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Surfer sur la bonne vague?

par Malik Chebre

Surtout n'allez pas demander aux Algériens de bouder leur plaisir, pour une fois que le pays gagne quelque chose. Cela faisait quand même 32 ans - celle-là on n'allait pas la louper - que les Verts, puisque c'est d'eux qu'il s'agit, n'avaient pas remporté le moindre succès au Mondial. C'est dire qu'il s'agit, en l'état actuel des choses, d'une véritable prouesse pour le « foot algérien ». D'autant plus que notre sport roi est, le moins que l'on puisse dire, tout sauf performant. Un peu grâce à une gestion mêlant amateurisme, clanisme et incompétence.

Il ne s'agit pas d'accabler le monde du sport en particulier. Ceci s'applique à tous les secteurs et à tous les niveaux. C'est une réalité nationale. Le professionnalisme instauré en Algérie pour mettre de l'ordre dans la maison a été tout sauf un succès, le foot restant englué dans ses travers. Nous avons les ressources mais pas les idées ! Comme c'est le cas pour les hydrocarbures, nous n'avons aucun mérite à en être dotés. Certaines mauvaises langues ont même parlé d'équipe « made in France». Ils ont bien sûr tort dans le fond. Mais dans la forme, pour beaucoup de nos joueurs, ce sont bien les académies françaises qui les ont formés. Nous avons les talents, ils ont les centres de formation. Tant mieux si cela peut aider les gestionnaires du sport à monter une équipe compétitive et flatter notre ego national.

Le succès aidant, même s'il ne s'agit que d'un match, cela devrait-il pour autant dispenser de remettre sur le tapis les raisons des échecs répétitifs en matière de formation en général et dans le sport en particulier. Car à n'en point douter, une victoire des Verts dans un Mondial est une mine d'or pour le pouvoir. En pleines « consultations » sur le projet de réforme de la Constitution et alors que des mouvements de contestation liés au logement font tache d'huile, une « trêve » est toujours la bienvenue pour les gouvernants. Au Brésil aussi, la présidente Rousseff doit être la première supportrice de la sélection de son pays, en proie à une montée de la fronde sociale. Et le Brésil serait bien inspiré d'aller le plus loin possible dans cette compétition. D'aucuns redoutant qu'une radicalisation des mouvements de contestation sociale dans ce pays vienne gâcher la fête planétaire du foot. Sport et politique, que l'on tente parfois d'opposer, sont intimement liés.

Chez nous, Raouraoua, le gestionnaire en chef de notre foot national, doit exulter. Car le différend avec l'entraîneur Vahid Halilhodzic, qui n'a pas raté l'occasion de régler ses comptes avec la presse juste après la victoire des Verts sur la Corée du Sud, n'était pas pour arranger les choses. Surtout après la défaite face au onze du plat pays. C'est que le pouvoir attend toujours un retour sur « investissement ». A très court terme, pas dans dix ans. En ces temps de disette, surfer sur la vague du succès des Verts paraît presque inévitable. Mais, pour emprunter au monde du sport, le surf peut être dangereux pour ceux qui ne se préparent pas convenablement ou qui en abusent. Plus grande sera la vague, plus dure sera la chute. A voir comment les fans des Verts ont fêté la victoire contre la Corée du Sud, on comprend que les Algériens sevrés de tout peuvent avoir des réactions disproportionnées.