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Les supercheries scientifiques

par Ali Derbala *

« La vérité est une et l'erreur multiple » (Platon).

Comme la thèse de « doctorat» bénéficie de peu de reconnaissance sur le marché de l'emploi algérien, l'Enseignement Supérieur est un domaine qui lui offre une bonne place. Notre souci est de préserver une recherche de niveau acceptable si ce n'est pas de haut niveau.

Sous l'ancien Régime français, l'absence de statut pour les savants livrait ceux-ci à l'arbitraire du mandarin qui les employait. A la mort de Buffon, les naturalistes qui l'assistaient rédigèrent ainsi un véritable cahier de doléances, le statut des chercheurs [1, p.11]. Le corps scientifique algérien est présenté comme disloqué. Il est au moins à réformer. En ces temps bouleversés, le constat est banal : l'Université est malade. Plus question de croire globalement en l'aptitude positive des universitaires : il y a de bons et de vraiment douteux ; certains se partagent en « sectes » et controversent sur des chimères.

1. LES PUBLICATIONS SCIENTIFIQUES

Pour évoluer dans leur carrière, les chercheurs scientifiques sont tenus de publier leurs résultats dans un journal scientifique traitant de leur domaine. Les travaux de tout scientifique doivent être communs ou publics, universels et accessibles à tous et dans le monde entier. Après avoir observé un phénomène ou une réalité, le chercheur formule, suggère ou conjecture une proposition. S'il arrive à la montrer ou démontrer ou prouver, il peut même énoncer une loi, un théorème, etc. La science contient en elle-même l'erreur. La fraude est potentiellement contenue dedans et peut être corrigée grâce aux comités de lecture des journaux ou revues scientifiques, comités normalement anonymes. Pour la session de Juin 2014, du site Web du MESRS, www.mesrs.dz, un fichier CUN 2014 est à rapatrier pour la présentation et l'acceptation du dossier au grade de professeur. La date butoir du dépôt de

dossier était fixée au 15 Juin. Il est écrit en bas de la page 3 du dit-fichier, en Nota Bene (NB), que les publications ? de parutions postérieures à l'obtention du grade de maître de conférences « A » doivent avoir pour supports des revues référencées dans le Journal of Citation Reports (JCR) de THOMSON REUTERS, complétées par la liste des revues pour les sciences sociales et humaines labélisées par le CNRS (France). Pourquoi ne pas prendre en considération les journaux indexés par plusieurs bases de données telles ACM Digital Library, Bacon's Media Directory, DBLP, Google Scholar, INSPEC, JournalITOCs, MediaFinder, etc. ?? Par un « effet de tunnel », comme en nanotechnologie, pourquoi la direction de la recherche veut canaliser tous les résultats de la recherche algérienne vers ce seul bouquet de revues ? Marginaliser une frange de scientifiques, ceux dont leurs articles non payants sont publiés par d'autres éditeurs, c'est déjà exercer une domination sur eux. A l'origine, DUCRETET-THOMSON fabriquait des postes radios et téléviseurs. THOMSON-CSF fait partie du complexe militaro-industriel. Elle fabrique les guidages de « missiles » et tout le matériel électronique de la haute technologie pour l'industrie militaire. THOMSON s'est associée ou a racheté REUTERS, la plus grande agence de presse britannique, un grossiste vendant de l'information brute à des médias. On leur apporte une réactivité permanente et une activité sept jours sur sept. La révolution numérique constitue également un défi, puisque la volonté de contrôle de ces institutions est compliquée par l'extraordinaire masse d'informations disponibles.

2. POURQUOI PRIVILEGIER LE BOUQUET THOMSON REUTERS ?

Pourquoi la direction de la recherche impose aux scientifiques algériens de publier dans les journaux du fameux dit bouquet ? S'il faut privilégier les journaux scientifiques, il faut privilégier ceux édités par les Universités et non pas ceux édités par des groupes financiers de la science ou des groupes du complexe militaro-industriel ou des groupes des hautes études et de recherches de stratégies globales qualifiés de « grandes oreilles» du monde. Il existait un moyen plus immédiat de jauger la recherche menée dans un pays. Il s'agit du tableau croisé des pourcentages d'articles publiés dans les 2000 meilleures revues internationales, et des pourcentages d'articles cités dans ces mêmes revues. Ces tableaux sont tenus par l'Institut pour l'information scientifique aux Etats-Unis. Comment se fait-il que le MESRS n'a publié l'Arrêté n° 393 que le 17 juin 2014 instituant une commission scientifique nationale de validation des revues scientifiques ?? Cet Arrêté est même annexé de la composition de la commission scientifique nationale. Un « département » ministériel décide-il, recommande ?t-il et applique ?t-il des textes avant leur parution sous forme de Décret ou d'Arrêté du Ministère ??? Le déroulement des carrières des enseignants de rang magistral est géré par la Commission Universitaire Nationale (CUN), une instance anonyme, qui rassemble des universitaires non élus mais choisis par le MESRS à 100 %. Pour éviter la sur-bureaucratisation et la tricherie dans la recherche, cette commission doit être formée des universitaires élus (2/3 de sa composante) et nommés (1/3). Certains éditeurs de ce bouquet, Springer, Elsevier, etc., ont même publié des articles « douteux ». En effet, récemment : ? Même en mathématiques, il arrive qu'un article soit publié avec une lacune, intentionnelle ou non. Ce qui fait foi en mathématiques, c'est une démonstration. Or, une démonstration est juste ou fausse. Cependant, elle peut être incomplète. L'éditeur allemand de publications scientifiques Springer a retiré de ses archives 16 articles générés automatiquement par un programme informatique et signalés comme des faux grossiers par un chercheur français [2]. ? Pour contourner les articles achetés en devises fortes, Elsevier Webshop, un grand éditeur européen de journaux scientifiques, invite via e-mails les chercheurs à lui soumettre leurs articles. Leur article sera édité par un expert de leur sujet de recherche, les éditeurs sont tous natifs anglais ou de langue maternelle anglaise, issus des prestigieuses universités du monde, le service est rapide, le manuscrit sera corrigé et renvoyé à l'envoyeur en cinq à sept jours, choisir l'anglais britannique ou l'anglais américain, les prix commencent à partir de 9.

