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Lamamra : L'idée de «printemps arabe» est importée

par Yazid Alilat

Les changements politiques violents ou pacifiques enregistrés ces dernières années dans certains pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord ne sont pas le fait d'un printemps pour les pays arabes. Et l'Algérie n'est pas intéressée par une médiation dans le conflit syrien.

C'est ce qu'a expliqué le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, en fin de semaine à Moscou, en marge de sa visite de travail en Russie où il a rencontré son «ami» Serguei Lavrov, chef de la diplomatie russe. «L'idée de printemps (arabe) n'est pas connue dans les pays arabes, nous avons le Coran. Cette idée de printemps arabe est importée, elle est valable dans l'histoire de la guerre froide en Europe, je ne pense pas que cela soit valable pour le monde arabe», a-t-il expliqué dans un entretien diffusé par la chaîne russe Russia Today. Pour M. Lamamra, «il y a des évolutions dans le monde arabe qui ont conduit à des changements radicaux dans certains cas avec des manifestations pacifiques (cas de la Tunisie) et des changements dans d'autres cas avec violence (Egypte, Libye), qui ont provoqué des guerres civiles avec d'importantes victimes». Pour Lamamra, sans le dire vraiment, l'Algérie a été prémunie de ce printemps arabe et de ces changements radicaux du fait du multipartisme, de l'égalité sociale, de l'accès à la santé, le développement local, etc. Questionné sur la position de l'Algérie par rapport à ces changements politiques qui ont conduit au départ des chefs d'Etat en place (Ben Ali, Moubarak, Kadhafi) et la guerre civile actuelle en Syrie, il a rappelé la position de principe de l'Algérie. Face donc aux secousses dans ces pays arabes, il a rappelé que «l'Algérie a une position de principe, nous reconnaissons les Etats et non les gouvernements ou les régimes, le second principe qui guide la politique extérieure algérienne est celui de la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats». Il ajoute: «Nous avons notre position et notre analyse sur ce qui se passe chez les autres Etats, et notamment quand il s'agit d'Etats amis et frères. Cela ne nous pousse pas à prendre des positions basées sur les événements, par contre, nous coopérons avec ces Etats en partant du principe que nous avons des intérêts en matière de coopération avec ces pays et qui ont également des intérêts avec nous».

ALGER-RABAT: DIFFERENCES ET DIFFERENDS

Sur les relations avec le Maroc, le chef de la diplomatie algérienne a rappelé que l'Algérie a des «relations normales avec les frères au Maroc, des relations diplomatiques, commerciales, culturelles, nonobstant les relations entre le deux peuples, entre les familles, les citoyens et les deux pays. Mais, il y a parfois des situations que nous aurions voulu éviter et quand cela arrive, nous sommes toujours en Algérie favorables à une solution pacifique pour tous les différends que nous considérons passagers». Sur le dossier sahraoui, il explique, par ailleurs, qu»'il se peut que nous ayons des différences sur le Sahara Occidental, comme nous pouvons avoir des différences sur la Palestine ou un autre dossier international». Pour autant, M. Lamamra estime que «les différences politiques entre deux Etats ne justifient pas des actes négatifs sur les autres relations bilatérales entre deux Etats voisins. Le processus de décolonisation au Sahara Occidental dure depuis 40 ans. Ceci n'empêche pas le Maroc et l'Algérie de participer à la création du Maghreb arabe, dans la construction de relations commerciales et économiques et nous avons toujours souhaité développer les relations bilatérales et développer l'action maghrébine commune». Quant à la proposition marocaine d'autonomie au Sahara Occidental comme solution unique, il rappelle que la position de l'Algérie est celle qui veut que le peuple sahraoui puisse user de son droit à un référendum d'autodétermination au Sahara Occidental», comme une des solutions politiques pour clore définitivement ce dernier dossier de décolonisation en Afrique.

QUI A ABATTU L'AVION DE MOHAMED SEDDIK BENYAHIA ?

Une fois n'est pas coutume, un chef de la diplomatie algérienne est questionné directement sur le pays qui a ordonné la destruction de l'avion de feu Mohamed Seddik Benyahia, qui dirigeait une médiation algérienne dans le conflit armé entre les deux voisins, l'Irak et l'Iran, dans les années 1980. Sa réponse est claire: «Vous n'êtes pas sans savoir que l'Algérie a beaucoup donné pour résoudre ce conflit en son temps et nous n'avions pas voulu à ce moment-là et même aujourd'hui jeter de l'huile sur le feu en ce qui concerne les relations entre ces deux pays». Il ajoute qu»'il y a des choses qui ne peuvent être résolues à travers la télévision», avant de clore ce chapitre douloureux de la diplomatie algérienne par : «Nous laissons ce dossier aux historiens et nous préférons laisser place à la construction de la paix entre voisins». Sur le dossier syrien, il a rappelé d'abord que l'Algérie avait sa propre vision de ce conflit armé et qu'elle avait émis des réserves sur la position adoptée par la Ligue arabe sur ce dossier. «L'Algérie a communiqué sa position à travers la Ligue arabe à plusieurs reprises et a émis des réserves contre certaines décisions non conformes à la charte de la Ligue et ce qui est attendu d'elle comme rôle positif dans le règlement de cette crise par les peuples arabes», a-t-il dit, avant de botter en touche sur la question d'une probable médiation de l'Algérie dans ce dossier. «Lakhdar Brahimi, envoyé personnel du SG de l'ONU pour la Syrie, est bien évidemment appuyé par l'Algérie et également la Ligue arabe», a-t-il répondu.

ALGER-MOSCOU : LA COOPERATION VA BIEN

Quant à la coopération algéro-russe, M. Lamamra a laissé entendre qu'elle va bien, qu'elle se porte bien, même si «le contexte politique a changé». Questionné notamment s'il y aura un grand retour de la Russie en Algérie avec des investissements et des échanges économiques importants comme «'au bon vieux temps de l'URSS», le ministre algérien a répondu qu'il est évident que «les circonstances politiques actuelles ne sont plus les mêmes que du temps de l'URSS». «Les deux pays, qui ont aujourd'hui adopté une économie de marché, défendent certes leurs intérêts communs sur le marché international», a-t-il dit, ajoutant que «l'Algérie et la Russie sont tous deux producteurs de pétrole et de gaz et développent ainsi une politique commune pour défendre leurs intérêts», et notamment dans le domaine des hydrocarbures, en défendant «des niveaux de prix du pétrole et du gaz raisonnables dans l'intérêt des pays producteurs et ceux consommateurs».

Pour l'anecdote, M. Ramtane Lamamra a fait son stage en tant que jeune diplomate à Moscou et a longtemps travaillé dans les années 1990 avec Serguei Lavrov au siège des Nations unies sur des dossiers internationaux d'intérêt commun entre la Russie et l'Algérie.