Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Malgré la «garantie» de l'armée et l'annonce d'un remaniement : Les Tunisiens veulent toujours que le gouvernement «dégage»

par Salem Ferdi

L'intervention, applaudie, du général major Rachid Ammar, lundi soir et l'annonce d'un «remaniement imminent» du gouvernement n'ont pas désarmé ceux qui craignent que le système politico-policier de Ben Ali, encore au cœur de l'Etat tunisien, n'arrive à détourner la révolution de son sens.

 Hier, ils étaient encore des centaines dans la rue pour exiger le départ d'un gouvernement, toujours associé au parti de Ben Ali. Beaucoup ont bravé, pour la deuxième nuit consécutive, le couvre-feu sur la grande esplanade de la Casbah où se trouve le siège du Premier ministre. Au petit matin, ils ont salué le drapeau, chanté l'hymne national et repris le «dégage», devenu le mot de ralliement des Tunisiens qui ne veulent pas d'une semi-révolution.

 Lundi soir, le général Rachid Ammar, chef d'état-major, très populaire pour avoir refusé d'impliquer l'armée dans la répression, était venu à cette même esplanade pour inciter les manifestants à faire confiance et apporter sa garantie. «L'armée se porte garante de la révolution. Notre révolution, votre révolution, la révolution des jeunes, elle risque d'être perdue, d'autres risquent de la récupérer. Il y a des forces qui appellent au vide, à la vacance du pouvoir. Le vide engendre la terreur qui engendre la dictature». «Nous sommes fidèles à la Constitution du pays. Nous ne sortirons pas de ce cadre? J'aimerais que cette place se vide pour que le gouvernement travaille, ce gouvernement ou un autre». Discours logique d'un militaire qui n'aime pas trop le désordre mais pas suffisant pour convaincre des manifestants très politisés et qui connaissent les méfaits d'un appareil politico-policier qu'ils présument encore intact après le départ de Ben Ali.

L'outil du régime est encore là

Les applaudissements au général n'empêchent pas les forces d'opposition de se souvenir que le système Ben Ali est toujours-là. A l'instar de Sihem Bensedrine, rentrée au pays, et qui constate que la surveillance policière continue. Ou encore d'Ali Zeddine, vice-président de l'Organisation tunisienne des droits de l'Homme, qui rappelle que l'outil du régime était le ministère de l'Intérieur et que rien n'a changé à cet égard. «Il y a des gens dans l'obscurité qui ont truqué les élections, supervisé la répression et l'appareil (d'Etat) comme la police politique, la police de sécurité et d'autres. A défaut de changements de fond, les choses pourraient vraiment revenir au point de départ», a-t-il déclaré au journal «Le Monde». Les appels au retour à l'ordre, clamés par des médias qui n'ont pas encore fait réellement leur révolution, peuvent avoir pour but de masquer cette réalité. Même si le RCD est cliniquement mort en tant que parti ? il chercherait à changer de nom dans les prochaines semaines-, le maillage de la police politique est toujours en place. C'est cette «présence» étouffante et souvent humiliante dont les Tunisiens veulent se débarrasser. Le «dégage» de la révolution n'est pas un simple rejet de certaines figures du gouvernement de Ben Ali, encore présentes dans l'exécutif. Ce qui est rejeté est bien la permanence des instruments de la dictature et on pressent que ce gouvernement de transition où les membres du RCD détiennent les ministères les plus importants (Intérieur, Défense, Affaires étrangères et Finances) n'est pas apte à le faire, si tant est qu'il le veuille. Le général Ammar est intervenu après que les esprits ont commencé à s'échauffer de nouveau, entre manifestants et policiers. L'arrivée de la Tunisie profonde et pauvre dans la «caravane de la liberté» a donné une radicalité nouvelle aux exigences du départ du gouvernement.

L'UGTT au cœur de la lutte

Le palais du Premier ministre à la Kasbah est devenu la Bastille du régime qui fait obstacle à la révolution et qu'il faut faire tomber pour achever le travail. Le gouvernement de Mohammed Ghannouchi tablait sur la reprise des cours, lundi, pour espérer l'amorce d'un reflux et la réduction de la pression. Echec. L'UGTT - violemment prise à partie par des sites électroniques proches du gouvernement qui l'accusent «d'irresponsabilité» et mettent en cause son statut de syndicat «unique» - a réussi à déjouer les calculs du gouvernement en lançant un grève, très suivie (entre 90 et 100%), dans l'enseignement primaire. Avec le même mot d'ordre : que les membres du clan Ben Ali et du RCD dégagent du gouvernement. Le syndicat national de l'enseignement secondaire a appelé à une journée de grève, jeudi, et à participer aux manifestations pour «la dissolution du gouvernement qui a été imposé» aux Tunisiens. Hier, la section de l'UGTT de Sfax, deuxième grande ville du pays a appelé à une grève générale, ce mercredi, «pour soutenir les revendications du peuple qui demande la démission du gouvernement et la dissolution du Rassemblement constitutionnel démocratique». L'UGTT qui a joué un rôle important dans le mouvement qui a poussé Ben Ali à la sortie pèse fortement dans la perpétuation de la contestation du système. Dans ce contexte, le remaniement annoncé «dans deux ou trois jours» par Taïeb Baccouche, ministre de l'Education et porte-parole du gouvernement, pourrait ne pas suffire à calmer les contestataires. Surtout que Taïeb Baccouche exclut la dissolution de l'équipe formée par Mohamed Ghannouchi. En face, les opposants continuent d'exiger le départ du gouvernement. Certains proposent un «comité des sages» qui remplacera ou supervisera le gouvernement de transition et aura pour mission de «protéger la révolution». Le nom d'Ahmed Mestiri, vieil opposant, jouissant du respect des acteurs politiques, continue d'être cité comme possible président de ce comité des sages.