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Mustapha Chaouche raconte l'aventure du Cyber Rif pour connecter les zones rurales en Algérie

par Hafidh Abdelsalam

Mustapha Chaouche, PDG d'Astein et de Krizalid Communication, est l'un des premiers à avoir introduit en Algérie les ordinateurs Macintosh d'Apple, dans les années 80, et à avoir lancé, plus tard, le salon Siftech de l'informatique. Avec l'aide du MPTIC et le concours d'un sponsor, il a lancé en 2011 le projet «Cyber Rif», un cybercafé destiné aux localités isolées.

Parlez-nous du projet Cyber Rif ?

Au départ, l'idée était de créer un cyber bus. C'est le ministre de l'Information et de la Culture, M. Teboune, qui avait proposé en 2004, lors du salon de l'informatique (SIFTECH), l'exploitation des bibliobus pour qu'ils soient conformes avec l'évolution technologique que connaît le monde. On a donc pensé à transformer ces véhicules en cyber bus. C'est ainsi que l'idée est née. Un comité de travail a été mis en place pour bien étudier ce projet pendant un mois. Des moyens financiers et matériels étaient nécessaires pour rendre le projet fonctionnel. Mais, avant sa concrétisation, un changement est intervenu à tête du ministère. Le projet est tombé à l'eau. Entre-temps, d'autres pays tels que le Canada ont eu la même idée, qu'ils ont développée et concrétisée.

Et vous avez décidé de relancer ce projet ?

A l'occasion du SIFTECH de l'an dernier, nous avons suggéré au ministère de la Poste et des Technologies de la communication et de l'information (MPTIC) de reprendre le concept et de le développer. Une équipe a été constituée au ministère pour concrétiser l'idée du cyber bus. Au début, on avait pensé à aménager des minibus pour pouvoir se garer quelque part et permettre aux gens de venir surfer avec tous les équipements nécessaires. Micro-ordinateur, connexion Internet et matériel adéquat. Mais l'initiative n'a pas pu être finalisée dans les délais fixés au départ, vu les difficultés d'acquisition d'un bus spécialement aménagé ici en Algérie. Notre souhait était de concrétiser cette opération en même temps que le SIFTECH qui coïncidait avec la journée mondiale des télécommunications dont le thème de l'année 2011 était, par pur hasard, «mieux vivre dans les communes rurales grâce aux TIC». Quelques semaines avant cette date du 17 mai, l'équipe du ministère nous a annoncé l'impossibilité de concrétiser ce projet avant le 17 mai. Ils ont demandé, alors, si notre agence de communication Krizalid était en mesure de prendre en charge cette opération et la confier, donc, à un privé. Comme le délai était très court pour le 17 mai, nous avons réfléchi à des solutions provisoires, comme celle de remplacer le bus par un fourgon parce que ce type de véhicule est facilement accessible et plus facile à aménager. En l'espace de 23 jours, nous avons monté l'opération, avec une quarantaine de personnes sur le projet. Il fallait aménager le fourgon, l'habiller, concevoir les logos de l'opération, définir le programme de formation des gens, les objectifs, les régions à visiter et le type d'information à recueillir sur place.

Quels équipements vous avez mis en place et quelle connexion Internet utilisez-vous ?

Avant tout, il fallait trouver le personnel qui soit capable de mener cette opération et de supporter les conditions de vie dans des zones difficiles. On a donc équipé ce fourgon pour lui donner assez d'autonomie et lui donner la possibilité de se connecter directement via satellite grâce aux équipements d'ATS sans passer par Algérie Télécom. On a sollicité un sponsor pour l'acquisition des ordinateurs. On a acheté le mobilier et la literie nécessaire, les chapiteaux et tous les accessoires pour faire de la restauration sur place. On a aussi pensé aux équipements multimédias nécessaires, tels que les imprimantes, scanner, caméra, appareil photo, graveur de CD pour permettre aux gens de découvrir tout ce matériel technologique, de voir comment il fonctionne, de leur faire aussi découvrir l'Internet et la possibilité de naviguer et d'avoir une boîte e-mail et de communiquer avec des parents de l'étranger via Skype. Ce fourgon a été fin prêt pour le 17 mai avec un équipage d'informaticiens polyvalents. Juste à la fin du SIFTECH, l'opération a démarré en partant d'Alger vers la wilaya de Médéa en présence du ministre des PTIC et le wali de Médéa.

