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En quoi une réunion de l'OPEP serait-elle rassurante pour les Algériens ?

par Reghis Rabah*

De nombreuses analyses se focalisent sur une polémique entre le nouveau ministre de l'Energie et le Libyen Abdellah Al Badri, l'actuel secrétaire général de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) autour d'une éventuelle réunion de ce cartel donnant ainsi l'espoir qu'une telle rencontre influencerait le marché confronté à une rechute des cours du Brent qui risque de perdurer mettant ainsi en difficulté de nombreux pays dont l'économie en dépend.

Le ministre algérien, qui s'est appuyé sur les statuts de l'organisation pour rappeler que c'est le niveau ministériel qui décide de la marche à suivre pour réajuster les quotas et tenter ainsi d'agir sur l'offre que le secrétariat général veille à son application. Il a rappelé que la baisse des prix a atteint des niveaux qui devraient inciter à une réunion extraordinaire. Ceci semble logique étant donné la mission même de l'organisation dont l'objectif est de défendre les prix pour limiter les pertes conséquentes pour ses membres, sinon à quoi servirait une adhésion à ce cartel pétrolier ? Il faut peut-être souligner que les membres fortement touchés par la baisse de leur recette ont déjà entamé une démarche, à l'initiative de l'Algérie et du Venezuela, pour tenter de contrecarrer, en vain d'ailleurs, le statu quo imposé par les pays du Golfe sous le leadership saoudien. Malheureusement, le cartel a maintenu inchangé son plafond de production et le baril a perdu, depuis, près de 15 dollars, passant de 62 à 47 dollars. Selon des rumeurs, l'Algérie, après la visite du président vénézuélien, est favorable à des contacts avec les producteurs non OPEP pour parvenir à rétablir les équilibres du marché. Pour ces deux pays, les équilibres internes se sont effondrés depuis déjà plusieurs mois. Le président Nicolas Maduro a donné l'exemple, fortement suivi par l'exécutif et le parlement, de diminuer son salaire. Des représentants de pays membres de l'OPEP ont déjà fait part de leur opposition à toute intervention sur les prix. Plus grave, des pays de l'OPEP, dont l'Arabie Saoudite et l'Irak, pompent bien au-delà de leurs quotas respectifs, portant la production globale de l'OPEP à près de 32 millions de barils/jour, contribuant ainsi à la situation de surabondance de l'offre dont souffre le marché. Aujourd'hui, il a suffit qu'un ministre rappelle les missions statutaires d'une organisation que de nombreux titres ont en fait un débat comme s'ils avaient attrapé un lion par sa queue. Quand bien même ce cartel tienne sa réunion et qu'il décide de réduire son offre, une telle réduction sera-t-elle capable d'influer sur le marché ? Pourquoi cette guéguerre interne entre l'Arabie Saoudite, d'une part, et l'alliance Iran/Irak, de l'autre ? Depuis le contrechoc pétrolier de 1986, à qui profitent en définitive les actions de l'OPEP ? Enfin que reste-t-il de ce cartel ?

1 ? Aucun membre de l'OPEP ne respecte le quota qui lui est fixé

Il faut signaler que les réserves prouvées en pétrole des pays de l'OPEP atteignent, fin 2014, 1.214 milliards de barils, soit 71,9% des réserves prouvées dans le monde, selon les données de BP. Il est à noter que dans la mesure où la valorisation des compagnies pétrolières et la notation des pays producteurs dépendent pour une part importante de l'appréciation des réserves, les montants communiqués, en particulier par l'OPEP, sont souvent surestimés pour des raisons tactiques dans le but de gagner en parts de marché et, partant, en cote financière. Si l'on considère le respect du quota par pays, on a déjà un dépassement de près de 2 millions de barils, comme le montre le tableau combiné par trois différentes sources. Les prix moyens du panier de l'OPEP sont passés de 105.87 dollars/bbl en 2013 à 96,29 dollars/bbl en 2014 pour redescendre à 44,13 le 20 août dernier, soit une perte de plus 40%.

Pour donc espérer un rebond significatif des prix, il faut beaucoup plus que les 500.000 barils par jour que l'organisation nous a habitués à consentir avec une grande difficulté. Alors, qui en est capable étant donné l'équilibre budgétaire tel qu'il est décrit dans le tableau de mettre la main dans la poche ? Tous les yeux sont tournés vers les pays du Golfe qui suivent, quant à eux, une toute autre stratégie, très loin des préoccupations du cartel.

