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Les «Frères» du roi

par M. Saadoune

Personne ne s'attendait à ce que les is-lamistes du Parti de la justice et du dé-veloppement changent la donne dans une monarchie «exécutive» marocaine plus que jamais soucieuse de marquer que le pouvoir est au Palais et nulle part ailleurs. Beaucoup disaient que les «frérots» du Maroc n'ont fait qu'apporter leur barbe - et leur discours - au Makhzen. Ces derniers peuvent constater qu'ils ont largement raison. Le PJD est souvent plus royaliste que le roi. Et ce dernier, contrairement aux intentions qu'on lui a prêtées, ne semble guère pressé de se débarrasser d'islamistes aussi obéissants que les partis «traditionnels».

Certains pourraient dire que dans le domaine économique et social, les marges de tout gouvernement au Maroc sont étroites et ne permettent pas de faire preuve d'imagination. Il est en effet difficile d'en faire preuve quand des lignes «rouges» des intérêts établis sont fixées et sur lesquelles le gouvernement ne peut agir. La révision constitutionnelle au Maroc, présentée dans les pays «amis» comme une quasi-révolution, a été purement «textuelle». En termes concrets, le pouvoir est bien resté au Palais et les problèmes au gouvernement. Certains attendaient néanmoins des «Frères marocains» une certaine posture morale et une forme de «résistance» qui permet de garder le cap ouvert vers des réformes plus sérieuses. Or, à l'exercice, le PJD et le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, qui serait selon des sondages toujours «populaire», n'ont pas fait mieux que les traditionnels partis de serviteurs.

Dans l'affaire de la «grâce» accordée au pédophile espagnol, c'était très clairement un souci de l'entourage du roi de «marquer» que le pouvoir n'est pas au gouvernement qui a donné à la scandaleuse dérive. Dans cette affaire, le PJD a fait profil bas et a même défendu la décision du Palais. Il a également avalé sans broncher la diversion royale qui consistait à leur mettre sur le dos la situation du système éducatif alors que le PJD n'est au pouvoir que récemment. Très clairement, le PJD s'est installé dans la «gestion» du statuquo, selon la configuration décidée par le Palais. L'ambition de réforme qui est, officiellement, le but des Frères musulmans est passée à la trappe. La docilité de Benkirane étonne jusque dans les rangs de ses partisans qui constatent que la finalité ne va pas plus loin qu'une entrée dans le «cercle» de la monarchie. Et non de changer.

Avec l'arrestation d'un journaliste, aussi talentueux que courageux qu'Ali Anouzla, décidée par le ministre de la Justice du PJD, qui se targue d'être un militant des droits humains, les Frères «marocains» montrent qu'ils sont prêts à assumer tous les désirs du Palais. Le sort réservé à Ali Anouzla - son site a mis un lien vers une vidéo publiée dans le journal espagnol El Pais - est une injustice flagrante. Que Benkirane assume sans broncher. Il assume la sale besogne dans un pays où, selon la formule d'Aboubakr Jamaï, directeur de la version francophone du site d'information Lakome, la «réalité du pouvoir reste concentrée entre les mains du roi et de ses proches».