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L'HISTOIRE EN MARCHE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Le serval. Roman de Samir Mehalla. Editions L. De Minuit, Alger 2014, 456 pages, 188 dinars

Attention, le titre n'a rien à voir avec l'opération militaire française menée au Mali en janvier 2013 et achevée ( ?!) en juillet 2014. Peut-être avec l'animal en question, le Leptailurus serval, anciennement Felis serval : des points communs avec le guépard, mais proche du chat doré africain. Il joue souvent avec sa proie pendant plusieurs minutes avant de la manger. Il ne parle pas. Il observe et son regard décrypte tout. Un témoin. De l'amour de Hiba, médecin, pour Riad et celui de Riad pour Hiba (avant la crise de «Redjla»? et avant la vague islamo-terroriste qui a bouleversé la mentalité de Riad)

Voilà donc un livre tout en questionnements sur la vie, sur la femme, sur l'amour, sur le travail, sur l'engagement, sur l'émigration, sur les jeunes, sur l'école, sur le système éducatif, sur la langue, sur la gouvernance, sur la politique, Octobre 88, la décennie noire? sur tout ou presque tout. L'auteur présente plusieurs textes, plus d'une demi-douzaine, débutant par des effusions avec une pierre, la Pierre, obligeant le lecteur à participer aux récits.

 Une pierre heurtée par hasard sur une plage d'Alger. Mais qui s'est transformée «en co-signataire de l'éthique». La Pierre, témoin des âges? dure, détentrice de secrets du monde, des hommes. Noircie par les méfaits et l'hypocrisie des humains et diseuse de Vérité !

 A travers les parcours de Hiba et de Riad, l'auteur raconte, en fait, l'Algérie, ses réussites, ses espoirs mais aussi ses échecs. Même l'amour n'y échappe pas et finit dans la mort ou la folie. Une leçon d'Histoire assez originale.

 L'Auteur : Journaliste-chroniqueur depuis près de deux décennies, il a exercé au sein de différentes rédactions, tout particulièrement celles de quotidiens francophones d'Alger. Il a déjà publié, en 2012, un ouvrage, «Le monde arabe en point de mire», un livre-entretien avec René Naba

Avis : Difficile à lire, mais essayez tout de même pour participer à une gymnastique stylistique déroutante, mais prenante au fil des pages.



Citations : «Un être en quête d'absolu est avant tout un être aéré au monde et à la culture de ses semblables» (p 17), «Les journalistes de nos jours ne ressentent même plus le «mal» d'être constamment heureux dans le malheur. Le malheur pour eux, c'est nickel ! C'est la normalité» (p 87), «Penser n'a plus de temps. Plus de ton. Proposer et disposer sont les mots à la mode. L'Algérie ne propose rien. Ne dispose de rien. Ne fait pas d'effort pour ses jeunes « (p 111), «Le terrorisme est le résulat d'une disparition de Dieu. L'homme qui commet des actes criminels est un homme qui a perdu confiance dans le Dieu qui est supposé le soutenir et le protéger? L'intégrisme est donc une forme d'athéisme en Islam. L'athéisme et l'intégrisme sont des frères jumeaux» (p 156)

Fils du Shéol. Roman de Anouar Benmalek. Casbah Editions, Alger 2015, (Calmann-Lévy, Paris 2015), 409 pages, 950 dinars

C'est l'histoire du jeune Karl, allemand, embarqué dans un fourgon à bestiaux à destination des usines de mort nazies, installées en Pologne. Parce que Juif ! Il est gazé comme des millions d'autres.

 Il est «condamné», depuis l'« étrange séjour des morts», le «Shéol», à regarder vivre, souffrir et mourir les siens : Son père, devenu Sonderkommando (chargé de l'incinération des prisonniers) ; sa mère, Elisa, fille d'Alger, amoureuse folle de la musique andalouse, le «paradis perdu» des Arabes et des Juifs, lumineuse et grande battante, elle aussi gazée dans le même camp parce que juive ; le papy («heureusement» décédé de mort naturelle mais enterré à la va-vite). Lui, c'est Ludwig qui, un siècle auparavant, a servi dans l'armée allemande du sud-ouest africain (actuelle Namibie, totalement colonisée, martyrisée, massacrée, avec des centres de «concentration» identiques, ou pires,à ceux des descendants nazis ) et qui était resté «possédé» par le continent noir, en raison d'un immense amour (le pire des crimes !) pour une «indigène», Hitjeverwe, qui allait lui donner un enfant, lui aussi mort sous les coups des occupants...

 L'enfant, Karl, et tous les autres, chacun dans son univers, remontent le temps, essayant ? vainement, tant la réalité est effroyablement et incroyablement vraie - de comprendre l'évolution du mal à travers le massacre, par un même pays, de deux populations : les Héreros de Namibie et, plus tard, les Juifs. Et, aussi, de revivre, ne serait-ce que mentalement, le temps passé avec ses joies et, surtout ses peines, ses succès et surtout ses ratages, ses espoirs et surtout ses regrets.

 L'Auteur : Il est né à Casablanca en 1956. Ecrivain, poète, journaliste, enseignant universitaire, un des fondateurs du Comité algérien contre la torture, plusieurs fois récompensé, auteur d'un grand nombre d'ouvrages, des romans (dont «Ô Maria» en 2006, «L'Amour Loup» en 2014, « Chroniques de l'Algérie amère» en 2011?), de la poésie (en 1984 et 2005), des nouvelles?

