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«L'érosion» des transferts des émigrés menace le Maroc et la Kabylie

par Farouk Djouadi

Les transferts en devises des émigrés vers le Maghreb ne cessent de reculer et les Etats de la région n'ont pas fait grand-chose pour corriger cette anomalie, prévient El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à l'université Paris Dauphine, invité par CARE. «Les activités de services de la connaissance et d'investissement immatériel» sont une piste pour fixer les élites savantes et s'assurer un développement tiré aussi par l'innovation. Le conférencier propose que l'Algérie soutienne un fonds maghrébin de recherche et développement.

L'économie marocaine se dirige droit vers la «catastrophe». Ce pronostic alarmant a été fait hier par El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à l'université Paris Dauphine (France). Les transferts d'argent des émigrés qui représentent 10 % du PIB marocain sont en «érosion continue», a indiqué Mouhoud lors d'une rencontre organisée par le CARE (Cercle d'action et de réflexion autour de l'entreprise). Cette érosion s'explique par le fait que la nouvelle génération d'émigrés transfère moins d'argent que les prédécesseurs. Le constat vaut également pour l'Algérie et plus particulièrement en Kabylie. Selon lui, près de 20 % de la population en Kabylie dépend des transferts des émigrés ou des pensions des expatriés à la retraite. Que ce soit pour le Maroc ou pour l'Algérie, les années à venir s'annoncent «très difficiles» pour les populations qui dépendent de ces transferts si rien n'est fait pour corriger cette situation. Pour le cas de la Tunisie les distorsions viennent surtout du fait que l'économie est basée essentiellement sur le tourisme. Un tourisme «bas de gamme» qui favorise le «déclassement» des diplômés et des emplois qualifiés et par voie de conséquence encourage le phénomène de la fuite des cerveaux. El Mouhoub Mouhoud considère que les pays maghrébins ne devraient pas trop parier sur la possibilité de faire revenir cette matière grise partie «pour se valoriser ailleurs». L'ambition des pays maghrébins devra se limiter à faire «participer» ces compétences à la construction d'une économie de la connaissance basée sur le secteur des services.

POUR UN FONDS MAGHREBIN DE R&D

Il n'est pas nécessaire, selon l'invité conférencier de CARE, de passer par toutes les étapes dans les activités industrielles. Les pays du sud et de l'Est de la Méditerranée peuvent directement s'engager dans ce qu'il a appelé «les activités de services de la connaissance et d'investissement immatériel». Un créneau basé essentiellement sur le développement de l'éducation et de la recherche scientifique. Le professeur en économie a fait remarquer, dans cette optique, que l'Algérie accuse un retard considérable. Les moyens financiers destinés au financement de la R&D en Algérie représentent à peine 0.3 % du PIB, loin derrière la Tunisie qui y consacre 1 % de son PIB. Mouhoud suggère au pays du Maghreb de travailler en commun dans le domaine de la recherche et développement. L'Algérie de par l'importance de ses réserves de change peut jouer le rôle du «financeur» d'un fonds maghrébin de R&D, estime-t-il. Par ailleurs, El Mouhoub Mouhoud estime que les pays maghrébins et ceux de la région Mena, en général, ont beaucoup à gagner en renforçant leur partenariat économique avec la Turquie. Cela dans la mesure où la Turquie est devenue un modèle qui a réussi à réaliser une croissance économique de 9 % au moment où la quasi-totalité des économies européennes sont menacées par la récession. Les pays du Maghreb, estime-t-il encore, ont également beaucoup à gagner en renégociant en un seul bloc, l'accord d'association avec l'Union européenne. Les accords bilatéraux signés par les Etats de la région du Maghreb avec l'UE, note-t-il, n'ont pas pris en compte l'élément important de la «mobilité» des cadres qualifiés.