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TLEMCEN : UNE VILLE, UNE IDENTITE

par Yazid Boubkeur

L'étude des caractéristiques de l'identité d'un espace urbain donné, nécessite que l'on prenne en compte l'ensemble des éléments qui le constituent dans une perspective dynamique.

L'identité d'un lieu inclut la notion de symbole et doit être analysée comme un processus en cours, comme un phénomène en évolution constante, et non pas comme un fait statique ou une simple icône : il ne s'agit pas d'un référent universel et intemporel qu'il faudrait considérer en amont des observations, mais d'un processus actif (et en renouvellement permanent) qui s'alimente de discours et de pratiques urbanistiques, politiques ou simplement liées aux différents modes d'usage de l'espace par les habitants. Ces différents usages, du fait de la multiplicité des acteurs en jeu et de leur diversité, laissent en effet des traces comme autant d'empreintes qui concourent foncièrement à la conception de l'identité locale considérée. Selon le docteur Bessenouci El Ghaouti, Chercheur et auteur de plusieurs ouvrages, : «L'essentiel des perspectives d'exploration qu'il est possible d'en dégager, à partir des acquis réels, permettra d'en préciser la forme et d'en affiner l'esprit. Centrée sur la question de la conservation des aspects symboliques de l'espace urbain, cette exploration s'intéressera fondamentalement aux biens culturels religieux ou profanes, en accord avec leur définition exacte et leur régime juridique (aliénabilité, exportabilité, etc.) qu'il faudra évidemment rechercher dans la législation nationale ou les conventions internationales.» Docteur Bessenouci El ghaouti ajoutera : «Elle s'intéressera tout autant aux articulations sociales et économiques de ces témoins du passé, considérés comme marques emblématiques de la ville. Ceci expliquerait sans équivoque le traitement de faveur actuel ; dont bénéficie une cité-mégapole comme Tlemcen (qui s'apprête à convoler en justes noces en l'année 2011), alors même qu'un tel effort demeure capital dans le processus de développement incessant d'une telle cité plusieurs fois millénaire.» Ainsi a-t-il expliqué l'analyse de l'élaboration de «l'esprit des lieux» s'inscrit en conséquence dans le processus de transformation et de recomposition sociale des espaces. Mettant en œuvre tout à la fois discours et pratiques politiques d'aménagement, modalités d'appropriation ou de rejet des espaces, la composition d'une image, d'une symbolique observée dans la durée, est plus qu'un révélateur des dynamiques urbaines : elle contribue pleinement à la constitution d'une forme urbaine donnée. De ce fait, l'intellection du sens donné à un lieu - avant tout caractérisé par une configuration singulière d'éléments distinctifs - ne saurait se faire sans une mise en rapport de l'espace examiné avec les différentes modalités de lecture qui peuvent en être faites. «Du point de vue de la méthode, il s'agira donc de faire la synthèse des divers repères (d'ordre géographique et historique) qui décrivent ce site et permettent d'en comprendre les particularités. On fera apparaître la singularité des lieux dont la ville s'est détournée progressivement alors même qu'ils occupent une position symbolique particulière. De la même manière, sont à synthétiser les multiples dossiers fondateurs des projets successifs de rénovation de l'urbain, tels qu'ils ont été pensés par les urbanistes ou par les pouvoirs publics qui les ont suscités.» Enchaînant que : «Le caractère comparatif d'une telle démarche vise particulièrement à appréhender - à un degré local - le processus par lequel s'est constituée l'identité territoriale. Dans cette optique, donc il s'agira bien de rendre compte de la spécificité urbaine de ces faits sociaux, l'espace n'étant pas pensé ici comme simple cadre, ou au pire comme simple décor, mais comme une donnée intrinsèque du fait urbain. Plus loin, il sera plausible (peut-être) de mettre en évidence la part que l'on peut accorder à l'identité d'un lieu dans le processus complexe de socialisation du citadin.»

