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Bras de fer entre la rue égyptienne et le régime: Le patron des Moukhabarates aux portes du pouvoir

par Salem Ferdi

Hosni Moubarak a fait des promesses aux Egyptiens, décidé de limoger son gouvernement et a signifié qu'il restait au pouvoir. C'était vendredi dans la soirée, à la suite d'un immense bras de fer entre les manifestants et les policiers qui a pris fin par une victoire des premiers. Moubarak n'a pas dit ce que les Egyptiens voulaient entendre: l'annonce de son départ. Ils sont restés dehors à le conspuer et à réclamer son départ. Et le lendemain samedi, alors que l'armée s'est déployée pour protéger certaines institutions et alors que des bandes organisées se livraient à des destructions et des pillages ? certains accusent le parti au pouvoir de les inspirer -, les Egyptiens ont déferlé hier sur les places publiques pour continuer à exiger que Moubarak dégage. Le discours de vendredi de Moubarak aura en réalité ravivé la fronde des Egyptiens qui ont décidé de s'installer dans le scénario de la révolution tunisienne en occupant le «Meddane Etahrir» au cœur du Caire. Ils ont décidé de braver le couvre-feu dont l'entrée en vigueur est passée officiellement de 16 heures à 8 heures du matin. Les avertissements des autorités n'y changent rien. Les Egyptiens campent dans la rue? jusqu'à ce Moubarak décampe.

Déferlante anti-régime

Le discours, complètement décalé et vaguement menaçant, prononcé par le président Hosni Moubarak était tout sauf apaisant. D'où la déferlante anti-Moubarak qui ne peut prétendre après avoir gouverné 30 ans sous état d'urgence être celui qui va réformer le régime. Des promesses dépassées par l'ampleur des sacrifices des Egyptiens qui déplorent, officiellement, 45 morts et au moins 2.250 blessés depuis mardi, dont 38 morts en vingt-quatre heures. En réalité, le bilan est beaucoup plus lourd, les opposants évoquent des centaines de morts. A titre indicatif, il y a eu vendredi 38 morts dans la seule ville d'Alexandrie. Les choses sont allées trop loin pour que les Egyptiens puissent se contenter d'un changement de gouvernement. «On veut que Moubarak parte, pas seulement son gouvernement». C'est le mot d'ordre général. Il commençait apparemment à être entendu au sein du pouvoir.

Omar Souleimane déjà contesté par la rue

L'après-Moubarak semblait, hier soir, avoir déjà commencé. Les membres de la famille de Moubarak dont ses deux fils ont commencé à quitter le pays. L'information a été démentie par la télévision d'Etat. Ahmed Ezze, le magnat de l'acier, a démissionné de son poste au PND et s'est réfugié à Londres. Pas de démenti. Ce sont les premiers signes. En attendant, Hosni Moubarak continue d'exercer son pouvoir formel. Il a chargé Ahmed Chafic, ministre de l'Aviation, de former le nouveau gouvernement. Encore plus significative est la désignation du patron des services, Omar Souleimane, en qualité de vice-président et donc de successeur constitutionnel à Hosni Moubarak. Le choix d'Omar Souleimane n'est pas fortuit. La décision de pourvoir un pouvoir resté vacant depuis 1981 est une décision du régime qui veut envoyer aux Américains - et à Israël - un gage que l'Egypte restera dans le giron. A la tête des services égyptiens depuis 1993, Omar Souleimane a été chargé du dossier palestinien et il était souvent présenté comme un concurrent de Gamal Moubarak à la succession. Il est désormais de manière quasi officielle le successeur annoncé de Moubarak.

El-Qaradaoui: Partez Moubarak, ayez pitié de ce peuple !

Une perspective qui ne peut que réjouir les Américains. Omar Souleimane, à la vice-présidence, les Moukhabarates, déjà très forts dans le système, se retrouvent en première ligne comme alternative à Moubarak. Sur Meddan Etahrir, le cœur de la contestation, les premières réactions à la désignation de Souleimane étaient hostiles. Les Egyptiens paraissent déjà dans l'optique tunisienne de refuser une transition menée et contrôlée par les gens du pouvoir. Ils sont incités par les opposants à ne pas lever la pression sur le régime. L'influent prêcheur cheikh Youssef Al-Qaradaoui, a affirmé que seul le départ du président Hosni Moubarak pouvait régler la crise en Egypte, appelant le peuple à poursuivre son «soulèvement» pacifiquement. «Va-t-en Moubarak, ai pitié pour ce peuple et dégage avant que la destruction ne s'étende en Egypte», a-t-il encore conseillé au président égyptien. Les Frères musulmans ont exprimé leur soutien au «soulèvement pacifique béni» et ont appelé à la mise en place d'un «gouvernement de transition sans le PND, qui organise des élections honnêtes et une passation pacifique du pouvoir».

ElBaradei: les Américains sont décevants

L'ancien directeur général de l'AIEA Mohamed ElBaradei, partisan de réformes politiques en Egypte, a réaffirmé que Hosni Moubarak «doit partir». «Hier soir, nous espérions qu'il allait décider de partir, mais à la dernière minute, il est apparu avec un discours vide de sens, qui a été une grosse déception pour les Egyptiens», a dit le prix Nobel de la paix en 2005. «Il n'a clairement pas compris le message qui émanait du peuple égyptien», a ajouté M. ElBaradei, pour qui le fait que M. Moubarak se soit contenté d'annoncer un nouveau gouvernement constituait «presque une insulte à l'intelligence du peuple». «Il n'a proposé aucune réforme politique ou économique», a-t-il dénoncé. ElBaradeï a relevé également la position décevante des Américains: «Pour les Egyptiens, c'est le message provenant des Etats-Unis, qui ont déclaré vouloir travailler avec le peuple égyptien et le gouvernement, alors qu'il faut faire un choix». Dans la rue, après le couvre-feu, les Egyptiens maintiennent la pression dans un climat très tendu. Le régime prépare l'après-Moubarak alors que la rue persiste à demander la fin du régime. Le bras de fer continue.