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L'ancienne ministre de la Culture, Nadia Labidi, au « Le Quotidien d'Oran » : «Louisa Hanoune n'a pas tenu promesse»

par Zahir Mehdaoui

Mme Nadia Labidi ne s'était pas exprimée depuis son départ du ministère de la Culture en mai 2015.Rencontrée au Salon international du livre d'Alger (SILA), elle se confie en exclusivité au Quotidien d'Oran sur quelques points.

Le Quotidien d'Oran : Que devient la plainte que vous avez déposée contre la secrétaire générale du PT au niveau des juridictions compétentes ?

Nadia Labidi : L'instruction a été ouverte. Elle suit son cours. J'ai été convoquée par le juge d'instruction à qui j'ai confirmé ma plainte et chacun des points la constituant.

Je fais confiance en la justice de mon pays. Nul n'a le droit de s'ériger à la place de la justice, comme le fait Mme Hanoune, à la fois en procureur, en juge et en tribunal.

Il faut bien comprendre le sens de ma démarche. Elle concerne ma personne mais aussi elle la dépasse. Je combats pour ma dignité, pour le respect de ma personne. Mais du même coup alors pour celle aussi de tous les citoyens.

La liberté de parole est un acquis précieux de notre démocratie naissante. Mais elle ne signifie pas la liberté de diffamer. Il ne faut pas que ceux qui agissent ainsi aient un sentiment d'impunité. La loi doit défendre les citoyens contre toute atteinte à leur dignité. C'est cela un Etat de droit, c'est cela une société civilisée. Mon combat va dans ce sens. Je ne l'ai pas choisi. J'étais même loin de me douter que cela m'arriverait en tant que ministre. Mais quand c'est arrivé, il fallait assumer.

L'immunité parlementaire est elle aussi un acquis précieux de la démocratie. Elle a été créée pour protéger les représentants du peuple. Mais elle ne doit pas être détournée à d'autres fins et servir à agresser d'autres personnes, à mentir, là aussi, dans l'impunité, à porter atteinte à la dignité des gens.

Pour ma part, j'ai respecté mes engagements. J'ai dit que je déposerai plainte pour diffamation et je l'ai fait. J'en ai assumé les conséquences. Je suis redevenue une citoyenne ordinaire. Pour sa part, Mme Louisa Hanoune n'a pas, jusqu'à présent, respecté sa promesse de renoncer à son immunité parlementaire. Aurait-elle peur de la justice ?

Lorsque j'ai déposé ma plainte, l'acte pouvait paraître inédit. Mais je suis contente de voir aujourd'hui la situation évoluer à ce sujet. En effet, d'autres à un haut niveau de responsabilité recourent ou indiquent qu'ils vont recourir à ce moyen que nous donne la justice pour défendre notre dignité ou tout simplement la vérité. Le ministre de la Justice et d'autres ont bien indiqué récemment que l'ère de l'impunité par rapport à la diffamation, aux insultes était finie.

Q.O.: Mme Labidi, on vous retrouve au Salon du livre. C'est peut-être l'événement le plus important en Algérie après le Salon international d'Alger. Vous êtes une femme de culture et d'art. Mais on a l'impression en Algérie que la culture, au sens noble du terme, est un luxe. Quel est votre avis sur le sujet, sachant que vous étiez ministre de la Culture durant une année ?

N.L.: Cela dépend de ce qu'on entend par culture. S'il s'agit de notre culture, de nos valeurs, de notre identité culturelle, elles sont en nous, elles sont nous-mêmes. Elles ne sont et ne seront jamais un luxe et la raison d'être même du ministère de la Culture est de défendre, de préserver et de transmettre ce patrimoine. J'ai été frappée, en tant que ministre de la Culture, de voir combien c'était le souci des fonctionnaires du secteur de la culture, mais aussi d'un nombre incroyable d'Algériens. Si vous saviez le nombre d'Algériens qui consacrent leur énergie à cela, qui nous signalent toute atteinte au patrimoine, qui collectionnent et préservent chez eux des éléments de ce patrimoine, des pièces de monnaie, des manuscrits, des statues, etc.

Mais si vous voulez parler de la culture en tant que production artistique, en tant que création, le théâtre, le cinéma, la littérature, la musique, la peinture, etc., je crois que dans ce domaine comme dans d'autres d'ailleurs, le principal écueil est le populisme. Le populisme a cela de néfaste qu'il se réfère sans arrêt au peuple, qu'il le flatte, mais qu'au fond il ne défend pas ses intérêts, et même le méprise, à travers une vision paternaliste.

Transposé dans le domaine culturel, ce populisme réduit notre culture à un folklore figé, ou à des manifestations festives. Or le peuple, lui, demande, non pas qu'on le flatte, mais qu'on élève sans arrêt son niveau, non pas qu'on le prive par exemple de musique symphonique, mais qu'il y accède, qu'on la démocratise. L'affluence, ces derniers temps, du public aux concerts symphoniques est significative. Jouer Beethoven, mais aussi la musique andalouse, chaabi, la musique berbère en interprétation symphonique, c'est du même coup préserver, valoriser notre patrimoine, lui donner une dimension universelle en l'insérant dans la modernité. On peut prendre bien d'autres exemples dans la danse, la chanson, le théâtre, etc. Bref, associer authenticité et modernité, comme y engage souvent le président de la République, tel me semble être le fond de la question culturelle.

Q.O.: Que devient madame Labidi après son départ du ministère ?

N. L.: Elle est revenue à l'Université. J'encadre actuellement des doctorats. J'éprouve le plaisir d'être redevenue une citoyenne «normale» après le tumulte du poste ministériel. Je rêve de faire de nouveau un film?