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Professionnalisme à l'algérienne, échec d'un modèle sportif et économique

par Abed Charef

Abdelmoumène Djabou, un des plus brillants footballeurs de la génération actuelle, et Baghdad Bounedjah, ont choisi de s'exiler pour gagner quatre fois ce qu'ils gagnaient en Algérie. Footballeurs professionnels, ils sont partis là où leur talent leur rapporte le plus. Mais pourquoi ont-ils choisi la Tunisie ? Ou plutôt, comment le championnat de Tunisie est-il devenu une consécration pour les footballeurs algériens les plus doués alors que tous les indices devraient, au contraire, placer l'Algérie comme le point de chute naturel de tous les footballeurs d'Afrique du Nord ? L'Algérie, rappelons-le, a un PIB quatre fois plus élevé que celui de la Tunisie et une population quatre fois plus importante. C'est donc l'Algérie qui devrait attirer les meilleurs footballeurs tunisiens non l'inverse, car elle possède de meilleurs atouts économiques et démographiques, sans parler de la passion qui entoure ce sport.

Mais le football algérien est, à l'évidence, mal géré. Il ne génère pas d'activité économique en rapport avec ce qu'il représente. Les chiffres d'affaires des clubs sont dérisoires. En Ligue 1, il y a des clubs qui vivotent avec 150 millions de dinars, soit 1.5 million d'euros, le salaire annuel d'un joueur anonyme en Europe. Si on exclut les subventions, les droits télé et le mécénat qui fait office de sponsoring, les recettes sont dérisoires. Alors qu'il joue toujours dans un stade plein, un club de la capitale perçoit moins de 100.000 dinars de recettes par match. A peine de quoi payer les employés.

Le passage au professionnalisme n'a donné lieu à aucune amélioration. «Un simple jeu d'écriture, pour répondre aux normes FIFA, sans introduire de changements significatifs dans les règles du jeu», selon un journaliste sportif qui a suivi le dossier depuis la réforme de 1978. La Fédération algérienne de Football (FAF) a appliqué formellement les règlements FIFA qui imposent un nouveau mode de gestion du football tout en continuant à gérer la compétition selon les anciennes méthodes, faites de petites combines, d'arrangements et de non-dits. Les présidents de clubs, les mêmes que ceux en exercice avant l'avènement du professionnalisme, n'ont jamais cessé de solliciter «l'aide» des walis et des entreprises publiques pour distribuer l'argent aux footballeurs. Un ancien entraîneur raconte, non sans humour, comment «le wali a réussi à remporter le championnat» avec «son équipe» : il a accordé plusieurs subventions à «son équipe», il a offert des lots de terrains ou des appartements aux joueurs à recruter, il a transféré au profit de «son équipe» une grande partie de l'argent destiné au sport amateur, et il réunissait périodiquement les patrons des entreprises locales, publiques et privées, pour leur «demander» de «donner un coup de main». Au final, l'équipe s'est retrouvée avec un budget qui a frôlé les quatre cent mille dinars.

UN IMMENSE GACHIS

Non seulement de telles méthodes excluent une gestion rationnelle du football, mais elles l'empêchent de se développer. Le Mouloudia d'Alger «devrait générer un chiffre d'affaires d'au moins un milliard de dinars par an», nous a dit un économiste intéressé par le dossier. Mais il faudrait que «tous les maillons de la chaîne jouent le jeu, du footballeur qui fait son métier au supporter qui paie son billet au juste prix, en passant par l'entreprise qui s'occupe des produits dérivés». Ce qui est impossible dans un monde où la notion de produit dérivé demeure inconnue. «Un immense gâchis», dit-il.

Au lieu d'aller à une gestion moderne, les présidents de club se contentent de courir derrière les subventions, ce qui crée une dépendance continue envers l'administration locale. Mais les dirigeants de club s'en sortent bien. Leur statut leur permet aussi d'accéder à des cercles où se distribuent beaucoup de privilèges. «Un président de club a son entrée chez le wali et chez le ministre», souligne un ancien dirigeant. «Cela lui permet de servir le club, et de se servir. Rares sont les présidents qui dépensent pour le club plus que le club leur rapporte», dit-il. En contrepartie de cet accès à la rente, les présidents endossent un rôle politique et sécuritaire. Ils gèrent cette jeunesse des stades, violente et versatile.

Les présidents étouffent aussi le football avec leurs méthodes désuètes. «Ils veulent rester seuls actionnaires et demandent aux sponsors de fournir les fonds nécessaires. Cela ne peut pas marcher», déclare un ancien fonctionnaire de la FAF. Les présidents se plaignent, mais aucun d'eux ne veut céder le club. A l'exception de Saïd Allik qui a «vendu» l'USMA à l'homme d'affaires Ali Haddad, la plupart des autres s'accrochent. Beaucoup pressentent vaguement qu'un club de foot peut rapporter gros. Ne dit-on pas que des clubs comme le Mouloudia d'Alger et Sétif valent un milliard de dinars ? Pour des SPA créées au départ avec un capital de dix millions de dinars, c'est un retour sur investissement hors-norme.