Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Kerry à Alger en contexte électoral : Les attentes américaines, la «caution» et la «menace»

par Salem Ferdi

Reportée in extremis d'un «commun accord» en novembre 2013 pour cause d'accélération des négociations sur le nucléaire iranien, la visite de John Kerry, secrétaire du département d'Etat américain, tombe en pleine période électorale.

Et inévitablement, elle suscite des réactions controversées. Parfois assez caricaturales comme celle de Louisa Hanoune, dans la posture qu'elle aime de «protectrice de la nation», accusant John Kerry de venir «faire chanter ceux qui veulent continuer à gouverner et voler». Un représentant de Moussa Touati est dans la même veine en affirmant que les Américains «vont prendre leur part du gâteau», en échange d'une caution au quatrième mandat d'Abdelaziz Bouteflika. Il est inutile de relever que les Etats-Unis n'ont pas besoin d'envoyer spécialement leur ministre à Alger pour «faire chanter» les «gouvernants» si tel est le cas. Un maître-chanteur, à plus forte raison quand il s'agit d'un empire du poids des Etats-Unis, n'a pas besoin de publicité pour exercer ses pressions. On est bien dans la caricature. Les Américains ne sont pas des anges, ils ne sont pas mus par la volonté de diffuser les libertés ? comme leur discours le martèle ? mais ils défendent leurs intérêts. Ce qu'il faut cependant retirer de ces réactions «hyper-nationalistes» est que le timing de la visite n'est pas des plus heureux. Comme la rencontre de novembre de 2013 avait été reportée d'un «commun accord», il aurait pu y avoir une même entente sur la date de la visite. Les autorités algériennes, avant même les Américains, auraient pu décider de se passer de ce qu'elles croient être une forme subliminale de soutien. Et se passer des critiques, prévisibles, de chercher une caution américaine à un quatrième mandat qui suscite une forte controverse interne. Mais pas plus les Américains que de très nombreux Algériens ne croient que la visite de M. John Kerry ait une incidence sur une élection déjà pliée. Le fait que le ministre américain vienne à Alger, sans se soucier du contexte électoral, est assez anodin. Ainsi que le notait, hier, Francis Ghiles, ancien journaliste au Financial Times, spécialisé dans le Maghreb, les Etats-Unis ont des intérêts en Algérie et le contexte électoral n'y change rien. Il relève qu'en matière de timing et en raison de la crise ukrainienne «les horaires de Kerry changent littéralement tous les jours ».

Washington traite avec le régime pas avec un homme

Mais d'une manière générale, si les Américains n'ont pas accordé d'importance au contexte électoral, cela tient du fait que les Etats-Unis traitent avec le régime en entier et non avec des hommes. Et ils ont effectivement des attentes en matière de sécurité dans une région déstabilisée en bonne partie par l'intrusion musclée de l'Otan en Libye. Les Américains ont également des intérêts économiques dans le secteur des hydrocarbures mais ils sont devenus, grâce à la «révolution du gaz de schiste» autosuffisants et peu dépendants de l'extérieur. Même du Golfe. Les Américains ne cherchent même pas à bousculer les choses sur la question du Sahara occidental même s'ils ont semblé assez ouverts sur l'option marocaine d'autonomie. Par contre -cela reste à confirmer- on peut supposer qu'ils veulent s'assurer que l'Algérie restera un fournisseur viable de gaz pour l'Europe au cas où la crise actuelle sur l'Ukraine perdure. Voire même de la voir suppléer en cas de réduction du débit du gaz de Russie. On n'est jamais vraiment un «ami» d'un Empire, mais il est bien entendu peu recommandé de s'en faire un ennemi. L'ordre du monde est ainsi fait. Mais ce dont il faut se rappeler -et c'est là où le discours hyper nationaliste à la Hanoune sonne creux- est que dans cette scène mondiale, la capacité de négocier d'un Etat dépend de sa légitimité interne et de l'adhésion de sa population. Quand cette adhésion est faible, quand la légitimité est contestable, la marge d'action des dirigeants rétrécit. C'est une loi d'airain du jeu international. La «menace» externe n'est grande que quand le système exclut au lieu d'intégrer. La menace externe est «interne» et «systémique». Très largement.