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Augmentations salariales et risque de banqueroute: Des entreprises dans un gouffre financier

par Ghania Oukazi

Les dernières augmentations salariales accordées aux travailleurs d'Algérie Poste et d'autres secteurs d'activité, risquent d'enfoncer les établissements et les entreprises dans un gouffre financier effroyable dans lequel une grande majorité d'entre eux a déjà un pied.

Contaminés par la folie furieuse des revendications d'augmentations salariales qui a atteint gravement les secteurs de l'éducation et de la santé en premier, pour s'étendre à d'autres services publics et économiques, les travailleurs de la Poste ont eux aussi débrayé quelques jours pour arracher une augmentation de salaire de 47% (au lieu des 30% annoncés) si on la calcule à celle du régime indemnitaire. Installés le 30 mai dernier, les groupes de travail chargés d'étudier les revendications des travailleurs grévistes devaient présenter leurs conclusions le 24 juin prochain. «Cependant, la parfaite cohésion ayant prévalu entre les deux parties et leur identité de vue quant à la situation actuelle d'Algérie Poste et son avenir en tant qu'acteur économique et en tant qu'entité de service public, ces groupes ont achevé leurs travaux avant les délais initialement impartis,» ont souligné la semaine dernière, les signataires du communiqué ayant sanctionné la fin des négociations entre le syndicat et la tutelle. Les propos ne sont pas anodins. Ils dénotent un sentiment de grande inquiétude au sujet «de la situation actuelle d'Algérie Poste» qui oblige à agir sous le sceau de l'urgence pour sauver «une entité de service public.»

Pour rappel, les postiers ont bénéficié d'une augmentation du salaire de base de 30% dont 20% à partir du 1 juillet prochain, 5% à partir du 1er janvier 2012 et 5% restants à partir du 1er juillet 2012. L'entreprise a aussi concédé un plafonnement de l'IEP de 64 à 68%, un réajustement du régime indemnitaire, une prime de panier de 350 dinars/jour, une autre de transport augmentée de 200 DA par palier tout autant que celles de la caisse, de risque, de nuisance, de responsabilité et bien d'autres encore. Déclenchée le 28 mai par le syndicat d'entreprise affilié à l'UGTA, la grève qui avait immobilisé le service public postier au niveau de 191 bureaux sur les 3400 répartis à travers le territoire national a bien abouti. Réélue il y a quelques temps, les membres de la fédération UGTA du MPTIC ont joué et ont gagné.

Dans la session qu'il a tenue le mercredi dernier en présence des représentants syndicaux des travailleurs, le conseil d'administration d'Algérie Poste a mis la plate-forme des revendications du syndicat sur la table pour attirer l'attention sur la gravité de la situation financière de l'entreprise. Il rappelle pour cela que des augmentations ont été accordées aux travailleurs depuis 2003 qui souligne-t-il «cumulées dépassent les 250% avec notamment la récente augmentation de 25% accordée en 2010.» De 2008 à 2011, les postiers ont bénéficié d'augmentations de salaires allant de 28 à 48% selon les catégories professionnelles. L'on sait ainsi qu'un chef d'établissement perçoit un salaire de plus de 57 000 DA, un caissier touche plus de 45 000 DA et un agent au guichet a plus de 44 000 DA de salaire.

La mauvaise intelligence du gouvernement

Pour ceux qui savent calculer, conjuguées à celles de 30% consenties la semaine dernière, ces augmentations mettent en péril les équilibres financiers de l'établissement. Algérie Poste vit en réalité, une situation de déficit estimé à plus d'un milliard de dinars en 2010. «Celui de 2011 est bien plus important,» affirment des responsables du secteur. «La poste accuse en outre, une baisse sur le chiffre d'affaires global et une diminution sensible au niveau de certains segments d'activités,» relève-t-on dans le procès verbal de son conseil d'administration. Pratiquement disparus des prestations de la poste, les segments comme celui du colis et du courrier n'ont pas été remplacé par d'autres nouveaux à caractère lucratif à l'exemple du paiement par carte électronique ou la promotion des achats par Internet qui constitue en même temps, estiment les spécialistes «une excellente alternative pour juguler le commerce informel.» Mais ceci relèverait d'un choix de gouvernance que le gouvernement Ouyahia est incapable de réussir en raison de son enlisement dans des considérations politiciennes dont les conséquences poussent plus à la déflagration sociale qu'à la cohésion. Les preuves ne manquent pas. Pour tenter de rééquilibrer les finances de la Poste, le gouvernement a eu la mauvaise intelligence d'obliger l'ensemble des contribuables à ouvrir un compte courant postal (CCP) auprès de ses bureaux. L'impact est loin d'être probant, bien au contraire. Il a provoqué une dégradation effrénée du service public et un désordre inquiétant au niveau de ses institutions. Ce sont des files gigantesques de citoyens qui envahissent quotidiennement les postes pour quémander, qui leur salaire, qui leur pension, retraite, moudjahidine ou autre, et qui les remboursements de la sécurité sociale. L'absurdité de la décision politique a même contraint les assurés sociaux à ouvrir un CCP pour pouvoir bénéficier du remboursement des frais médicaux engagés. «Le remboursement sur compte bancaire prend au moins six mois pour arriver,» préviennent à chaque fois les responsables de la CNAS. Toutes ces masses d'argent déversées dans les caisses d'Algérie Poste n'ont pas pu provoquer le rééquilibre financier recherché. Il faut rajouter à cette situation kafkaïenne le manque de liquidités qu'aucune autorité n'a pu résoudre à ce jour. Pire encore, le conseil d'administration d'Algérie Poste a noté dans son PV de mercredi dernier, d'autres dérives financières comme l'aggravation du poids de la masse salariale (pour 28 000 employés) qui représente près de 90% du chiffre d'affaires (hors placement des encours CCP).

