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Importation de médicaments : Le cabas à la rescousse

par Yazid Alilat

A défaut d'un ministère qui s'occupe de la santé, faut-il réfléchir aujourd'hui à un ministère qui ne s'occuperait que du médicament ?

Car le marché algérien des médicaments est ainsi traversé en permanence par des périodes de pénuries et de ruptures de stock qui en disent long sur la manière dont est géré depuis de très nombreuses années ce segment capital de la santé publique en Algérie. En réaction à une situation alarmante en matière de disponibilité de médicaments, dont ceux pour certaines pathologies graves ou pour certaines maladies chroniques, le ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf, a cru bon d'intervenir pour annoncer qu'un seul parmi des dizaines de médicaments introuvables sur le marché national est disponible. Dans une déclaration en marge d'une session au Conseil de la Nation, il a en fait répondu à des articles de presse qui relevaient le manque de certains médicaments. Selon lui, 75.000 boîtes de Cintrom sont disponibles sur le marché national, réfutant ainsi l'existence d'une pénurie de ce médicament destiné aux personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires. Pour lui, il y a actuellement 75.000 boîtes de Cintrom sur le marché national, y compris au niveau de la Pharmacie centrale des hôpitaux. Mieux, M. Boudiaf va jusqu'à affirmer que «la campagne menée par certains médias faisant état d'une pénurie de certains médicaments dans les agences pharmaceutiques est infondée». Pourtant, juste après la publication d'enquêtes sur l'indisponibilité de ce médicament, celui-ci comme par miracle est réapparu dans les officines. Pour le ministre, le retard dans la réception des médicaments est dû à «des dysfonctionnements dans la gestion, ce qui entraîne ces ruptures». Pourtant, tous les spécialistes du secteur de la santé savent qu'en Algérie la gestion du médicament reste très aléatoire, en l'absence de l'agence nationale du médicament.

 Si le ministre insiste sur la disponibilité du Cintrom, pour les malades atteints de troubles cardio-vasculaires, combien est le nombre de ces médicaments introuvables sur le marché national, pour la simple raison qu'ils ne sont pas importés en quantité suffisante. Selon un porte-parole du syndicat national des pharmaciens d'officines (SNAPO), «la gamme des produits ou médicaments en rupture est très large», dont Avlocardyl, essentiellement utilisé pour prévenir et traiter les troubles cardio-vasculaires, Aldomet, destiné aux femmes enceintes hypertendues mais aussi Plyginax. Pour le problème du Cintrom, il est fourni au marché national exclusivement par un seul laboratoire, qui a décroché le marché pour ce produit, avec une exclusivité qui le rend incontournable, alors que les responsables au ministère de la Santé auraient été bien inspirés s'ils avaient mis en place un second opérateur pour éviter les pénuries, qui, dans le cas présent, signifie un grand stress pour les malades, qui peuvent tout simplement mourir. Et, dans ce registre, il y a également Deponit 5 et 10 (sous forme de patch) pour réduire la pression sanguine sur le cœur notamment, qui reste lui également introuvable, a confirmé un journaliste du Quotidien d'Oran auprès de malades et de pharmaciens à Alger.

L'INCONTOURNABLE CABAS

Deponit est même rationné par certaines officines, à raison d'une boîte par patient, a-t-on constaté. Et la liste des médicaments introuvables sur le marché national est longue, dont certains types de stallergènes, que l'Institut Pasteur d'Algérie n'a mis sur le marché national que depuis au moins deux années. «C'est la seconde fois, en ce mois de juin, que j'achète Alustal DPT-df, en l'espace d'une année auprès d'un pharmacien à Alger, qui s'approvisionne auprès de pharmacies de Tunis. C'est simple, sur la boîte de ce flacon bleu, pour le rappel, est mentionné Pharmacie Centrale de Tunisie. J'aurais préféré y lire Institut Pasteur d'Alger», nous explique une malade qui s'est résignée à ne pas trouver ses stallergènes sur le marché national. «Je sais que le directeur général de l'Institut Pasteur est au courant de ce fait, car il a été sollicité directement il y a plus d'une année. En vain», ajoute la même malade au Quotidien d'Oran.

Beaucoup de praticiens et de professionnels du secteur du médicament pensent aujourd'hui que pour régler durablement ce problème, ?'il faut mettre en place l'agence nationale du médicament. La loi existe, il faut juste la faire adopter par le parlement». En attendant, le système «D», celui du «cabas», fonctionne toujours en Algérie, où des réseaux de pharmaciens se sont constitués pour acheter de Tunisie et du Maroc les produits introuvables sur le marché national. Pourtant, il existe en Algérie, actuellement, 73 unités de production de médicaments, incapables pour l'heure de répondre à la demande.

Enfin, certains milieux spécialisés pointent du doigt des instructions internes au ministère de la Santé qui insistent sur la réduction de la facture des importations de médicaments. La tendance est confirmée par les chiffres des douanes selon lesquels la facture des importations de produits pharmaceutiques a baissé à 468,6 millions de dollars durant les quatre premiers mois de 2015 contre 774,54 millions de dollars à la même période en 2014, un recul de 39,5%. En volume, la même tendance est observée : durant les quatre premiers mois de 2014, les achats à l'étranger de médicaments se sont établis à 8.635 tonnes et 7.422 tonnes à la même période de 2015, une baisse de 14%, selon les Douanes algériennes. Et, cet état de fait a provoqué, selon les syndicats de pharmaciens, la rupture de stock ou l'indisponibilité de plus de 100 médicaments dont ceux pour la tension artérielle, les antibiotiques, les antidouleurs, les antalgiques, les médicaments pour l'asthme et les stallergènes, etc. Bref, en dépit des assurances du ministre, la situation reste difficile pour les personnes atteintes de maladies chroniques, dont certaines se demandent jusqu'à quand va durer «le cabas» ?