Le cyber bus est devenu cyber rif. Pourquoi ce changement de dénomination ?

Il fallait opter pour une autre appellation du moment que le moyen de transport a été changé. Ce n'était pas commode de partir avec un fourgon sur lequel est écrit cyber bus. On a proposé au ministère plusieurs appellations. Celle qui a été retenue est Cyber Rif. Le rif, pour zones rurales. On s'est aperçu après que c'était une excellente chose de n'avoir pas opté pour des bus. Le fourgon pouvait traverser les pistes, passer par les routes étroites et dans les villages à accès difficile. Une fois sur place, des chapiteaux sont dressés dehors ou bien dans une salle de classe ou salle des fêtes, mis à la disposition de l'équipe. Il y avait donc la connexion satellitaire, le réseau et le matériel installés. Des personnes ont même été formées à Lakhdaria pour pouvoir assurer une bonne connexion avec le satellite.

Comment a été la réaction des populations ?

Notre équipe est restée deux mois à Médéa. Elle a fait toutes les montagnes de la wilaya, les hauts plateaux et les villages les plus reculés. Elle a vu de toutes les couleurs. Elle était en contact avec des populations qui avaient soif de toute cette technologie. Il y avait des régions qui avaient à peine accès au téléphone. Pour une recharge du téléphone portable, il fallait partir vers un autre village. Ce sont, d'ailleurs, les régions touchées par le terrorisme qui sont les plus isolées. La majorité de la population n'avait jamais vu ni touché un clavier. Pour informer la population de notre passage, en général, c'est le directeur des postes et télécommunications qui assure le premier contact avec nous. Ensuite les autorités locales répercutaient l'information dans les daïras et aux présidents des APC. Le fourgon qui sillonnait les localités ne passait pas inaperçu. En quelques heures, l'information circulait comme une traînée de poudre. Dans certaines localités, il y avait 300 personnes qui passaient dans la journée. Et pour illustrer cette expérience, je peux vous dire qu'à chaque fois que le bus s'apprêtait à quitter un village, enfants et adultes nous demandaient toujours de rester plus longtemps, ou pour savoir quand le Cyber Rif allait revenir dans leur région.

 Nous avons même pu toucher des personnes âgées qui, au début, ne se sentaient pas du tout concernées par l'accès à Internet. Mais dès qu'on est arrivé à convaincre une ou deux personnes de venir voir et, si possible, de ramener le nom d'un cousin, neveu ou proche qui vit à l'étranger, pour lui trouver son Skype et le mettre en contact, le lendemain, c'est tout le village qui arrive. Après Médéa, l'équipage cyber bus s'est également rendue à Relizane, Biskra et se trouve actuellement à Bouira.

Quelles sont les missions de Cyber Rif ?

 Le Cyber Rif a une mission à deux aspects. D'abord introduire les TIC au sein des populations des zones isolées, mais de collecter localement toutes les données qui permettent d'enrichir le contenu algérien sur le net. Des informations sur ce qu'il y a comme légendes, monuments, l'histoire des régions, les rituels, les cérémonies et les traditions, les végétations spécifiques, la faune particulière, ainsi que des sites et des paysages naturels qui méritent d'être mis en exergue. L'équipage a aussi été formé pour prendre de belles photos, de belles vidéos, enregistrer des gens, découvrir les talents. C'est comme ça qu'ils ont découvert des chanteurs populaires et des conteurs. Toutes ces données sont stockées actuellement. Elles seront ensuite filtrées et mises sur Internet pour les chercheurs, les étudiants et même les journalistes. Pour l'instant, le Cyber Rif est une opération pilote qui va durer un an. Elle s'achèvera au 17 mai 2012. Mais le MPTIC a rapidement lancé sa généralisation sur le territoire national. Des courriers et des correspondances ont été adressés à tous les walis pour les encourager à initier cette expérience avec un concours financier du Fonds d'Appropriation des Usages et du Développement des Technologies de l'Information et de la Communication (FAUDTIC). Pour l'instant l'opération est financée par Krizalid. Sur le plan financier, le ministère a demandé une évaluation. Il s'est engagé à participer de prendre en charge 50% du financement de cette opération. Le reste devait être pris en charge avec les sponsors. Finalement, il n'y a pas eu beaucoup de sponsors à l'exception de Condor qui a donné les machines. Cela représente moins de 10% de l'opération. Donc, le reste a été financé par Krizalid.