L'espace urbain tient a démontrer Dr Bessenouci El Ghouti , est la scène de la vie quotidienne qui définit la communauté des citadins ; il est un territoire de vie et d'identité. La perception de la ville est ainsi en constante évolution. Elle s'actualise en fonction des lieux d'habitation, de travail, des événements qui s'y déroulent et des relations sociales qui s'y nouent. Cette situation se traduit par une représentation fragmentaire de la ville. A Tlemcen, tout comme dans la plupart des grandes et vieilles villes algériennes, l'habitant éprouve une sensation de désorientation qui conduit à une perte de bien être et un sentiment d'inquiétude émotionnelle, même si d'aucuns soutiennent qu'une expérience n'est pas nécessairement réductible à l'autre et que la perception de la ville est fonction du genre (sexe), de la classe sociale ou du lieu de résidence. «Il apparaît clairement dans ce cas que la relation à la ville s'effectue sous la forme d'une personnification de la ville ; comme l'humain, celle-ci a ses «humeurs». La ville est ambiguë et ambivalente et son approche doit tenir compte des composants qui en façonnent l'image, c'est-à-dire et les concepts spatiaux a savoir identité et structure, et le concept temporel...

ANCIENS MONUMENTS ET PERSONNALITES

Ceci dit que la personnalité de la ville est définie selon notre interlocuteur, par ses monuments anciens ; ce sont eux qui en font le cachet, l'esprit. «Cette perception du centre historique reste cependant imprécise ; la connaissance spécifique des monuments qui le produisent reste contingente et fort subjective. Ce qui en est valorisé, c'est singulièrement le caractère d'ancienneté ; il est sécurisant et donne une pérennité qui permet d'avoir une perception éternelle de la ville. La relation n'est pas de connaissance intellectuelle, mais plutôt affective. Aussi, en l'absence d'une conscience précise de l'histoire des monuments (histoire qui d'ailleurs demeure trop souvent victime d'interprétations subjectives procédant des lubies des uns et des autres), le centre historique s'accommode-t-il particulièrement à un pèlerinage fondamental. Celui-ci s'y appréhende à travers la ville musée, où le séjour des hommes est figuré comme dans une sorte de nécropole. Il y a identification à la mort et non à la vie.»En effet il en résulte que la relation à l'espace urbain ne dépend pas exclusivement de la connaissance ; elle est surtout physique, affective et non aliénée. Les centres urbains sont donc les cadres privilégiés de l'expression urbaine. Volet corrélation espace urbain-temps , Dr Bessenouci a souligné que la ville s'inscrit-elle dans l'espace par le biais de la mémoire et de l'histoire . En fait, ces deux dimensions du temps se transcrits de manière physique dans l'espace urbain. «En Algérie, la ville-cité est un objet historique ; elle est fondamentalement un lieu de mémoire, une mémoire distinctive d'un groupe social ; c'est une mémoire que le groupe ne partage avec aucun autre groupe. Cette mémoire ne connaît pas de rupture ; elle entretient avec le passé un rapport continu. De ce point de vue, le passé est transmis par une mémoire vivante et non savante, celle qui s'exprime à travers les noms de rue ? référents d'un passé local de la ville ou national ou même international (dans l'acception la plus large du terme)...». Il s'agit selon notre interlocuteur avec qui ; on a abordé plusieurs sujets sur l'histoire de la ville , sa culture , et ses traditions que cette mémoire collective permet la reconstitution du passé in situ. De la sorte, le contexte urbain engendre une culture, avec des expressions spécifiques. Le folklore, une des expressions les plus tapageuses de cette culture, fait passer l'espace abstrait à un lieu habile, significatif et signifiant pour ses habitants. Il en désigne incontestablement une formation locale et autochtone. «La culture vernaculaire urbaine traduit un mode d'expression des habitants ; elle repose sur la manière dont l'environnement est personnalisé, humanisé. Cette culture vernaculaire est produite à des niveaux divers (personnel, familial, communautaire, etc.). Elle s'organise (usuellement) en dehors des institutions. Les rapports ne sont jamais légitimés ; il y a toujours une transgression par irruption dans l'espace public qui s'en trouve détourné à des usages spécifiques (les défilés de fantasia par exemple qui empruntent la chaussée réservée par définition aux véhicules à moteur, etc.). «Cette culture urbaine possède un caractère artisanal unique. Elle est faite par des acteurs qui se sentent concernés. Ils veulent montrer que cette culture est authentique, personnalisée, qu'elle crée du sens dans l'espace urbain et devient en définitive un objet de consommation pour les autres (tels que les touristes). Le folklore n'est pas artificiel mais constitue une recréation culturelle» Dr Bessenouci n'a pas manqué à ce sujet d'expliquer en outre cette approche sociologique de l'aménagement du temps urbain qui permettrait sans doute de mettre en avant la notion de budget-temps, notion qui fait du temps un «élément d'action» pour entre-accroître la productivité afin d'employer de temps libre, de le rationaliser afin de lui donner une finalité.