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Session de la Ligue arabe au Caire : De Daesh aux compromissions arabes

par Ghania Oukazi

L'Algérie assiste aujourd'hui au Caire à la 142ème session ordinaire du Conseil des ministres des Affaires étrangères des membres de la Ligue arabe sous l'ordre du jour d'« examiner les problèmes dans le monde arabe ».

C'est plus un rituel qu'une réunion de laquelle il faudrait s'attendre à un coup d'éclat politique qui pourrait bouleverser la donne au Moyen-Orient. La Ligue arabe est depuis plusieurs années devenue un simple faire-valoir régional qui cache mal les compromis et les compromissions que chacun de ses membres entretient et développe selon les feuilles de route qui lui sont soumises par les grandes puissances, à leur tête les Etats-Unis.

Les terribles situations que vivent les pays du Moyen-Orient sont tellement imbriquées l'une dans l'autre qu'elles doivent suivre un cheminement dont le tracé est déterminé par un jeu de guerres sournoises et déclarées, de négociations, de rapprochements, d'alliances et de pactes défiant toute logique de fonctionnement d'une quelconque entité régionale. La Ligue arabe ne pèse plus rien dans ce qui se trame au Moyen-Orient au nom de l'hégémonisme des Etats-Unis sur le monde et la suprématie d'Israël dans la région. Ses pays membres savent qu'elle ne fait que de la figuration y compris dans les pires moments de l'histoire des peuples arabes.

Le Moyen-Orient a des acteurs clés qui le font bouger jusqu'à avoir sur lui un droit de vie ou de mort. Tous les observateurs soutiennent que sans le règlement du conflit israélo-palestinien, aucun ordre ne pourra s'installer dans le monde.

Aujourd'hui, ils savent aussi que sans une solution à la crise syrienne, rien ne se fera dans ce sens. Et toute esquisse de remise en ordre de la région sans passer par Bachar El Assad, est frappée d'emblée du sceau de la nullité. Et pour ne pas laisser se développer clairement cette idée de l'importance d'un chef arabe dont le poids « politique » et « géostratégique» du pays est historique, il lui a été accolée la présence sur ses propres territoires d'un nouveau spectre, le fameux Daesh (Etat islamique dans l'Irak et dans le Levant).

APRES BEN LADEN, DAESH, UN NOUVEL ACTEUR EN LICE

C'est la dernière trouvaille réalisée par les officines occidentales pour faire de l'ombre à Al-Qaïda. Il fallait d'ailleurs s'y attendre après la mort rocambolesque de son chef, Ben Laden. Américains et Israéliens plantent Daesh dans le décor moyen-oriental en vue de reconstituer les forces en faction et redéfinir leurs rôles. L'apparition de la violence ici et là dans le monde fait le reste, c'est-à-dire tente d'accommoder des positions diverses en faveur de ces visées. Jusque-là, du point de vue forces et arsenaux militaires, tout leur semble acquis dans la région et ailleurs. Mais il faut compter sans les camouflets politiques qu'ils encaissent depuis qu'ils activent pour désarticuler le monde en faveur de leurs intérêts. La résurgence de la Russie après son effritement par ces mêmes forces trouble leurs esprits et fausse leurs calculs. Il a fallu d'ailleurs lui monter le dossier Ukrainien pour l'obliger à négocier cette résurgence sans trop de dégâts après que l'OTAN l'a déshéritée de ses républiques les plus en vue en créant même des précédents graves (le statut du Kosovo décidé unilatéralement). Mais le plus important aujourd'hui est qu'ils pensent détourner Moscou de son soutien indéfectible à Damas. La situation n'évolue pas cependant comme ils le veulent. La Russie de Poutine ne plie pas. Elle persiste dans ses déploiements diplomatiques et militaires même si les Alliés l'accablent avec des sanctions saugrenues. La dernière victoire politique du Hamas palestinien sur Israël et le souffle continu de l'Intifadha, sont ces autres éléments qui bouleversent les données américaines dans la région si on les ajoute à la victoire du Hezbollah libanais en 2006. Les négociations avec l'Iran sur son dossier nucléaire appuie plus que jamais le désordre politique en défaveur de Washington et fait gagner à Téhéran le temps nécessaire pour affûter ses forces et redéployer ses moyens en vue d'une négociation «gagnante».