2- L'Arabie Saoudite est acculée mais dispose des moyens de sa politique

Les tendances actuelles du marché de l'énergie ne sont pas bonnes pour l'Arabie Saoudite. Pour commencer, l'Agence internationale de l'énergie a publié récemment des projections qui indiquent que les Etats-Unis pourraient bien rafler au géant pétrolier du Golfe la première place de producteur de la première énergie mondiale à l'horizon 2020. Mi-mai 2014, cette même agence a révélé que l'Amérique du Nord, grâce au développement rapide de son industrie pétrolière de nouvelle génération, devrait dominer la production globale de pétrole dans les cinq années qui viennent. Ces développements imprévus ne représentent pas seulement un coup porté au prestige de l'Arabie Saoudite, mais également une menace potentielle à l'encontre de la prospérité économique du pays sur le long terme et tout particulièrement dans le contexte actuel post-printemps arabe, qui voit une augmentation des dépenses gouvernementales. Mais si l'avenir du royaume apparaît décidément sombre, sa réponse apparaît des plus confuses. Il faut ajouter à cela la pression du Congrès américain sur la Maison-Blanche pour créer une équipe rattachée au ministère de la Justice dont les objectifs sont d'enquêter sur les mécanismes des prix et sur, éventuellement, les manipulations des cours du pétrole même aux Etats-Unis. Ce projet, non encore validé, prévoit non seulement de se passer de l'Arabie Saoudite mais aussi la possibilité de poursuivre en justice les pays membres de l´OPEP au nom des lois antitrust. L'AIE, la même année avait averti que toute initiative pour freiner la production pétrolière mondiale pourrait se révéler contreproductive pour l´économie mondiale. Ce pays a toujours manœuvré en utilisant son droit de veto pour un prix qui l'arrange au détriment des autres membres dont les recettes pétrolières restent vitales pour leur développement économique. Quel est justement ce prix ?

Si l'on se réfère à l'Arab Petroleum Investments Corporation, le prix qui arrange les Saoudiens se situerait autour de 94 dollars le baril, soit moins que le prix actuel du Brent. Or, L'Iran, par exemple, a besoin de vendre son baril à plus 125 dollars pour qu'il soit rentable, ce qui explique la guerre que se livrent l'Iran et l'Arabie Saoudite au sein de l'OPEP. Mais en l'absence de réformes politiques profondes qui seules pourraient fournir à l'Arabie Saoudite d'autres sources de revenu, ce prix de revient va sûrement, selon cette même corporation, en augmentant. Cette rivalité entre des membres d'une même organisation n'est pas une dispute théorique. Elle pourrait avoir de sérieuses implications sur le futur de l'économie mondiale. Que l'Arabie Saoudite le veuille ou non et elle ne le veut certainement pas, le marché global de l'énergie va s'ouvrir de plus en plus à la concurrence. Dans un marché concurrentiel, le pétrole doit être fourni par tous les producteurs en tenant compte à la fois de leurs réserves géologiques et de leurs marges. Il y a quelque chose de profondément malsain de voir les Etats-Unis, qui disposent d'environ 2% des réserves conventionnelles de pétrole, produire plus de barils par jour que l'Arabie Saoudite.

3- L'alliance Iran/Irak va encore éloigner les Saoudiens de leur rôle de régulateur

