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Mendicité: Une «spécialisation» professionnelle ?

par Mokhtaria Bensaâd

Dans la rue, dans les bus ou les trains, en voiture, dans les cafétérias et les restaurants, partout des mains d'enfants, de femmes et d'hommes, jeunes ou vieux sont tendues pour demander la charité.

On les trouve de plus en plus dans ces lieux en train de harceler passants et clients en présentant une ordonnance ou montrant l'handicap d'un membre ou même exhibant un bébé chétif juste pour faire pitié et soutirer de l'argent aux âmes charitables. Dans le passé, personne ne pouvait rester indifférent lorsqu'un pauvre ou mendiant frappait à la porte ou vous hélait dans la rue. Chacun mettait la main à la poche sans réfléchir et c'est avec un sentiment de pouvoir aider son prochain qu'il donnait l'aumône. Aujourd'hui, le concept de la mendicité et pauvreté a changé avec le temps, même si littéralement, les deux mots conservent encore leur sens signifiant, demander l'aumône et charité pour le premier et manque d'argent et ressources pour le second. De nos jours, on ne parle plus de cas isolés de personnes rencontrées par hasard en train de mendier mais d'un phénomène social pour lequel l'Etat a mobilisé les structures de l'Action sociale pour lutter contre et le combattre. Il ne s'agit plus de quelques mendiants et personnes sans domicile fixe (SDF) qui tendent la main pour quelques dinars mais de réseaux bien organisés qui ont fait de la mendicité une profession.

A Oran, la direction de l'Action sociale en collaboration avec les agents de la protection civile et des forces de l'ordre, effectuent trois fois par semaine des opérations de ramassage des mendiants et SDF. A chaque opération, dix personnes en moyenne sont conduites vers le SAMU social pour être inscrites sur un fichier comme mendiants ou SDF. Rien que pour ce mois de Ramadhan, 60 individus ont été fichés dont la majorité des hommes pour être admis aux Diar Errahama pour les sans domicile fixe ou pour les mendiants, comparaître devant le juge pour pratique de la mendicité qui est un acte puni par la loi. Durant l'année 2009, la direction de l'Action sociale a recensé 389 mendiants et SDF dont 291 hommes, 75 femmes et 23 enfants. La mendicité infantile est de plus en plus, présente dans nos rues. Des mineurs, au lieu d'être à l'école, passent leur quotidien à sillonner les artères de la ville, suppliant les passants pour quelques sous. «Donnez mois juste de quoi m'acheter une baguette de pain. J'ai faim et je n'ai pas de quoi manger», une phrase que semble bien avoir appris, Salim, c'est ainsi qu'on l'appellera, âgé de 12 ans, le regard perçant, le teint basané, portant des habits convenables mais sales. Ces quelques mots, il les répète à longueur de journée à tous les individus qui passent. Grâce à son «talent» de bon comédien, il réussit à bien gagner sa journée. La mendicité a plusieurs facettes et ne semble pas avoir d'âge limite. Cette femme, la cinquantaine environ, fait du porte-à-porte racontant à chaque fois sa maladie grave et demandant la charité pour se soigner. Elle se dit mendiante bien qu'en ouvrant la porte, il est difficile de penser à première vue qu'il s'agit d'une personne venue demander l'aumône. Ses habits, sa façon de parler usant d'un français correct ainsi que sa façon d'aborder les gens laisse penser le contraire. De pareilles scènes se jouent tous les jours et à chaque coin de rue. Les brigades de ramassage trouvent toutes les peines du monde à maîtriser ces individus de la rue et les placer dans les centres d'accueil. Bien que des mesures soient prises par l'Etat pour permettre aux mendiants et SDF de s'intégrer dans la société, ces derniers refusent, nous dira un responsable de la direction de l'Action sociale, de rejoindre Diar Errahama ou de travailler, ils préfèrent le gain facile de la rue. «Certains ont eu recours à la violence en signe de protestation contre leur admission à Diar Errahama. Et comme nous n'avons pas le droit de forcer une personne à rentrer dans ces structures, ils ont été relâchés. Notre mission n'est pas une tâche facile. Ces personnes sont agressives et semblent bien trouver leur compte dans la mendicité. Maintenant on a affaire à des réseaux bien organisés qu'il est difficile d'intégrer dans la société», explique le même responsable. Le phénomène de la mendicité infantile cache bien des misères. La mendicité a pris des proportions telles que des familles entières ont pris pour toit les rues et pour travail la charité. Pire encore, nous raconte, le représentant de la DAS, «certains louent les enfants de leurs voisins ou proches pour les exploiter dans la mendicité et lorsque ces individus sont appréhendés, ils nient avoir recours à cette pratique pour vivre et il est difficile dans ces cas de donner des preuves pouvant les condamner pour un tel acte. C'est ce qui explique le nombre de récidives et la difficulté de maîtriser ce phénomène et lutter contre la mendicité». Ils choisissent bien leur lieu de «travail». Il faut qu'ils soient bien sécurisés afin d'éviter les agressions. On les trouve près de la sûreté de wilaya, au centre-ville, près de la garnison, à Miramar, à la rue d'Arzew? Des lieux très animés à longueur de journée.

Désespoir ou mode de vie ?

Pourquoi de plus en plus de personnes «se spécialisent» dans la mendicité et pourquoi le phénomène inquiète de nos jours ? Est-ce un signe de désespoir et de rejet ou un mode de vie choisi pour prouver son existence ? La mendicité est-elle un signe révélateur de l'impuissance d'un système à assurer un équilibre social et satisfaire les besoins de tous ? Un économiste a dit, «la pauvreté ne consiste ni en une faible quantité de biens, ni simplement en un rapport entre des fins et des moyens : elle est, avant tout, un rapport entre les hommes». Lorsque ce rapport subit un clash, c'est l'équilibre social qui est touché. Si aujourd'hui le regard envers les mendiants a changé, cela est dû à l'évolution qu'a connue cette pratique. L'acte ne se fait plus par nécessité et besoin mais il est devenu synonyme de vice et ruse pour s'enrichir. Certains veulent rester, nous dira le représentant de la DAS, en état de vagabonds et ils se considèrent comme des «fonctionnaires». Pour l'anecdote, il raconte qu'une fois «une femme mendiante a été emmenée à la DAS lors d'une opération de ramassage. Pour lui éviter de courir dans les rues, nous lui avons proposé un emploi et une situation stable. Chose que personne ne peut refuser. Mais à notre grande surprise, cette femme qui devait revenir pour commencer à travailler n'est plus retournée préférant la rue et un argent gagné facilement. D'ailleurs, ils le disent : Nous gagnons trois plus par la mendicité que par le travail». Cette situation donne du fil à retordre aux agents de la DAS, dans cette campagne de lutte contre la mendicité et le vagabondage. Ils se sentent désormais impuissants devant l'ampleur de ce phénomène. Pour avoir un aperçu sur l'étendue de la mendicité, la DAS compte établir une carte sociale à travers une enquête ménages. A travers cette opération, un fichier sera élaboré pour identifier ces individus et essayer de leur assurer une réinsertion dans la société. Le recours à la mendicité et la récidive chronique pour certains, peuvent être le résultat des humiliations et souffrances qu'ils subissent, en permanence. Et pour cela, ils ont besoin de ces aide et assistance.