L'ALGERIE FACE AU NOUVEAU ROLE DE L'EGYPTE AU MAGHREB

Ce qui force la main aux Etats-Unis pour faire plus de concessions à « l'empire perse », surtout pour le compter parmi les parties prenantes dans le règlement des conflits moyen-orientaux où la Syrie tient le haut du podium. La constitution du pacte Russie-Iran-Syrie pourrait faire perdre la face aux Américains. Acculés par la dégénérescence de beaucoup de situations au Moyen-Orient et dans le monde, les Etats-Unis doivent être contraints de changer de tactique et ménager ces trois pays devenus désormais des acteurs directs capables de déjouer toutes ses tentatives de décomposer le monde tout en gardant Israël intact. Renforcés par leurs gains politiques contre tous les projets initiés par les Alliés pour les déstabiliser, Moscou, Téhéran et Damas sont aujourd'hui sollicités pour constituer la première force pactisée de lutte contre Daesh. Ce monstre sans identité précise devient subitement une carte que les Américains mettent sur la table de la négociation pour montrer un semblant de volonté à rétablir la sécurité et la paix au Moyen-Orient. Le fait qu'ils doivent ménager les ambitions et les objectifs de ce pacte à trois, démontre d'ores et déjà qu'ils ne se sentent plus totalement les maîtres du monde. Ils s'aperçoivent qu'il y a d'autres forces qui ont émergé même s'ils ont toujours agi pour inféoder les institutions internationales à leurs seules ambitions. L'OTAN qui vient de tenir son sommet au Royaume-Uni n'est qu'une caisse de résonance à cet ordre établi. Son intervention sordide et criminelle en Libye renseigne sur l'incapacité des Alliés à s'imposer comme porteurs de paix et de stabilité dans le reste du monde. Eux aussi suivent sans rechigner les consignes de leur parrain américain. D'ailleurs, après les avoir poussés à instaurer le chaos en Libye, la Maison-Blanche préfère recruter d'autres pays pour y remettre de l'ordre. L'Algérie est ainsi appelée à la rescousse pour mâter les milices qui s'affrontent. Mais, pour ne pas la laisser prendre de l'entrain en tant que leader de la région du Maghreb et même de l'Afrique, les Américains viennent de lui flanquer l'Egypte du général El Sissi à qui il est demandé « d'aider à réunir les Libyens entre eux pour réussir une Libye unifiée et gouvernée par les Libyens eux-mêmes», dixit le commandant des forces américaines pour l'Afrique lors de son dernier passage à Alger. Le général David Rodriguez a dévoilé le nouveau rôle de l'Egypte dans la région du Maghreb comme s'il voulait qu'Alger calcule d'ores et déjà avec ce nouveau partenaire. Bien qu'Alger continue à revendiquer la réforme des instances de la Ligue arabe, ses gouvernants ont compris que les moyens de son déploiement résident ailleurs. L'Algérie est appelée aujourd'hui à employer plus de fermeté dans ses positions politiques même si les Alliés veulent la confiner dans des rôles délimités et soutenus par des préalables. Leurs déclarations sur la libération de ses diplomates et leurs condoléances suite à la mort de deux d'entre eux au Mali, restent, à cet effet, très silencieuses sur la gravité de paiement des rançons exigées par les groupes terroristes. Ils n'en disent mot alors que les responsables algériens ont tenu à la mettre en avant.

L'IRAN EN QUETE DE NOUVELLES CARTES «GAGNANTES»

A ce jour, aucune institution internationale n'a accepté de définir clairement le terrorisme et de décréter solennellement l'interdiction absolue de paiement des rançons. Ce n'est pas dit que ce sera fait rapidement parce que les Américains pèsent de tout leur poids dans le discours international de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme. Ils veulent continuer à l'orienter comme ils veulent et selon les développements des situations qu'ils font et qu'ils défont à leur gré.

Le nouveau pacte Russie-Iran-Syrie compte bien en inverser l'ordre. Rien ne semble se dessiner comme solution au drame syrien, irakien, palestinien et libanais sans leur contribution directe. Le Guide suprême de la révolution iranienne l'a bien fait entendre vendredi lorsqu'il a pris la parole devant les membres du Conseil du gouvernement iranien. Ali Khaminei a affirmé que les premiers signes de l'émergence d'un nouveau système mondial sont très voyants. Le pacte de son pays avec la Russie et la Syrie en constitue le principal élément. Washington aura peur de s'engager dans des guerres nouvelles dans ces pays. Les Américains regrettent celle qu'ils ont déclarée en 2001 en Afghanistan et qui leur a fait perdre un grand nombre de leurs enfants, de leurs budgets, mais aussi leur «grade» de gendarme du monde. Les Etats-Unis devaient vaincre les Talibans en un printemps. Cela fait treize saisons qu'ils sont engagés dans un affrontement duquel ils savent qu'ils vont sortir bien diminués. Les appels pressants des gouvernants iraniens en juin dernier à l'unité des musulmans « quel que soit leur rite », est vu comme étant un gain déterminant à la naissance de ce nouvel ordre mondial. Réformateur qu'il est, le président Hassan Rohallah le veut, selon ses conseillers, comme une force déterminante ou des cartes gagnantes pour affaiblir les Occidentaux et tous les groupes terroristes qu'ils ont constitués en milices pour garder le monde musulman agenouillé. « Chiites et Sunnites du monde, unissez-vous », avait-il crié lors de la célébration de la mort de l'Imam Khomeyni. Tout autant que les prémices d'un nouveau système mondial, ce discours iranien est totalement récent. Il sied à ses ambitions de supplanter la Turquie et des alliés, et de fédérer un monde que divise profondément l'interprétation de ses rites par le seul fait d'hommes assoiffés de pouvoir et inféodés aux Occidentaux.