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Logement social, une politique à revoir

par Abdelkrim Zerzouri

L'ampleur des dégâts entraînés par la gestion « hasardeuse » du parc immobilier de l'Etat atteint des proportions insoupçonnées. Les logements sociaux vendus au marché noir représentent 20% des logements sociaux occupés, a indiqué jeudi dernier le ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville, Abdelmadjid Tebboune, lors d'une séance du Conseil de la Nation consacrée aux questions orales.

Se basant sur un recensement des logements sociaux vendus par leurs bénéficiaires sous la formule publicitaire insidieuse « Vends P.P. », ou, tout court et clair, « logement social à vendre en pas-de-porte », M. Tebboune avancera sur ce registre le chiffre de 571.000 logement sociaux, distribués entre 1983 et janvier 2004, et qui se trouvent aujourd'hui occupés par de tiers locataires, inconnus (!) des Offices de promotion et de gestion immobilières (OPGI). Sans parler de milliers d'autres logements sociaux mis en sous-location par leurs bénéficiaires. Ce phénomène, qui revêt un caractère « moral et juridique », selon M. Tebboune, pose en amont plusieurs questionnements liés aux modes d'attribution du logement social, aux critères d'en bénéficier et au rôle des notaires. M. Tebboune pense à tous ces locataires, qui ne peuvent procéder à l'achat des logements qu'ils occupent d'une manière illégale, surtout côté manque à gagner qu'on fait, ainsi, subir aux caisses des OPGI. Car, « leur régularisation permettrait d'utiliser les fonds recouvrés dans le financement d'autres nouveaux projets de logement », devait-il en convenir une semaine auparavant lors d'un passage devant les députés. Seulement, fallait-il le reconnaître, ce n'est guère chose aisée de régulariser l'illicite. Avançant avec des pas mesurés sur ce terrain marécageux, le ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville, Abdelmadjid Tebboune, a laissé entendre à ce sujet que le gouvernement « pourrait procéder à la régularisation des logements sociaux vendus au marché noir » afin d'empêcher les propriétaires de bénéficier des différents programmes de logements publics. «Nous sommes devant un fait accompli et, face à cette situation, nous sommes tenus d'agir avec pondération », répondra-t-il à une question orale au niveau de l'APN. Précisant dans ce contexte que les OPGI chargés des logements sociaux ont lancé récemment une opération d'inspection, avec des agents qui font du « porte-à-porte », à travers les différentes wilayas du pays pour recenser le nombre de logements occupés par les non-bénéficiaires, et que sur la base des résultats de cette enquête, un rapport sera soumis au gouvernement comportant toutes les solutions possibles, dont la proposition de « la régularisation de la situation à travers la légalisation de la vente entre le vrai bénéficiaire et les occupants effectifs par actes notariés ». Chose qui rendrait possible une régularisation de la vente illicite de logements sociaux destinés principalement aux catégories à faible revenu. Assurant dans ce sens l'impunité pour les coupables qui ont enfreint la loi en vendant des biens de l'Etat, et un encouragement de ce commerce odieux qui fait d'un bénéficiaire de logement social un heureux gagnant d'un ticket de loto, M. Tebboune reconnaît que « de telles solutions restent toutefois difficiles, dès lors qu'il s'agit de légaliser une vente illégale, mais nécessité fait loi ». Non sans relever dans ce sillage que certains cas seront traités et réglés, notamment ceux qui concernent des désistements de logements à des membres de la famille, « tandis que d'autres cas seront examinés par le gouvernement ». Aussi, tiendra-t-il à rappeler, le problème se posera toujours pour les personnes ayant acheté des appartements auprès des bénéficiaires, dans le cadre de désistements et qui sont toujours inscrites au niveau du secteur comme personnes habilitées à obtenir un logement social, car ne figurant pas sur le fichier national du logement. « Après légalisation, cette décision permettra de radier tous les occupants des logements sociaux concernés du fichier national parmi les demandeurs de logement et par conséquent les exclure des programmes publics, ce qui atténuera la pression sur ces programmes et permettra de mieux maîtriser le marché foncier », a-t-il encore plaidé en direction d'une solution pour régler ce dossier. Du reste, la légalisation en question est attendue avec impatience par ces milliers d'acheteurs de pas-de-porte, qui vivent dans l'angoisse de se voir expulsés de leurs demeures. Des cas avérés de vendeurs qui se sont retournés contre les acheteurs, et ont fini par les expulser des logements, sont légion dans les nouvelles agglomérations. Des héritiers d'un bénéficiaire d'un logement social, un F3, vendu au début des années 2000 contre la modique somme de 90 millions de centimes, ont expulsé l'acheteur et lui ont versé ses 90 millions, tel que le mentionne « une reconnaissance de dette » signée par les deux parties devant le notaire.

Le logement en question sera revendu à raison de 400 millions ces derniers temps. C'est dire, même si l'on convient que la loi ne protège pas les ignorants », qu'aucun acheteur d'un logement pas-de-porte n'est à l'abri d'une telle mésaventure. Par crainte de tomber sur une boîte de Pandore, personne ne s'est risqué, jusque-là, d'ouvrir le dossier des occupants réels des logements sociaux attribués aux mal-logés durant ces vingt dernières années. M. Tebboune, en ces temps de disette, et pensant découvrir un filon pour le financement de ses projets, tente de se frotter à cet épineux dossier.