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Constantine, capitale de la culture arabe : Une fresque et une année bien remplie

par Notre Envoyée Spéciale A Constantine : Ghania Oukazi

Bien qu'elle a omis, confondu ou emmêlé des épisodes de la chevauchée du pays et de la ville à travers les temps, la fresque artistique présentée, jeudi dernier, dans la salle Ahmed Bey de Constantine, a su convoquer l'histoire dans toutes ses dimensions et ses diversités, avec en prime des moments d'une intensité émotionnelle remarquable.

Au-delà des innombrables couacs qui ont émaillé l'organisation de la cérémonie du lancement officiel, jeudi dernier, de la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe pour l'année 2015 », il y a eu des moments forts qui ont grandement rappelé que la ville et le pays tout entier ont traversé des périodes historiques très mouvementées qui ont forgé le caractère de l'Algérien pour en faire un éternel révolté.

Dénommée le Zénith, la grande salle de spectacle nouvellement construite à Constantine a été baptisée, sur instruction du président de la République, du nom de Hadj Ahmed Bey, une des plus grandes figures du combat constantinois contre toute forme de soumission ou de servilité de l'Algérie. Ahmed Bey est raconté dans Malhamet Kasantina (l'épopée de Constantine) à travers une grandeur et une noblesse dignes de son époque. Chorégraphes, danseurs, chanteurs de Constantine et d'autres régions du pays se sont produits, la soirée du jeudi, dans cette immense salle devant plus de 3000 personnes, du Premier ministre, des membres du gouvernement, des responsables d'institutions nationales, arabes et internationales, du corps diplomatique accrédité à Alger, des invités venus de tous les horizons. Ecrite par les intellectuels constantinois, mise en scène par le réalisateur Ali Aissaoui, l'épopée se veut un hommage à l'histoire millénaire de l'Algérie et de Cirta la numide, romaine, berbère, chrétienne, arabe, musulmane jusqu'à Constantine la révoltée contre la France coloniale. Les invités entraient dans la salle sous les airs de la superbe chanson que Mohamed Tahar Fergani a dédiée à Salah Bey. « Galou El Arb Galou,» fusaient de partout alors que Constantine se déclinait en images fantastiques sur deux écrans géants suspendus à droite et à gauche de la scène.

LA MLAYA CONSTANTINOISE S'EST FAITE DISCRETE

La fresque artistique était multicolore. Une chorégraphie dont les pas et gestes s'élançaient gracieusement tout au long de l'histoire de la ville du rocher et du pays. Filmées en 3D, des séquences de l'épopée ont donné vie à l'histoire. Salah Bey, drapé d'un large manteau en lamé et coiffé d'un grand turban à la turque, rappelait à la mémoire collective et notamment aux invités de l'Algérie, que Constantine avait profondément pleuré sa mort jusqu'à pousser ses femmes à se voiler de noir durant toute leur vie. C'est la fameuse mlaya avec laquelle se drapent de nos jours les Constantinoises. Dommage qu'elle n'a pas du tout marqué le pan historique représenté dans El Malhama. En tout cas, on la verra beaucoup moins que les djellabas ou abayas (longue robe) blanches qui ont défilé sur scène. Messali Hadj, le PPA, l'Etoile Nord Africaine, l'UDMA, le CRUA, l'Association des oulémas avec sa figure emblématique, Abdelhamid Ben Badis, ont été rappelés à la conscience collective. Mais la réunion des 22, annoncée dans la fresque comme moment déclencheur de la Guerre de libération nationale, n'a pas mis en avant le FLN. Calcul politique, en ces temps où certains personnages seraient devenus encombrants pour le Pouvoir, ou simple omission ? On n'en saura rien. Il faut reconnaitre que la vue d'ensemble de Malhamet Kasantana était sublime, les voix des chanteurs merveilleuses, les tenues, en particulier la robe traditionnelle constantinoise, d'une beauté absolue. L'assistance a dû frissonner à chaque fois qu'un moment fort de l'histoire est raconté.

« KAFANA TAKTIL ! »

« On ne plie pas, on combat l'oppression, » disait avec force la jeune femme que le soldat français voulait garder à genoux. Le 8 mai 45 et tout ce qui rappelle comme événements dramatiques a été fortement applaudi par l'assistance. L'Indépendance, la joie des Algériens, l'emblème national, les youyous ont fait frémir les esprits en cette conjoncture où l'Algérie fait aussi de l'année 2015 celle commémorant le 60ème anniversaire de sa guerre contre le colonialisme français. « Kafana dam, kafana taktil bainana (assez de sang ! Arrêtons de nous entretuer ! » criait la voix de Bouteflika dans la dernière séquence de l'épopée. C'était son discours contre le terrorisme et l'appel à la réconciliation nationale. La scène était tout en couleur, celles nationales, tous les artistes chantaient l'Algérie sous les applaudissements des invités. Un grand hommage a été rendu à tous ceux qui ont participé à cette immense fresque. Le plus touchant l'a été au jeune danseur qui avait perdu son père le jour même de sa présentation mais n'avait pas manqué à l'appel sur scène pour ne pas gâcher la cérémonie. Malhamet Kasantina a été dédiée à Bouteflika qui fête la 16ème année à la tête de la présidence de la République. Ses concepteurs l'ont voulu un hymne à la paix et à la réconciliation nationale. L'orchestre symphonique national a lui aussi à cette occasion joué, vendredi à Constantine, « la symphonie de la paix. »

Le fabuleux spectacle de la salle Hadj Ahmed Bey a duré deux heures et quart de temps. Il a commencé le jeudi, marquant « Youm El Ilm (la Journée du savoir)» à 23h15 pour se terminer à 1H30 du matin du vendredi. Choisie en 2011 par l'Alesco et programmée en tant que telle par le chef de l'Etat lors du Conseil des ministres de décembre 2012, « Constantine, capitale de la culture arabe » sera l'hôte pendant toute l'année 2015 de 22 pays arabes, sans compter ce que l'Algérie qualifie de pays amis ainsi que les différentes wilayas. Tous animeront le quotidien des Constantinois et même des régions limitrophes en mettant en avant leurs traditions et leurs cultures.