Avec cette ouverture économique du monde occidental envers les Iraniens, conséquence de cet accord sur le nucléaire, ils se sont rapprochés des Irakiens pour une alliance afin qu'à long terme, ils prendraient le contrôle de l'OPEP et donc écarterait le veto saoudien sur les prix. Il faut dire que l'Irak a encore de nombreux défis à relever pour devenir le géant pétrolier qu'il ambitionne d'être d'ici quelques années. Le potentiel pétrolier de l'Irak est très important: au coude à coude avec l'Iran pour la position de deuxième producteur de brut de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le pays possède 9% des réserves mondiales d'or noir, selon la BP Statistical Review of World Energy. L'Irak est au pétrole conventionnel ce que les Etats-Unis sont au pétrole non conventionnel. Les exportations irakiennes de brut ont en effet bondi entre 2010 et 2012, passant de 1,88 million de barils par jour (mbj) à 2,4 mbj fin 2012, selon Thamir Ghadhban, ancien ministre irakien du Pétrole et aujourd'hui proche du pouvoir en place. Et l'Irak ne compte pas s'arrêter en si bon chemin: le pays ambitionne de porter sa production à 4,5 mbj fin 2014 et à 9 mbj en 2020, contre 3,4 mbj actuellement, d'après la Stratégie énergétique nationale intégrée (INES) présentée par le gouvernement fédéral irakien. Cet objectif est jugé trop ambitieux par certains observateurs, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) envisageant par exemple une production irakienne de 6 mbj en 2020. Le nouveau gouvernement est décidé de surmonter tous les obstacles. Le pays doit notamment améliorer ses infrastructures, à la fois pour apporter de l'eau sur les sites pétroliers et pour exporter le pétrole. Ces infrastructures sont l'une des clefs pour augmenter les exportations. De nouveaux oléoducs vont être construits; l'objectif est de porter la capacité d'exportation de pétrole au sud du pays d'où sort la grande majorité du brut irakien de 3,8 mbj actuellement à 6,8 mbj en 2017. La bureaucratie crée beaucoup de frustrations chez les compagnies internationales qui se plaignaient des délais requis pour obtenir des visas ou réaliser les importations de matériaux nécessaires. Quant à la sécurité, elle reste une source d'inquiétude pour les entreprises même si le nombre d'incidents reste faible, comparé au pic de 2006-2007 où de nombreux oléoducs ont été attaqués. En ce qui concerne l'épineuse question des relations entre le gouvernement fédéral irakien et le gouvernement régional du Kurdistan, les autorités de la région autonome du Kurdistan ont récemment signé plusieurs accords de prospection pétrolière avec des compagnies étrangères, contre l'avis du gouvernement central de Bagdad, qui les juge illégaux. Les diplomates et les spécialistes estiment que les problèmes entre Bagdad et la région autonome kurde, dotée d'une grande partie des réserves de brut du pays, sont l'une des plus lourdes menaces pesant sur la stabilité à long terme du pays. Dans tous les cas de figure et en cas de la coopération entre l'Iran et l'Irak et la réalisation des objectifs prévus pour l'augmentation de la capacité de production du pétrole, l'on arrivera, à court terme, à un chiffre susceptible de remettre en cause la suprématie de l'Arabie Saoudite sur les marchés mondiaux du pétrole, d'autant que ces deux pays disposent des réserves qui sont, au total, supérieures à celles de l'Arabie Saoudite.

4- Conclusion

Le temps où les réunions des membres de l'OPEP faisaient retenir leur souffle aux grands raffineurs, aux automobilistes, argentiers et industriels occidentaux est révolu. Les années 70 et début 80, le moindre froncement de sourcils de son secrétaire général pouvait déclencher la foudre des marchés pétroliers. Aujourd'hui, les réunions de Vienne - où siège ce club rassemblant douze pays, de la très conservatrice Arabie Saoudite, au très révolutionnaire Venezuela en passant par la République islamique d'Iran - ont perdu de leur fièvre d'antan. Pourquoi ? De nombreux analystes pensent que les ministres qui la composent n'ont pas de charisme comme l'étaient dans le temps Zaki Yamani, Belaïd Abdeslalem, etc. Cet effacement n'est certainement pas dû, comme l'analysent certains experts, à la seule poussée des producteurs hors OPEP - comme les Etats-Unis et la Russie qui occupent aujourd'hui les deux premières places mondiales dans l'offre d'hydrocarbures. Car avec 40% de part de marché (contre 55% en 1973), l'OPEP conserve son mot à dire. C'est en son sein qu'il faut trouver les raisons du renoncement à ce qui fut l'arme du pétrole. Tout d'abord, depuis la révolution iranienne de 1979, une cassure profonde sépare les deux rives du golfe Arabo-Persique, et ses effets se font sentir jusque dans les couloirs feutrés du siège viennois de l'OPEP. Le basculement de l'Irak dans l'orbite de Téhéran après la chute de Saddam Hussein en 2003 l'a accentuée, au grand dam des membres du Conseil de coopération du Golfe (hors Oman). Mais c'est au cœur de la péninsule Arabique - à Riyad plus précisément - que se trouve la clef de cette évolution. Le cartel de naguère a disparu parce que l'Arabie Saoudite, premier exportateur mondial avec près de 10 millions de barils par jour, a choisi d'endosser les habits austères mais rassurants du régulateur et du producteur d'appoint (swing producer), et non de faire du pétrole une arme. Aujourd'hui, le royaume est seul capable de soutenir l'offre lorsque le pétrole iranien est mis au ban ou que les frictions post-révolutionnaires libyennes paralysent la production.

*Consultant et économiste pétrolier