuis plus de 15 ans. Et, maintenant elle essaie de persuader les algériens que l'Algérie était « trotskiste » jusqu'à l'éviction des généraux du DRS ! Pour la deuxième femme, la question ne se pose même pas ! Le reste des personnalités, malgré leur sincérité et bonne foi qui expriment des opinions et des convictions idéologiques respectables mais, malheureusement, leur poids et leur leadership contestés sur cette liste même constituent un grand handicape.

Le fond du problème

Sur l'essence même de la lettre, qui est sous forme d'une demande d'audience auprès du président de la République dont les signataires doutent de ses capacités à gérer le pays ! On lui fait savoir que son entourage lui cache beaucoup de choses et qu'il est manipulé voir marginalisé dans la gestion des affaires du pays ! En gros, ils affirment au chef de l'État, qui garde toujours leurs estimes et respects d'ailleurs, qu'il a choisi des responsables qui l'ont trahis, qui sont malhonnêtes et qui ne soucient guère des intérêts suprêmes de la Nation ! Ce sont des affirmations lourdes de sens tout de même. Est-ce que, humainement parlant, quand une personne accuse son interlocuteur de tous ces torts et péchés, elle lui laisse une envie de la rencontrer ? Ce n'est pas sûr ! Il faut juste souligner que le staff du président n'a pas changé depuis le quatrième mandat, en tout cas pour l'essentiel. Dans leurs motivations, on peut comprendre que le grand scandale des surfacturations à l'importation n'y figure pas puisque cette bombe a été éclatée à posteriori. Mais l'élément central qui caractérise cette « dérive », dans leur logique, c'est le droit de préemption d'État qui n'est pas encore supprimé officiellement, le premier ministre a affirmé d'ailleurs, à contrario, son maintien à partir de Blida. Donc, face à ses revendications plutôt farfelues et contradictoires, nous sommes devant un cas de stratagèmes voir des surenchères politiciennes qui visent à tordre le bras aux anciens amis qui leurs ont tourné le dos.

Or, au moment que cette initiative va être enterrée, l'éclatement d'une autre affaire, plus grave cette fois-ci, a ravivé l'esprit de cette lettre d'audience. Elle met un coup terrible à la crédibilité même du gouvernement. Comment peut-on admettre qu'un État accepte, ou laisse faire, que 30 % de ses devises soient volées ? Il s'agit des surfacturations qui sont de l'ordre de 30 % de la somme totale de nos importations selon les dires du premier responsable du secteur.

Pour quel intérêt donc la préemption ?

Dès lors, le débat sur la préemption d'État devient très intéressant devant la gravité et l'ampleur de ce vol organisé ! Ce droit légal qui permet à l'État de racheter toute société privée y compris étrangère mise en vente, vise à préserver les intérêts financiers du pays. L'Algérie a utilisé ce droit, à titre d'exemple, dans l'achat de Djezzy pour éviter au pays la perte de quelques milliards de dollars et des milliers de postes d'emploi. Cependant cette règle perd complètement son intérêt lorsqu'on sait qu'on a perdu des dizaines de milliards de dollars dans ces surfacturations à l'importation ! En tout cas, si on prend le chiffre officiel de 30 % comme référence de calcul, nous nous trouvons devant une somme colossale de plus de 100 milliards de dollars, ça peut aller même jusqu'à 150 milliards sur 16 ans ! Pour quel intérêt donc imposer aux étrangers la règle de 49/51, si 30 % des devises du pays partent à l'étranger d'une manière illicite et frauduleuse ? Comment le citoyen lambda va comprendre le discours de son gouvernement qui le martel à faire des efforts au moment des difficultés économiques ! Alors que quelques personnes peuvent détenir par de « simples » surfacturations illicites plus de 90 % de réserves de changes actuelles du pays, sans que cela ne provoque un grand séisme ?

Comment put-on persuader le citoyen, le bon (pour ne pas évoquer le mauvais citoyen allié de la main de l'étranger, qui s'oppose systématiquement et qui est dans une posture pessimiste !), de la bonne gouvernance de ses responsables lorsqu'il apprend l'éventuel recours à l'endettement extérieur, donc le recours à des devises étrangères qu'on gaspille à grande échelle par ces surfacturations ? Comment peut-on le convaincre des choix douloureux sur le plan social que l'État va entreprendre si les cours du pétrole ne se redressent pas ?

Comment peut-on parler désormais de la main de l'étranger alors que « la main nationale » vole les devises du pays en compromettant ainsi l'avenir de ses enfants, pour les placer (les devises) justement aux banques étrangères sous les yeux des services qui sont chargés de la surveillance de deniers de l'État ?

Voici les questions que, pas seulement le groupe des 19 mais tous les algériens, doivent poser au président de la République.

Quel est le seuil de « tolérance »!

On aimerait bien apprendre dans les jours à venir que le ministre s'est mal exprimé ou qu'il soit mal compris, car cette somme gigantesque, pour un petit pays du tiers monde, ne se limite pas à une tricherie ou fraude. Ces mots sont devenus tellement familiers aux algériens que beaucoup de monde aujourd'hui à tendance à normaliser et banaliser ces crimes contre l'économie nationale, mais il s'agit bien d'un vol à grande échelle, une atteinte à la souveraineté et la sécurité du pays. A ce titre, notre société et à l'instar des autres sociétés du tiers monde et même des pays très développés, n'est pas à l'abri des phénomènes sociaux de corruption, surfacturation, fraude fiscale, etc. Mais là, on a dépassé toutes les limites imaginables ! Voler plus de 30 % de la valeur réel de nos importations et en devise qui sont de plus en plus « rares » dans cette conjoncture, nous mène à une question évidente : quel est le seuil de « tolérance » à ces « fraudes », à quel montant doit-on réagir fermement et au plus haut niveau, 50 % ? 70 % ? Ou 90 % ? de surfacturations, c'est-à-dire, de nos ressources en devise? C'est invraisemblable !

Un ministre qui nous dit, froidement, qu'on vous vole 30 % de vos devises, 18 milliards de dollars, juste en 2014, ce qui représente aujourd'hui plus de 50 % de nos exportations, la seule source de devises du pays, puisque les exportations de cette année ne vont pas dépasser dans les meilleurs pronostics les 39 milliards de dollars ! C'est là où le message du groupe des dix-neuf trouve tout son intérêt. Parce que les doutes et les interrogations les plus conspirationnistes dans ce contexte bien précis sont justifiés et raisonnables. Car tout le monde doit poser la question de la « violation des lois et règlements de la République » sur laquelle ces personnalités insistent.

Sans la convocation d'un conseil des hautes-autorités du pays pour mettre en pratique des mesures concrètes et très urgentes pour traduire les responsables de ces vols à grande échelle devant les instances compétentes et récupérer au moins une partie de ces sommes, cette affaire va certainement mettre un doute profond chez les algériens les plus attachés au discours optimiste qui les rassure sur la force et la vigilance de leur État contre toute concupiscence qui menacerais l'équilibre économique de leur pays. Ne pas agir rapidement et faire toute la lumière sur cette affaire et prendre toutes les mesures à la hauteur de ce crime économique grave, c'est donner raison aux extrémistes.