Un établissement en faillite ?

Par conséquent, il estime que «l'état actuel des finances de l'entreprise ne permet pas la prise en charge dans l'immédiat, de nouvelles augmentations salariales.» Il indique qu' «il convient d'attendre la paie du mois de juin pour apprécier les premiers résultats de l'application des mesures d'augmentation et de revalorisation suscitées et qui ont déjà fait l'objet d'adoption le 18 avril dernier.» Le Conseil d'administration propose alors «d'engager auprès de l'ARPT, le processus de rémunération du service universel de la poste, de prendre en charge au cas par cas les dossiers socioprofessionnels en instance, et de lancer un plan de redressement urgent de l'établissement.» Il appelle en même temps, à poursuivre les négociations avec le syndicat sur la base des rémunérations de ce mois de juin. Ceci, dit-il «pour aboutir à un accord salarial pouvant aller jusqu'à 15% d'augmentation du salaire de base et de revalorisation de l'IEP pouvant aller jusqu'à 68%.» Il prévient que «tout dépassement de ces ratios mettrait en faillite l'établissement.»

Nous avons appris de sources syndicales que les bureaux de poste de deux ou trois wilayas qui n'avaient pas repris le travail dimanche comme convenu, parce qu'ils tenaient à la rétroactivité des augmentations à partir de janvier 2008, l'ont fait hier matin. «C'est un soulagement pour les usagers,» clament les syndicalistes. Le MPTIC tente pour sa part, une politique de repêchage de cet outil de travail de surcroît de service public pour lequel des petites gens doivent s'armer de patience pour qu'il daigne leur débloquer leurs petits sous.

Il est évident que le règlement de cette multitude de problèmes ne peut se faire que par des décisions politiques que le premier magistrat du pays se doit de prendre en l'absence d'initiatives de son gouvernement. D'ailleurs, de nombreux observateurs se demandent pourquoi maintenir une équipe qui navigue à vue au milieu de ce bouleversement économique et social. Equipe dont on dit que Bouteflika n'en a pas une grande estime. «C'est un gouvernement qui a été nommé par accident et maintenu par oubli,» avait-il lâché un jour, à un de ses compagnons. Face à ce mépris affiché de part et d'autre, des actes d'urgence s'imposent. Le Président doit en premier revenir sur certaines de ses mesures à l'exemple de celle accordant des augmentations faramineuses à tous les secteurs qui n'ont bougé que pour demander une partie de la rente. «Cette décision précisément doit impérativement être remise en cause parce qu'elle hypothèque dangereusement l'avenir du pays,» pensent des économistes.

«Le pays risque la banqueroute»

Si le gouvernement Ouyahia s'abstient de le dire pour des raisons d'hypocrisie qui lui sont propres, des cadres de la Poste et de beaucoup d'autres secteurs comme l'éducation ou la santé, tirent la sonnette d'alarme. La déliquescence de la décision politique qui est grandement prouvée, encourage incontestablement les manipulations sournoises entretenues au sein des collectifs des travailleurs de différents secteurs pour éveiller en eux juste l'esprit rentier à défaut de les armer pour le combattre dans ces plus hauts niveaux.

 Il est évident que les angoisses d'une faillite exprimées par Algérie Poste n'empêcheront pas le gouvernement de dormir. Il est même prêt à assumer la dernière augmentation salariale de 30%. Mais il est sûr qu'il puisera dans les caisses du Trésor public pour la garantir. D'ailleurs, on apprend de sources proches du Premier ministère, qu'Ouyahia a déjà débloqué une subvention conséquente. Le gouvernement encourage ainsi l'effet de contagion au niveau d'autres secteurs tout en s'abstenant d'en calculer les conséquences sur les caisses de l'Etat. Pour preuve ! Après les secteurs des services, c'est au tour du secteur économique de le défier par la grève pour arracher des augmentations salariales.

Lundi dernier, la centrale syndicale a géré dans ce sens, une réunion de la branche Mécanique de la SNVI. Le syndicat a déposé un préavis de grève pour le 22 juin prochain. Hier, ce sont les dockers qui ont brandi la même arme. Des négociations ont été enclenchées pour apaiser les esprits. «La décision d'augmenter les salaires sans contrepartie de production et sans faire attention à l'état des finances des secteurs met le pays en péril et agite le risque de banqueroute,» nous disait hier le secrétaire général de l'UGTA qui semblait bien inquiet de «cette mise en appétit» sans crainte du pire. Ce qui est certain, c'est que les largesses financières accordées aux grévistes, remettent totalement en cause les conventions collectives conclues juste en 2010 entre les gouvernants et les syndicats d'entreprises.