Avis : Ça ne se lit pas, ça s'ingurgite. Pour moi, un chef d'œuvre et, déjà, le livre de l'année.Une histoire lointaine, qui remonte à bien longtemps, mais une histoire qui concerne toute l'humanité? Une humanité qui bascule, toujours, si facilement, dans l'inhumanité et l'horreur. L'histoire bégaie : Avant-hier, les Héreros de Namibie, hier les Juifs ! Aujourd'hui, les Palestiniens et les Sahraouis? A qui le tour?

Interdit de lire aux moins de dix-huit ans, tant l'horreur de l'inhumanité prussienne puis nazie, est décrite avec force détails et vous noue les tripes, avec une envie monstre de vomir. On aurait aimé tellement voir l'auteur, ou un autre, écrire un livre de même qualité sur les méfaits du colonialisme français en Algérie.

Citations : «Vivre est un privilège dont il ne faut pas trop abuser» (p 73), «La vie comme les bouteilles, ça se vide rapidement» (p 99), «La honte née de l'acceptation de la lâcheté était un mal «facilement» supportable au regard des conséquences (?) occasionnées par son refus» (p 253), « Il n'y a rien de plus sale que la mort. La mort, oui, c'est la saleté suprême. Par rapport à elle, tout est beau, même la pire des laideurs» (p 275), «Que les femmes sont bêtes ! Même au sein du malheur, elles s'arrangent pour se créer encore plus de malheur» ( 368), «Les noms étaient des crochets douloureux inventés par les hommes pour persuader les nouveaux venus sur terre qu'ils sont uniques et que leur vie vaut d'être vécue» (p 381)

Histoire de l'Algérie Médiévale. Etudes. Ouvrage collectif dirigé par Houari Touati. Enag Editions, Alger, 2013, 431 pages, 1.200 dinars

Quelle Histoire ! Riche et compliquée, ouverte sur le monde mais, aussi, assez heurtée ?C'est la rançon non de la gloire, mais d'une position géographique centrale, stratégique, difficile, facilitant toutes les aventures? bien souvent assez courtes. Il est vrai que le relief, diversifié et bien souvent torturé, ne facilitait pas les choses. Aucun envahisseur ou occupant n'a réusi à s'installer définitivement tant les résistances autochtones ont toujours été farouches, absorbant les hommes et n'en gardant que les idées. Ne dit-on pas que ?Umar, deuxième calife de l'Islam, aurait déconseillé à ?Amr? b.al-?Aas, gouverneur de l'Egypte, de marcher vers l'Ouest pour conquérir l'Afrique, dont la réputation était d'être un pays «perfide et hostile » qui ne pouvait être conquis C'est un peu ce qui ressort de cette Histoire, qui reste à parfaire ou/et à compléter, de l'Algérie Médievale présentée par les chercheurs. Cinq grands et riches chapitres : L'Histoire politique : fin du VIIè-milieu du XIIè siècle, puis milieu du XIIè à la fin du XVè siècle.

L'HISTOIRE SOCIALE

L'Histoire économique (un passage, dans la conclusion, assez illustratif d'une mentalité qui nous paraît perdurer : «Il n'y a pas eu de déclin économique ?après le XIè siècle -, il y eut cependant un décrochage par rapport à l'évolution plus dynamique de l'Europe. Il a manqué, pour cela à la fois une volonté politique, le pouvoir préférant accueillir les marchands étrangers que favoriser le déploiement de ses propres sujets. Mais, il a manqué également des investissements dans le secteur productif comme dans le secteur du commerce, qu'il faut, peut-être, mettre en relation avec l'évolution sociale des élites, tant urbaines que rurales, qui ne jouèrent pas le rôle économique moteur qui fut le leur en Europe à la même époque»)

L'Histoire religieuse

L'HISTOIRE DES MINORITES

L'Auteur : Allaoua Amara, Gabriel Martinez-Gros, Elise Voguet, Dominique Valérian, Houari Touati et Henri Bresc, tous universitaires ; deux (à peine) d'Algérie et quatre de France

Avis : Livre de chevet. Mais, faites attention en l'achetant. Vérifiez bien si l'introduction de Houari Touati existe. Annoncée au sommaire, elle ne se retrouve pas dans mon exemplaire. Et, rien en quatrième de couverture pour nous aider à avoir une petite idée du contexte des études présentées. Décidemment, les métiers d'éditeur et de contrôleur de qualité ont encore bien des progrès à faire !

Citations : «L'Algérie constituait au IIIè/IXè siècle une immense mosaïque, dont la complexité, l'instabilité et l'enchevêtrement défient presque l'entendement» (p 31, Allaoua Amara), «L'arrivée des arabes au Maghreb central n'a pas profondément transformé les structures sociales de la région» (p 199, Elise Voguet), «L'Histoire sociale du Maghreb central reste, on le voit, très impressionniste. Si des groupes se déssinent, les individus ont du mal à émerger» (p 200, Elise Voguet), «L'islamisation du Maghreb central est encore à écrire» (p 269, Houari Touati)