3. CATEGORISATION DES REVUES : INCITATION A LA TRICHERIE DE CERTAINS CHERCHEURS

La fraude est une maladie endémique du monde scientifique. A l'Université algérienne, des garde-fous peuvent être établis pour réduire la fraude, le plagiat ou les articles achetés des journaux payants qui s'avèrent une fraude beaucoup « pernicieuse «. Il s'agit du jugement des pairs, la relecture systématique des manuscrits scientifiques par des experts algériens avant publication dans des revues, plus particulièrement douteuses, la reprise des expériences par d'autres scientifiques qui doit aboutir aux mêmes résultats et l'utilisation des données de type « benchmarks » pour confirmer ou infirmer les résultats. Concernant la fraude et le plagiat, même l'Amérique n'est pas épargnée. Une pression sur les chercheurs se renforcera et on arrivera naturellement aux cas de tromperies. ? Dans [1, p.292], intitulée une supercherie scientifique, déjà en 1953 et grâce aux méthodes précises de datation récemment mises en oeuvre (carbone 14 ou potassium-argon), il a été possible de montrer que les restes un peu miraculeux de l'Homme de Piltdown, exhumés en 1911 par C. Dawson, étaient des faux. Il y avait même eu maquillage des dents, la mâchoire étant prise à un singe et le crâne à un homme ! Faut-il en attribuer la totale responsabilité au chercheur ou la faire partager par un chef de chantier trop heureux de faire plaisir à son commanditaire ? ? Démasqué en 2002, l'Américain Jan Hendrick Schön a publié des articles sur la nanotechnologie aux résultats falsifiés. ? A la question qu'en science, quelle idée vous paraît dangereuse ? Boris Cyrulnik, psychiatre et éthologue, de l'université de Toulon, a répondu que toute nouvelle idée est dangereuse, et l'absence d'idée l'est encore plus. Parce qu'elle mène à la certitude. Et plus une théorie est idiote, plus elle a de chances de succès. Un exemple : la lobotomie ou l'ablation d'une partie du cerveau.

4. PAS DE SOLUTION UNIVERSELLE POUR ENDIGUER LA FRAUDE SCIENTIFIQUE

En septembre 2007 et au mois de Mai 2013 se sont tenues respectivement à Lisbonne au Portugal et à Montréal au Canada la première et la 3e Conférences internationales sur l'intégrité scientifique, organisée par la Fondation européenne pour la science (ESF) et l'office de l'intégrité de la recherche (ORI) américain. Les sciences expérimentales sont les plus directement concernées par les fraudes et aussi les canulars. Le principal point noir dans la recherche est le système des publications d'articles. Selon Jean-Pierre Bourguignon, mathématicien, directeur de l'institut des hautes études scientifiques et président du comité d'éthique du CNRS français [3] « Ce qui est le plus inquiétant, à mon sens, c'est que les comités d'évaluations, au lieu de lire les travaux des chercheurs, s'en tiennent à une sorte d'analyse de leur impact. Pourtant, le fait qu'un article soit très cité par d'autres n'est pas forcément positif ! Il peut être au contraire pointé pour ses faiblesses. La massification nous fait dépendre de plus en plus de systèmes très automatique ; or moins les gens auront lu les articles, les auront critiqués, auront une opinion réelle, plus la situation deviendra fragile ».

CONCLUSION :

Expériences truquées, études biaisées, résultats falsifiés, etc. les cas de fraude scientifique s'accumulent aujourd'hui dans les laboratoires scientifiques. « Il y a des articles scientifiques qui entrainent des désaccords, mais il ne faut pas y voir des fraudes pour autant ; le fait qu'il y ait des controverses fait partie de la marche normale de la science » tempère Jean-Pierre Bourguignon [3]. Une Université démocratique est en droit d'exiger de la transparence. Chaque commission universitaire doit mettre « en ligne » sa composante, ses résultats et ses conclusions. Changer les institutions avant que les doctrines ne soient refaites est une impatience brouillonne. Ceux qui veulent tout construire en peu de temps pour l'éternité se trompent énormément.

* Universitaire

Références

1- Science & Vie, Hors Série, N° 166-Mars 1989. 200 ans de science, 1789-1989.

2- Science : un éditeur abusé par de fausses études générées par informatique. Le Quotidien d'Oran, Société, samedi 1er Mars 2014, p.17.

3- Cécille Bonneau. A la une : Fraude scientifique. Quand les scientifiques trichent. Science & Vie, Novembre 2008, pp.56-69.